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piano

  • 4 voix désirables

    Le titre de cet album public de b•records fait référence à l’une des plus belles chansons de la musique classique. Il s’agit de Youkali de Kurt Weill, interprété par le baryton Joël Terrin accompagné au piano de Cole Knutson. Découvrir Youkali, véritable chant métaphysique, c’est l’adopter : "Youkali, c’est le pays de nos désirs / Youkali, c’est le bonheur, c’est le plaisir / Youkali, c’est la terre où l’on quitte tous les soucis." Il est rare d’entendre ce classique interprété par une voix masculine. Le baryton Joël Terrin vient offrir un contrepoint intéressant et touchant aux versions féminines de Ute Lemper ou, plus près de nous, de Barbara Hannigan.  

    Nous voilà donc embarqué dans un pays où le désir (de la musique) est inscrit en lettres d’or. Enregistré à l’Abbaye de Royaumont les 5 mai et 29 septembre 2024, l’album propose une sélection de pièces lyriques classiques ou modernes. Parité parfaite pour les interprètes : deux hommes Joël Terrin (baryton) et Jeeyoung Lim (baryton-basse) ; deux femmes, Emma Roberts (mezzo-soprano) et Iida Antola (soprano).

    Après Youkali, c’est La Truite de Schubert (Die Forelle) que vient nous régaler Joël Terrin, sans ostentation ni désir de révolutionner le genre. Tout cela est d’un beau naturalisme. Vibrant et frais. Les trois autres titres interprétés par le baryton sont moins célèbres. Avec le compositeur franco-vénézuélien Reynaldo Hahn (1874-1947), on est entre le XIXe et le XXe siècle avec la pièce La prison, au texte plein de regrets, pleurant une jeunesse gâchée et emprisonnée, dans une facture très musique française.

    Plus rare encore de ce côté-ci de La Manche, Sleep est l’œuvre du compositeur anglais Ivor Gurney (1890-1937). En Angleterre, ce "war poet", l’un des poètes-combattants pendant la Grande Guerre, est considéré comme un héros national mais aussi un mélodiste hors-pair ayant laissé des centaines de chansons. On retrouve ici, grâce à Joël Terrin, le bouleversant Sleep, extrait de ses Five Elizabethan Songs, renvoyant à son expérience de soldat pendant la première guerre mondiale. Le programme du baryton s’achève avec un compositeur américain contemporain, Ben Moore (né en 1960). The Lake of Innisfree, d’après un poème de Yeats, fait le choix de l’harmonie et de la mélodie pour en faire un morceau postromantique propre à éclairer nos journées moroses. 

    Éclectique et intelligent

    La mezzo-soprano Emma Roberts fait le choix de compositeurs plus connus, tous du XIXe et début XXe siècle. Il y a Jean Sibelius (1865-1957) et son folklorique conte poétique Flickan kom op. 37 n°5, que la traduction française illustre bien : "La fille revient d’un rendez-vous avec son amoureux". Emma Roberts l’interprète avec puissance et non sans un néo-romantisme éclatant. On est ravis de retrouver Debussy dans le lumineux et onirique Colloque sentimental. Il s’agit d’un extrait des Fêtes galantes, d’après des poèmes de Verlaine. Debussy ne se laisse pas impressionner ni écraser par les mots du poète parnassien. Il y insuffle du mystère là où la mélancolie domine le texte ("– Te souvient-il de notre extase ancienne ? / – Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ? / – Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ? / Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non"). Toujours dans la musique française, la mezzo-soprano interprète la sobre et presque minimaliste chanson de Maurice Ravel, L’indifférent. Il s’agit d’un portrait tout en nuance d’un jeune homme fugacement aperçu, aux "yeux doux comme ceux d’une fille" et à la "démarche féminine et lasse". La rencontre éphémère est rendue musicalement par des notes comme suspendues et par le timbre délicat de la chanteuse accompagnée au piano par Emma Cayeux. Deux lieder, l’un de Brahms (Die Mainacht op. 43 n°2), l’autre de Richard Strauss (Befreit op. 39 n° 4) viennent clôturer le programme d’Emma Roberts.

    Arrêtons-nous maintenant sur le troisième interprète de cet enregistrement public. Il s’agit du baryton-basse coréen Jeeyoung Lim, proposant, et c’est rare, deux pièces du compositeur coréen Isang Yun (1917-1995), Traditional Outfitv (Habit traditionnel) et Swing. Isang Yun a fait le choix de faire se rejoindre musique classique occidentale et rappels des traditions de son pays. Cela donne deux morceaux envoûtants, dépaysants et passionnants. Après un passage par son pays, Jeeyoung Lim, accompagné au piano par Gyeongtaek Lee, revient en Europe et au XIXe siècle avec deux lieder purement romantiques de Schubert (Waldesnacht D 708 et Abendstern D 806), avant de s’intéresser à Henri Duparc (1848-1933), avec sa Chanson triste, d’après un poème de Jean Lahor ("Dans ton cœur dort un clair de lune, / Un doux clair de lune d’été, / Et pour fuir la vie importune, / Je me noierai dans ta clarté").

