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Visages de la peur
Transgressif, non seulement le magazine d’art contemporain White Rabbit l’est, mais il le revendique jusque sur sa page de couverture. Nicolas Le Bault, dont il a été question à plusieurs reprises sur Bla Bla Blog, est aux manettes d’un projet artistique et éditorial passionnant.
White Rabbit est non seulement le titre d’un magazine dont les signatures se sont enrichies depuis le premier numéro (nous en sommes au troisième), mais aussi une "créature" comme le déclare Nicolas Le Bault. Un personnage bien inquiétant en vérité, au sexe indéterminé, portant des oreilles de lapin et surtout des stigmates : rien de tel pour "angoisser l’univers"... Cette créature a pour caractéristique "[d'ignorer] la frontière entre le bien et le mal. Elle est le mal." Nous voilà prévenus que nous allons être secoués.
Revue underground, White Rabbit Dream ne se donne pas de limite pour traquer les cauchemars (Sandra Martagex), les traumatismes de l’enfance (Nicolas Le Bault), des scènes oniriques (Angela Dalinger) et les peurs de toute sorte : bandes dessinées (Marie-Pierre Brunel, Mike Diana), compositions graphiques (Sarah Barthe, Aline Zalko, Céline Guichard), peintures (les magnifiques planches d’Anne Van Der Linden) et trois textes proposent une lecture forcément subjective d’un des sentiments humains les plus universellement partagés.
Le lecteur passe d’histoires monstrueuses et cathartiques (L’Intruse ou Le Chien qui sourit de Nicolas Le Bault) à de véritables chocs visuels (Céline Guichard et ses compositions dessin-photo ou les personnages cauchemardesques de Cendres Lavy et Aleksandra Waliszewska), laissant à chacun le soin d’interpréter des histoires sans paroles : ce sont ces planches sombres et magnifiques de Daisuke Ichiba, peuplés d’êtres inquiétants, sur des planches où le deuil se mêle aux traumatismes de toute sorte et au sexe.
De véritables chocs visuels
Restons en Asie avec les magnifiques peintures oniriques de Kazuhiro Hori, dans lesquelles de jeunes écolières japonaises sont entre les griffes d’inquiétants monstres en peluche rose, représentations psychanalytiques de mondes fantastiques rêvés.
White Rabbit Dream regorge de créations graphiques frappantes, à l’instar de celles d’Helge Reumann, à la limite de l’abstraction, aux anges déchus LGBT de Twotm Land ou de ces effrayants astres aux visages de poupons terrifiants imaginés par Sara Birns.
Trois textes viennent ponctuer une revue essentiellement graphique. Le premier de ces textes est de Dany-Robert Dufour (Il était une fois le dernier homme). L’auteur parle de la peur – bien entendu – et des moyens de s’en protéger :"Creuser un vide sanitaire ou édifier une grande muraille entre le monde et moi." Au risque d’en finir asphyxié et de se perdre complètement.
Le deuxième texte, de Frederika Abbate, Terreur versus Peur, est, comme l’indique le sous-titre : une "réhabilitation de la peur." Ce comportement humain est plus que nécessaire : vitale, comme le martèle avec pertinence l’auteure. Oui, "nous vivons sur les ruines de la peur", mais "en vérité, les gens font semblant d’avoir peur. Mais ils n’ont pas peur… Cette peur ne détecte plus le danger un, indivisible, la menace véritable…" : Nous avons "peur de tout et de son contraire," jusqu’à nous entraîner dans "le vilain sommeil de la terreur." Un texte qui n’a de cesse de nous interroger sur nos postures d’hommes et de femmes en 2020.
Stéphane Rengeval, est au dessin dans de superbes planches au noir et blanc puissant mais aussi à la plume pour un troisième texte. Il y parle de l’autre, de la distance que l’on met face au monde et de la recherche d’une certaine pureté et "sagesse" dans le repli. Cet effacement volontaire ("Entre un être et un autre, il y a un abîme, une discontinuité") met à bas la confiance envers l’autre et a une autre conséquence : "la peur n’existait que dans la distance que j’entretenais avec la réalité ! Autrement dit, la peur occupe l’espace que je lui donne."
La peur c’est moi, et rien d’autre.
White Rabbit Dream, La Peur, vol. 3, mars 2020
https://whiterabbitprod.bigcartel.com
http://www.nicolaslebault.com
Voir aussi : "White Rabbit Dream, transgressif et sensible"
© Nicolas Le Bault
© White Rabbit Dream
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