    La soprano finnoise Iida Antola, accompagnée par sa compatriote pianiste Anni Laukkanen, propose elle aussi, à l’instar d’Emma Roberts, un passage par Debussy, cette fois avec sa pièce onirique De rêve (1893). Iida Antola s’en empare avec une interprétation à la fois lumineuse et éthérée : "La nuit à des douceurs de femmes ! / Et les vieux arbres sous la lune d'or, / songent ! / À celle qui vient de passer la tête emperlée, / Maintenant navrée ! / À jamais navrée ! / Ils n'ont pas su lui faire signer…" Suivent les Trois lieder op. 22 d’Erich Korngold (1897-1957). Il y a du post-romantisme et de la noirceur dans ces chansons crépusculaire, composées en 1828, alors que le compositeur allemand est au sommet de sa gloire. Le nazisme le fera fuir jusqu’aux États-Unis où Erich Korngold se révélera au grand public comme compositeur de films (Les Aventures de Robin des Bois, Capitaine Blood, L'Aigle des mers).  

    Hugo Wolf (1860-1903) et son bouleversant lied Kannst du dast Land vient conclure ce programme éclectique et intelligent proposé par quatre jeunes voix lyriques décidément à suivre et que l’on ne peut qu’aimer.

    Le pays de nos désirs, b•records, Orsay-Royaumont Live, 2025
    https://www.b-records.fr/le-pays-de-nos-desirs
    https://www.royaumont.com

    Voir aussi : "Un autre regard sur Philip Glass"

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  • À l’écoute de tes pièces, Clara...

    Mieux que jouer, Sophia Vaillant nous fait découvrir Clara Schumann dans une intégrale de son œuvre pour clavier (moins deux Scherzi que la musicienne avait déjà enregistrés en 2017) : polonaises, caprices, romances, variations, préludes et fugues. N’en jetez plus.

    Clara Schumann a été, pendant des années, indissociable de son mari Robert Schumann. Interprète, égérie, admiratrice, célébrité influente, la compositrice Clara Schumann, comme beaucoup de femmes artistes est pourtant tombée aux oubliettes en tant que compositrice. Depuis quelques années – et Bla Bla Blog s’en est fait régulièrement l’écho – les musicologues, spécialistes et interprètes permettent de découvrir et redécouvrir des femmes artistes ignorées, oubliées et souvent méprisées. Les choses changent et c'est heureux ! Clara Schumann a laissé une cinquantaine d’œuvres au total. On la considère maintenant à l’égal de ses contemporains – hommes –, à commencer par Franz Schubert, Robert Schumann ou Frédéric Chopin. 

    C’est du reste ce dernier nom qui vient tout de suite en tête à l’écoute des quatre Polonaises op. 1 qui ouvrent le triple album. À l’époque de leur écriture, Clara Schumann – ou plutôt Clara Wieck – n’a que… 10 ans ! Moins révolutionnaire que son homologue polonais, ces pièces séduisent par leur légèreté, leur gaieté et leur insouciance, servies par une Sophie Vaillant impeccable dans le rythme comme dans les couleurs données à ces éclatants morceaux, avec en particulier une dernière Polonaise en do majeure particulièrement espiègle. Le nom de Chopin revient encore dans les Valses romantiques op. 4 en do majeur. Après une introduction sombre, elles virevoltent et s’épanouissent. Il faut ici encore saluer Sophia Vaillant dans une interprétation tendue, sérieuse et nous entraînant dans un paysage musical aux nombreux recoins. Il semble que la pianiste et la compositrice nous prennent par la main.  

    Les Neuf Caprices en forme de valse op. 2 ont été composés plus tard, au début de l'adolescence de la musicienne. Nous sommes entre 1831 et 1832. Elle n’a que 12 ans mais quelle maîtrise, déjà ! Ces Caprices enlevés, élégants et aux lignes mélodiques élaborées ont été composées, nous dit le livret, pour les salons de la bonne bourgeoisie allemande. "La compositrice a voulu s’imposer avec brio dans cette société masculine". Mais aussi pour impressionner un certain Robert Schumann, de neuf ans son aîné, qui lui donne des cours de piano. On pense au dernier et court Caprice en ré bémol majeur, ressemblant à l’expression d’un émoi dissimulé.

    C’est à son futur mari qu’elle dédicace la Romance variée op. 5 en do majeur. Parfaite illustration du romantisme, Clara Wieck, future Schumann, semble assumer complètement ses sentiments pour celui qui va devenir son mari, au prix cependant d’un procès, plus tard, avec son propre père. En attendant, l’innocence, l’espièglerie et la joie d’être amoureuse rejaillissent dans cette romance incontournable. Sophie Vaillant affronte avec vaillance les nombreux pièges techniques de cette pièce alliant raffinement, simplicité et virtuosité.

    La déclaration amoureuse pour Robert Schumann est plus évidente encore dans la Romance des Quatre Pièces Caractéristiques. Cette dernière œuvre, op. 5, d’une incontestable modernité (L’Impromptu Le Sabot, très naturaliste ou l’étonnante Scène fantastique du Ballet des revenants, gothique avant l’heure), viennent conclure un premier CD revenant sur les premières années décidément prometteuses d’une future très grande de la musique classique. 

    On la considère maintenant à l’égal de ses contemporains – hommes –, Schubert, Chopin ou Robert Schumann

    C’est une Clara Schumann endiablée qui surgit du 2e CD grâce à la brillantissime Toccatina en la majeur de ses Soirées musicales op. 6. Elle se révèle en compositrice audacieuse et ambitieuse, tout en restant bien ancrée dans le Romantisme de son époque (Notturno en fa majeur). Pourtant, Clara future Schumann n’a que 16 ans. Ses sentiments pour Robert sont intacts et exprimés ici avec un mélange de passion, de langueur et de mélancolie (Mazurka en sol mineur). Restons dans ces Soirées musicales semblant organisées dans un de ces salons aristocratiques et bourgeois de 1836. Clara Schumann propose sa mélancolique Ballade en ré mineur avant une courte Mazurka en sol majeur et une Polonaise gracieuse aux belles lignes mélodiques, grâce à une Sophia Vaillant cavalant avec plaisir sur ces partitions exigeantes.  

    L’auditeur sera captivé par l’irrésistible Variation de concert op. 8 Sur la cavatine du Pirate de Bellini. La passion de la compositrice pour l’opéra italien est évident. Mieux, cette variation vaut à la jeune femme une reconnaissance officielle et publique. Le morceau est servi par une Sophia Vaillant incroyable de fraîcheur et de virtuosité pour cette pièce aussi complexe que lumineuse.

    Le 2e CD est complété par Trois Romances sans parole op. 11. On pourra retrouver dans la 2e Romance le thème initiale de la Sonate n°2 de Robert Schumann qui y verra un message, partagé à sa future compagne : "À l’écoute de ta Romance, j’ai entendu une nouvelle fois que nous devions devenir mari et femme." Message bien reçu.

    On avance dans le temps avec le 3e CD et ces Trois Pièces Fugitives op. 15 composées entre 1840 et 1844. Clara Schumann a un peu plus de vingt ans et voit sa vie sentimentale et maritale s’éclaircir après le procès gagné contre son père. Elle se montre ici d’une grande mélancolie (le Larghetto et l’Andante expressivo). Sophia Vaillant semble s’effacer derrière des partitions dans lesquelles pointe une grande tristesse, ne prenant toutefois jamais le dessus (Scherzo).

    Les Préludes et fugues op. 6 renvoient inévitablement à Bach et à son Clavier bien tempéré (Fugue en si bémol majeur). Les notes se déploient avec la même technicité (Fugue en ré mineur), densité (toutes durent moins de 2 minutes 50) et tonicité (Fugue en sol mineur). Il y a pourtant je ne sais quoi de moderne dans cette exploration de préludes et fugues écrites en plein XIXe siècle romantique (que l’on pense au Prélude en si bémol majeur ou celui en ré mineur).  

    La pièce la plus longue de ce 3e disque, mais aussi du coffret, sont ces somptueuses Variations sur un Thème de Robert Schumann op. 20. Écrites en 1843, elles sont une déclaration d’amour à Robert Schumann. L'idylle entre eux est toujours là, ancrée et solide comme un roc. Toutefois, le musicien voit sa santé décliner. La compositrice a-t-elle l’intuition à l’époque qu’il mourra trois ans plus tard ? Elle propose en tout cas autant une œuvre pleine de tristesse et de nostalgie qu'un tombeau funèbre et un hommage au grand artiste et complice qu’est son mari. Sophia Vaillant propose un enregistrement de ces Variations faisant répondre mélancolie et réconfort, force et désespoir. Il s’agit sans doute là d’une des pièces phares de cette importante compilation Clara Schumann.  

    Trois Romances op. 21 viennent clôturer ce coffret. Certes moins joueuses, elles restent élégantes, virtuoses et d’une folle modernité.

    Mieux que de nous faire découvrir – ou peut-être redécouvrir – Clara Schumann, Sophia Vaillant nous fait entrer dans son intimité et dans son cœur. Elle nous fait d’elle une amie. À l’écoute de ses pièces, nous sommes moins seuls.

    Clara Schumann, Un destin romantique, Sophia Vaillant (piano), 3 CD,
    Indésens Calliope Records, 2024

    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    http://www.sophiavaillant.com/bio.html
    https://www.facebook.com/sophiavaillant

    Voir aussi : "Nuit et lumières chez les Schumann"
    "1842, année romantique"

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  • 1842, année romantique

    "1842" aurait pu être le titre du dernier coffret de b.records, Collection Schumann. Cet enregistrement consacré à la musique de chambre de Robert Schumann s’intéresse à quatre œuvres de jeunesse du compositeur allemand. Nous sommes en 1842 et Schumann ne s’est pas encore essayé aux quatuors, se limitant surtout à des opus pour piano et voix. Cette année 1842 entre dans l’histoire de la musique romantique.

    L’enregistrement proposé est la captation d’un concert donné par le Quatuor Strada à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de  la Danse à Soissons, les 3 et 19 avril 2024. Le Quatuor réunit Pierre Fouchenneret et Ayako Tanaka au violon, Lise Berthaud (alto) et François Salque (violoncelle).

    Ce coffret Robert Schumann débute avec le 1er Quatuor à cordes op. 41 dont l’introduction soyeuse et vibrante annonce un mouvement harmonique et harmonieux, mais non sans l’expressivité romantique de Robert Schumann (Andante expressivo) ni une allégresse certaine (Allegro). Écrit en 1842 (Robert Schumann a 32 ans), ce Quatuor op.41 illustre l’état d’esprit de son auteur. Il vit une période heureuse, ce qu’illustre encore le deuxième mouvement Scherzo – Presto – Intermezzo vivifiant auquel s’attaque le Quatuor Strada avec enthousiasme. Même l’Adagio n’est ni triste ni funèbre. Mélancolique et beethovénien, il ressemble à une douce déclaration d’amour. Le Presto, vif comme un torrent sauvage, vient conclure un premier Quatuor typique de cette année 1842 placée sous le signe de la musique de chambre schumanienne.

    Toujours en 1842, le compositeur allemand écrit son deuxième Quatuor à cordes op. 41. L’Allegro vivace a la légèreté de ces œuvres insouciantes. Le Quatuor Strada s’y promène avec une bonheur. Le charme de l’Andante quasi variazioni réside dans sa manière d’avancer pas à pas, avec un sorte de nonchalance joueuse. Le mouvement suivant, Scherzo – Presto, le plus court de ce coffret, garde cette insouciance et cette joie de vivre, si caractéristique de la musique de chambre schumanienne de cette période. Tour aussi alerte, l’Allegro molto vivace vient clore le Quatuor à cordes n°2 ainsi que le premier CD du coffret.

    "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail"

    Le 3e Quatuor à cordes commence par une somptueuse déclaration d’amour tout en romantisme. N’est-ce pas à Robert Schumann amoureux – de Clara Wieck, future Madame Schumann – dont nous avons à faire dans le premier mouvement Andante ? Les frères Fouchenneret précisent d’ailleurs dans le livret que le trio de quatuors ont été offerts à la musicienne et compositrice pour ses 23 ans qui a su apprécier la valeur de cette création : "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail", lui dit-elle. Pour l’Assai agitato, Robert Schumann semble se démultiplier dans une partie virtuose, enlevée et à la construction savante. On se pose sur l’Adagio, plus sobre avant un Finale Allegro molto vivace, enlevé, capricieux et joueur, mais non sans élan amoureux et romantique, avec une ligne mélodique irrésistible.

    Le Quintette pour piano et cordes op. 44 vient compléter ce programme. Théo Fouchenneret au piano rejoint son frère Pierre, toujours avec le Quatuor Strada. Composé lui aussi en 1842, le Quintette en mi bémol majeur est devenu un des exemples les plus éclatants de la musique romantique, suscitant d’ailleurs l’admiration, entre autres, de Wagner himself. L’Allegro est "brillante", mené tambour battant grâce notamment au piano de Théo Fouchenneret. Arrêtons-nous un instant sur le second mouvement In modo d’una marcia, un poco largamente. C’est tout le génie de Schumann qui s’exprime dans cette partie plus sombre – sinon funèbre – et dans lequel le compositeur sort des sentiers battus. Le romantisme se pare de modernité dans ce séduisant et frappant mouvement nimbé de mystères, comme annonciateur de sombres dangers. Avec le Scherzo Molto vivace, c’est un Schumann jeune et alerte qui s’exprime dans un mouvement relativement court, et en tout cas efficace. Le Quintette et le coffret se termine avec un Finale allegro ma non troppo au solide tempérament. Il vient clore une œuvre essentielle chez Schumann et, par là, une année 1842 à marquer d’une pierre blanche.  

    Robert Schumann, Quatuors et quintette pour piano et cordes,
    Quatuor Strada et Théo Fouchenneret, b•records, 2025

    https://www.b-records.fr
    https://www.theofouchenneret.com
    https://pierrefouchenneret.com/quatuor-strada

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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  • Du côté de chez Mozart

    Allez, un petit crochet du côté de Mozart avec ce cinquième et dernier volume d’une intégrale de ses sonates pour piano par Jean Muller. On retient son souffle et on se laisse porter par les sonates n° 14, 5 et 18 du compositeur autrichien. 

    Le pianiste luxembourgeois a choisi de commencer son enregistrement par la Fantaisie K475 Sonate n°14, assez tardive (elle date de 1785) et fortement influencée par Bach et Haendel. Sans ostentation, Jean Muller déploie les lignes mélodiques de Mozart. Il s’en empare avec douceur et élégance jouant des silences, tant il est vrai, comme le dit une célèbre expression, que "le silence qui succède à Mozart est encore du Mozart". 

    La véritable entrée en matière de l'opus commence avec la Sonate pour piano en ut mineur K. 457. De la même période que la Fantaisie (1784), elle a une facture mozartienne bien reconnaissable. Jean Muller s’empare du Molto allegro avec ce qu’il faut de (fausse) légèreté et d’élégance. On se laissera porter par un Adagio comme suspendu. Ici encore, les silences et les pauses font loi.  

    On parlait de fausse légèreté. Le troisième et dernier mouvement de la Sonate K 457 ne fait pas exception à la règle. Derrière une certaine joie de vivre, pour ne pas dire de l’allégresse, la mélancolie n’est pas absente de l’Allegro assai dont les mouvements virevoltants sont comme laissés en suspens, contrariés.  

    Les silences et les pauses font loi

    La Sonate K283 en sol majeur fait partie des œuvres de jeunesse de Mozart. Il s’agit d’une des six sonates, dites "de Munich", composées lors d’un de ses voyages en Allemagne. Il a à l’époque 18 ans mais déjà une solide expérience et une renommée européenne. Le prodige et prodigieux jeune compositeur étincelle dès les premières mesures d’un Allegro virevoltant. Jean Muller s’en empare avec une gourmandise certaine, y compris dans le charmant mouvement lent Andante, plus subtil que la première écoute ne le laisse a priori penser. La ligne mélodique pure et la simplicité en font un moment intime, au point sans nul doute d'impressionner les contemporains de Mozart dans les salons aristocrates de l’époque. Respectant la forme classique de la sonate, Mozart termine par un mouvement rapide, Presto. Il faut de la technique et de la virtuosité pour mener à bien cette partie à la fois compliquée et passionnante.  

    Ce dernier volume de l’intégrale des sonates de Mozart par Jean Muller se termine par la La Sonate pour piano n° 18 en ré majeur K. 576. Composée en 1789 Il s’agit de la dernière sonate de Mozart. Il s’agissait à l’origine d’une commande de six sonates pour la princesse Frédérique-Charlotte de Prusse. C’est la seule qui ait été écrite par le compositeur autrichien. Cette sonate dite "de la chasse" apparaissait à un Mozart, sans doute un peu blasé, comme une œuvre "facile". En réalité, dès la première écoute elle apparaît comme d’une complexité redoutable et demandant une grande virtuosité. Jean Muller cavalcade dans le mouvement Allegro, tendu, rapide et semblant nous entraîner dans une partie de chasse endiablée. Pour l’Adagio, Mozart fait le choix de l’émotion - avec un grand "é". De la retenue, de longues respirations mais aussi une profonde mélancolie dans ce mouvement, à une époque où la situation de Mozart s’aggrave. Il est endetté, produit moins et doit déménager pour raisons financières. Le compositeur n’a plus que trois ans à vivre. Dans cet Adagio, Mozart noie sa profonde mélancolie dans une écriture harmonique toujours étincelante. L’enregistrement se termine par un Allegretto d’une belle densité, menée par un Jean Muller impérial. 

    Mozart, Piano Sonatas vol. 5, Jean Muller (piano), Hänssler Classic, 2025
    https://www.facebook.com/pianistjm
    https://www.pianistjm.com
    https://haensslerprofil.de

    Voir aussi : "Haydnissimo !"
    "Franck par Lazar"

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  • Liszt amoureux

    Si Beethoven a été le père fondateur du Romantisme et Schubert le jeune disciple surdoué, Liszt en a été le maître virtuose tout autant que le gardien du temple. 

    Titien Collard s’est lancé pour son premier album solo dans un programme exigeant, ambitieux mais aussi passionnant autour du compositeur hongrois. C'est le troisième mouvement des Harmonies poétiques et religieuses qui ouvre l’opus. Le romantisme européen n’a jamais aussi bien porté son nom que pour ces pièces composées en Ukraine au milieu du XIXe siècle et inspirées de poèmes de Lamartine. À l’époque, Franz Liszt file le parfait amour avec  la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein qui fut sa compagne de 1847 à 1861.

    Titien Collard a choisi de jouer la deuxième pièce, Bénédiction de Dieu dans la solitude. Il s’en empare avec maîtrise et ce souffle romantique oscillant entre retenue, exaltation et religiosité. Liszt s’est inspiré de ces vers de Lamartine : "D’où me vient, ô mon Dieu, cette paix qui m’inonde ? / D’où me vient cette foi dont mon cœur surabonde ? / À moi qui tout à l’heure, incertain, agité, / Et sur les flots du doute à tout vent ballotté, / Cherchais le bien, le vrai, dans les rêves des sages, / Et la paix dans des cœurs retentissant d’orages ?", Solitude). On peut saluer l’audace de Titien Collard d’avoir choisi un programme romantique des plus exigeant et de s’en proposer une interprétation fluide, lumineuse et non sans puissance (Allegro energico).

    Pianiste expressivo, virtuoso e colorato

    L’enregistrement inclut la Sonate pour piano en si mineur S. 178. D’une très grande complexité – nous pourrions même employer le terme de "modernité" – cette sonate bouleverse les règles. Si Titien Collard la présente sous la forme classique de trois mouvements (Lento assai - Allegro energico, Andante sostenuto et Allegro energico), en réalité Liszt l’a imaginée d'un seul tenant. Cette pièce fait figure d’œuvre majeure dans la carrière du musicien hongrois comme dans le répertoire romantique. Tour à tour austère, exacerbée, sombre et méditative, la Sonate en si mineur s’écoute comme une construction architectonique et musicale ambitieuse à laquelle Titien Collard se frotte avec aplomb et justesse. "Œuvre gigantesque d’une seule cellule", selon les mots de Richard Strauss, cette pièce importante illustrant une période heureuse dans la vie amoureuse de Liszt invite à la méditation et au voyage intérieur (la partie Andante sostenuto).  

    Pour terminer cet album Liszt, Titien Collard a fait le choix de proposer les Consolations S. 172, également appelées Six pensées poétiques. Le court, gracieux et "tube" qu’est l’Andante con moto introduit les six pièces tout aussi romantiques (Un poco più mosso). L’auditeur retrouvera avec plaisir cet autre grand classique qu’est le mélodique et méditatif Lento, quasi recitativo que Titien Collard interprète avec une retenue bienvenue. La noirceur n’est pas absente dans ces Consolations que certains disent inspirés, de nouveau, d’un poème éponyme de Lamartine (Quasi Adagio). L’auditeur se laissera autant séduire par le délicat et subtile Andantino que par la simplicité de l’Allegretto sempre cantabile qui vient clore l’album d’un compositeur majeur du répertoire romantique. le tout interprété par un jeune pianiste expressivo, virtuoso e colorato

    Titien Collard (piano), Franz Liszt, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    https://www.facebook.com/people/Titien-Collard-Pianiste/100083719893138/

    Voir aussi : "Bowie, Paganini, Scarlatti et compagnie"

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  • À Beethoven, l’humanité reconnaissante

    Peu connu mais archidoué, virtuose et romantique (son look sur la pochette d’album finit de nous convaincre), le pianiste Nikolay Khozyainov revient cet année avec un nouvel opus, Monument to Beethoven (Rondeau Production). Pourquoi, d’ailleurs, cette expression ? Il faut revenir aux années 1830-1840, soit quelques années après la mort du compositeur allemand. Franz Liszt entreprend de rendre hommage à son illustre aîné en faisant bâtir une statue à Bonn. Robert Schumann, Félix Mendelssohn et bien entendu Liszt sont sollicités pour composer des œuvres directement inspirés du répertoire de Beethoven, et en particulier de l’Allegretto de sa Symphonie n°7.

    Ce sont ces morceaux créés ad hoc que Nikolay Khozyainov a choisit d’enregistrer, en commençant par l’Allegretto originel, ici transcrit au piano par Liszt. C’est à un Everest que s’attaque le pianiste, dont la virtuosité n’écrase jamais la puissance dramatique ni la densité. Les respirations sont les bienvenues et viennent insuffler ce souffle que l’on appellera plus tard romantisme. Beethoven a fait de cette marche funèbre un mouvement allegretto, comme pour se jouer de la mort et donner à ce deuxième mouvement le pouvoir de la vie. Nikolay Khozyainov la rend dans un mélange d’ardeur, de passion et de gravité.

    Suit Robert Schumann avec ses Études en forme de variations sur un thème de Beethoven. 15 variations, rarement de plus d’une minute 30, s’approprient le thème principal de l’Allegretto de la 7e de Beethoven en variant les tempos, du Moderato au Prestissimo, en passant par le Passionato.

    Nikolay Khozyainov s’empare de cette œuvre rare de Schumann en prouvant le panel de son jeu, y compris des variations les plus sombres (Ohne Titel n°5) ou les plus techniques (Presto n°6). Schumann fait œuvre d’une grande liberté dans son appropriation du thème original (A11. Legato teneramente), ne s’empêchant pas des revisites franchement épatantes (B4. Ohne Titel) et transformant la marche funèbres en chants populaires (B5. Cantando), voire d’une singulière modernité (B7. Ohne Titel). Ces études se terminent de la plus belle des manière, avec la variation la plus longue de l’opus, tout en pudeur et en légèreté. Bref, un bel hommage à Beethoven. 

    Un bel hommage à Beethoven

    Plus courtes, les Variations sérieuses de Felix Mendelssohn Bartholdy prennent à la fois plus de liberté et plus de gravité avec l’Allegretto de Beethoven. Le Thema et les Variations balancent entre la luxuriance et romantisme fou.

    Beethoven est de retour avec une transcription par Liszt du lied An die ferne Geliebte ("À ma bien aimée"). L’histoire retient qu’il s’agit du premier cycle de lieder de l’histoire de la musique. Il est difficile de rester insensible à ce court morceau dont le pianiste rend toute la profondeur et toute la justesse sentimentale.

    La Fantaisie, op. 17 de Robert Schumann a ceci de particulier qu’elle fait partie des œuvres majeures du compositeur allemand. Cet opus autonome, en trois parties, n’a figuré que tardivement dans le programme hommage à Beethoven – en réalité les deux derniers mouvements – pour la souscription destinée à la construction de son monument à Bonn. La Fantaisie est au départ une déclaration à Clara Wieck, future Clara Schumann. Nikolay Khozyainov s’en empare avec délectation. Il y a du Beethoven dans la puissance évocatrice du 2e mouvement et la richesse de l’opus devient un envol du romantisme dans le dernier mouvement.

    Nikolay Khozyainov ne pouvait terminer ce Monument à Beethoven autrement que par une création, car il est lui-même compositeur. Avec son morceau Petals of Piece. Son hommage au compositeur allemand est aussi un chant de paix que lui avait commandé l’ONU en novembre 2022. dans cette œuvre contemporaine et post-romantique, c’est avec gravité que l’instrumentiste russe lance ses "Pétales de la Paix". Plus que jamais d’actualité pour cet artiste résolument engagé pour le pacifisme. 

    Nikolay Khozyainov, Monument à Beethoven, Rondeau Production, 2024
    https://www.nikolaykhozyainov.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    https://www.rondeau.de

    Voir aussi : "Beethoven, Intégrale, Première"

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  • Sacrés romantiques !

    Sublimes romantiques que ces cinq là ! Je veux parler de Richard Strauss, Frédéric Chopin et Franz Liszt, bien entendu, mais aussi de leurs interprètes de cet enregistrement Indésens, à savoir David Louwerse, au violoncelle, et François Daudet, au piano.

    C’est Richard Strauss, le dernier des grands romantiques (il est décédé en 1949), qui ouvre ce programme consacré à un style qui fit les beaux jours de la musique classique au XIXe siècle. La Sonate pour violoncelle en fa majeur, op. 6 a été composée en 1883. Il flotte sur cette œuvre un parfum de légèreté et d’insouciance (l’Allegro con brio) que David Louwerse et François Daudet transmettent avec passion, dans une conversation violoncelle-piano passionnée mais non sans instants mélancoliques ou enflammés.

    Le deuxième mouvement lent débute de manière funèbre. Strauss fait preuve de simplicité dans cet Andante ma non troppo, d’autant plus frappant après la fougue de la première partie. C’est simple. Il semble que le piano et le violoncelle chantent de concert. Les lignes mélodiques se déploient avec élégance, dans une économie de moyens singulière. La jeunesse et la fougue ont laissé place aux regrets, à la nostalgie et à la tristesse, sans que ces sentiments ne soient jamais appuyés.

    Le livret parle d’espièglerie en évoquant l’ouverture du troisième mouvement (Finale – Allegro vivo). Il est vrai que l’on retrouve ici de la joie de vivre et la jeunesse d’un compositeur de 19 ans seulement lorsqu’il écrit cette sonate incroyable. Le génie de Strauss est déjà à l’œuvre. Violoncelle et piano s’amusent autant qu’ils dialoguent, dans une série de conversations (de "questions-réponses" dit le livret) à la fois légères, séduisantes et passionnantes.  

    "Le meilleur des critiques, c'est le temps"

    Frédéric Chopin prend la relève avec sa Sonate pour violoncelle en sol mineur, op. 65 en quatre mouvements. Écrite en 1846, il s’agit de sa dernière œuvre publiée de son vivant. On retrouve la touche du compositeur polonais, notamment dans les premières minutes du long Allegro moderato. Cependant, rapidement elle suit une direction qui a pu déconcerter les contemporains de Chopin. Le "roi des romantiques" a énormément travaillé cette œuvre, ce qui se sent à l’écoute du premier mouvement, complexe et comme torturé.

    On applaudira la technicité des deux interprètes dans le jeu de cette sonate pour violoncelle et piano aux nombreuses lignes mélodiques. Chopin avait ces mots au sujet de cette pièce : "Je suis tantôt content, tantôt mécontent de ma sonate avec violoncelle. Je la jette dans un coin et puis je la reprends. La réflexion vient ensuite et l'on rejette ou l'on accepte ce qu'on a fait. Le meilleur des critiques, c'est le temps ; et la patience le meilleur des maîtres." Plus enjoué et dansant, le Scherzo se veut à la fois lyrique et vivant. Dans la grande veine romantique, le Largo se déploie avec une majesté des plus sombres. C’est un Chopin à la fin de sa vie qui s’exprime ici – il a pourtant à peine 36 ans ! La Sonate op. 65 se termine avec un Finale luxuriant et aux nombreuses lignes mélodiques. David Louwerse et François Daudet y déambulent avec bonheur, assurance et virtuosité. Voilà un Chopin tardif étonnant et d’une grande modernité.

    L’album se termine avec la troisième des Consolations, Lento quasi recitativo de Franz Liszt. La poésie, les lumières et les couleurs du génial pianiste et compositeur hongrois baignent cette pièce jouée avec délicatesse et profondeur par deux interprètes décidément romantiques dans l’âme. 

    David Louwerse (violoncelle) & François Daudet (piano), Les sublimes romantiques,
    Strauss, Chopin et Liszt
    , Indésens Calliope, 2024

    https://indesenscalliope.com/boutique/les-sublimes-romatiques
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    https://www.david-louwerse.com
    https://francoisdaudet2.wixsite.com

    Voir aussi : "Bouquets de Fauré"

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  • Bouquets de Fauré

    Pour terminer cette année 2024, quoi de mieux que de le faire avec Gabriel Fauré dont nous fêtons les 100 ans de sa mort. Une "Année Fauré", donc, et qui mérite ce Florilège proposé par Indésens. Les enregistrements proposés sur 2 CD s’étalent sur 50 ans, de 1974 à 2024.  

    La première partie de l’album est constituée du Quatuor pour piano et cordes n°2 op. 45 et de la première Sonate pour violon op. 13. Ces œuvres ont été enregistrées entre 2017 et 2024.

    Gabriel Fauré, dont la musique est parfois considérée à tort comme mièvre et trop classique, surprend par sa franche énergie et son audace romantique dans le Quatuor op. 45. L’ensemble constitué par Lauriane Corneille (piano), Hugues Borsarello (violon), Arnaud Thorette (alto) et Raphaël Perraud (violoncelle) restituent de concert la densité de cette pièce de 1886, en particulier l’Allegro molto moderato. La jeunesse, la vivacité et l’audace de l’Allegro molto frappent aux oreilles. On peut aussi parler d’efficacité du langage comme du sens mélodique du compositeur français. Ringard et dépassé, Fauré ? Sûrement pas à l’écoute du troisième mouvement Adagio ma non troppo, mystérieux, raffiné, élégant mais aussi doué d’une singulière modernité avec son piano central dans le quatuor (le jeu inspiré de Lauriane Corneille fait particulièrement merveille). Le finale Allegro molto achève de nous convaincre de l’importance de cette pièce à la fois puissante et lyrique.

    Le premier CD est complété par la Sonate pour violon n°1 op. 13. Elle est jouée ici au violon par Tatiana Samouil, avec David Lively au piano. La gestation de l’œuvre a duré deux ans, de 1875 à 1877, avant de trouver sa forme définitive qui a immédiatement conquis le public. Fauré impose son style fait de recherches mélodiques, d’élégance mais aussi de virtuosité (Allegro molto). Il y a cette délicatesse et cette onctuosité propre à la musique française durant la Belle Époque (le léger et espiègle Andante). Fauré insuffle tout autant une fraîcheur bienvenue dans l’avant-dernier mouvement Allegro vivo avant un finale Allegro quasi presto, enlevé, joyeux et que le duo Tatiana Samouil-David Lively mène avec éclat.  

    De véritables tubes classiques

    La seconde partie de ce double-album de Gabriel Fauré est consacré à des pièces brèves, et pour certaines archi-célèbres. Mettons de côté le Chant funéraire op. 117, tardif (il a été composé en 1921), seul opus religieux de l’album et dont la retenue méditative renvoie à son chef d’œuvre qu’est le Requiem. Le Chant funéraire est ici proposé dans une version  de l’Orchestre d’harmonie des Gardiens de la paix, dirigé par Désiré Dondeyne. Mélodies et Romances dominent ce programme, dans des enregistrements s’étalant sur 50 ans. La harpiste Marie-Pierre Langlament et le violoncelliste Martin Löhr sont les interprètes majoritairement représentés.

    Le terme angliciste de best-of n’est pas galvaudé pour ce qui est un choix de musique de chambre, à telle enseigne que les curieux et curieuses désirant mieux connaître Gabriel Fauré seront bien inspirés de se précipiter sur ce double album, et en particulier sur le second CD passionnant.

    On image l’embarras pour ne pas dire le déchirement des programmateurs dans le choix des pièces. Remarquons cependant que la première Mélodie, op. 7 (Après un rêve), est proposée dans deux versions, l’une avec harpe et violoncelle (Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr), l’autre, plus éclatante, avec trompette et piano (Eric Aubier et Pascal Gallet).

    De véritables tubes classiques sont évidemment présents, que ce soit la troisième Romance sans paroles op. 17, avec Alexandre Gattet au hautbois et le pianiste Laurent Wagschal – que les fidèles de Bla Bla Blog connaissent bien maintenant. Autre pièce majeure, La Sicilienne op. 78, toujours avec Marie-Pierre Langlament à la harpe et Martin Löhr au violoncelle. Citons aussi le léger et gracieux Papillon op. 77. Cette pièce revient plus loin dans une étonnante version pour euphonium (Lilian Meurin) et piano (Victor Metral). N’oublions pas non plus la Fantaisie op. 79 aux allures de danse fantasmagorique, avec Vincent Luca à la flûte et Emmanuel Strosser au piano ou la Romance op. 69 – romantique et mélodieuse à souhait.

    Des Huit pièces brèves op. 84, cinq ont été choisies. Laura Bennett Cameron au basson accompagnée de Roger Boutry au piano en proposent deux, le Caprocioso de la n°1 et l’Improvisation de la n°5, adaptés pour cet instrument à vent séduisant et de plus en plus en vogue. Absolument immanquable ! Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr sont de retour pour la délicate Sérénade op. 98. L’Élégie op. 24 ne pouvait pas ne pas figurer sur l’album. Elle est proposée dans une version pour harpe et violon.

    Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr – encore eux – viennent conclure ce programme avec de nouveau les Romances sans paroles op. 17. Outre le retour de la 3e Romance, Andante moderato, figurent la 1ère Andante quasi allegretto et la 2e Allegro molto. Tout l’esprit de Fauré est là : lignes mélodiques irrésistibles et expressivité tout en retenue.

    Voilà un double-album capital pour découvrir ou redécouvrir la musique de chambre d’un compositeur capital. 

    Gabriel Fauré, Florilèges, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    Voir aussi : "Bonnes chansons de Fauré"
    "Élégies pour Fauré"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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