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raphaëlle moreau

  • Rita Strohl en robe de chambre

    Depuis quelques années, la musique classique revoit de fond en comble son catalogue avec un objectif remarquable : découvrir, redécouvrir et mettre en lumière des compositrices que l’histoire a oubliées. Parmi celles-ci, il y a Rita Strohl (1865-1941). La Boîte à Pépites s’est penchée sur cette musicienne française en proposant de nouveaux enregistrements via une série de coffrets.

    Sa musique de chambre fait l’objet d’un deuxième volume (il en comportera trois), avec des interprètes passionnés qui se sont penchés sur une œuvre rare mais d’un très grand intérêt. Il convient de citer les - jeunes - musiciennes et musiciens (car quelques hommes sont aussi de la partie) qui se sont attelés à la tâche de ressusciter une compositrice oubliée. Citons ces interprètes qui se sont lancés dans cette belle aventure : les violonistes Raphaëlle Moreau, Shuichi Okada, Alexandre Pascal, les altistes Léa Hennino, Claudine Legras, les violoncellistes Héloïse Luzzati, Edgar Moreau, Aurélien Pascal, la contrebassiste Lorraine Campet, le clarinettiste Nicolas Baldeyrou, les pianistes Célia Oneto Bensaïd (dont nous avons déjà parlé sur Bla Bla Blog) et Tanguy de Williancourt, avec également le Quatuor Dutilleux pour être complet.

    À la lisière du XIXe et du XXe siècle, la carrière de Rita Strohl épouse à la fois le classicisme français, le romantisme finissant (La Grande Fantaisie sur le premier CD) et le modernisme révolutionnaire qui est certes peu présent dans ce deuxième coffret. Une vraie belle découverte que celle de Rita Strahl qui nous fait dire que décidément parler de "sexe d’une œuvre" n’a pas grand sens. Le Moderato de La Grande Fantaisie nous entraîne, sous forme d'une valse, dans les salons français, encore tout imprégnés de classicisme mais aussi d’influences folkloriques qui en font une singulière composition. Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village.  

    L’intimité le dispute à la légèreté dans le Septuor en ut mineur de 1890, avant une Romance surfant sur le mystère, l’onirique et la langueur. Cela fait de ce mouvement un joyau à ne surtout pas manquer et digne de figurer comme un des futurs grands tubes de la musique classique – on se plaît à rêver de l’utilisation qu’en ferait un réalisateur pour une BO. 

    Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village

    Il y a de la légèreté, de la grâce et de l’enfance dans cet autre opus nommé Arlequin et Colombine. Les instruments se répondent avec une harmonie au service d’un discours amoureux (Allegretto quasi andantino) teinté de mélancolie (Andante).

    Rita Strohl soigne un univers musical bien à elle passant, dans le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano (2e CD du coffret), du pathétique au romantique, avec des envolées jeunes et joyeuses (Scherzo), de la virtuosité enthousiasmante et où la patte de Bach ressurgit (Thème et variations – Andante).

    L’auditeur sera capté par la texture soyeuse du Deuxième Trio en ré mineur admirablement servi par Raphaëlle Moreau, Edgar Moreau et Tanguy de Williencourt (Andante sostenuto – Allegro). L’auditeur découvrira tout autant le prenant Andante, "très mystérieux" comme l’indique ce deuxième mouvement. Plus romantique que cela, il n’y a pas. C’est un final coloré qui vient conclure ce formidable Trio, une vraie belle et géniale découverte de Rita Strohl.

    La violoniste Héloïse Luzzati et la pianiste Célia Oneto Bensaïd apportent un supplément d’âme supplémentaire à ce deuxième CD avec Solitude, une Rêverie pour piano et violoncelle datant de 1897. L’ombre de Gabriel Fauré plane sur cette courte pièce à la puissante mélancolie. On est là au cœur de la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. La belle prise de son saisit au mieux la rondeur du violoncelle et le jeu tout en contrastes et en densité de Célia Oneto Bensaïd.  

    C’est singulièrement sur le CD 3 que l’on retrouve le Premier Trio pour piano, violon et violoncelle date de 1894. La compositrice a choisi de nommer les deux premiers mouvements, en plus des indications habituelles. Le premier mouvement, "Les adieux et le départ", est joué allegro. Voilà une scène d’adieu inhabituellement joyeuse. Invitation à se revoir ou bien plaisir de se retrouver seul ? On  laissera l’auditeur choisira ce que Rita Strohl souhaitait mettre en musique. Le deuxième mouvement, Adagio cantabile, est intitulé "Prière". Il est vrai que le contraste avec la partie précédente est saisissant. Les notes glissent et montent avec grâce, servies par une mélodie au majestueux classicisme.

    Le Quatuor Dutilleux est à la manœuvre pour nous faire découvrir le délicat Quatuor à cordes daté de 1885. Après le très court et grave Allegro ma non troppo, nous voilà partis dans un thème et des variations (Moderato) qui nous séduisent par le choix d’un mouvement passant de la séduisante mélopée aux accents baroques à la joyeuse danse devant des esprits capricieux. Voilà qui fait de ce passage un écart de la compositrice française vers la modernité.

    Celia Oneto Bensaïd vient conclure ce très beau coffret consacré à la musique de chambre de Rita Strohl avec la Musiques sur l’eau datant de 1903. L’ombre de Debussy plane sur cet opus en trois mouvements (Jeux de naïades, Barcarolle et Orage). Le jeu de la pianiste française séduit par sa simplicité, sa grâce et ses ondulations pleines de finesses, de naturel… et de naturalisme. Voilà qui permet de clore en beauté une rétrospective passionnante sur une compositrice trop vite oubliée et qui renaît aux oreilles de l'auditeur de 2024, 80 ans après sa mort. 

    Rita Strohl, Une compositrice de la démesure, Volume 2,
    Musique de chambre, La Boîte à Pepites, 2024, 3 CD

    https://elleswomencomposers.com
    https://www.presencecompositrices.com/compositrice/strohl-rita

    Voir aussi : "Album univers"
    "Résurrection"

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  • Camille Pépin, sans coup férir

    En ce 21 juin, honneur à un genre musical discret mais particulièrement passionnant : le contemporain. Et pour cette chronique, je vous ai déniché non pas une mais deux œuvres de Camille Pépin, qui s’est imposée en quelques mois comme une compositrice incontournable, à la faveur de deux albums à découvrir : Chamber Music (2017) et The Sound of Trees (2020).

    La musique contemporaine française était depuis des décennies prisonnière d’une image engoncée dans des théories et des habitudes : le sérialisme, l’aléatoire, le spectralisme, la méfiance pour l'harmonie et plus généralement les querelles de chapelle. Mais la voilà qui prouve avec Camille Pépin  (mais aussi d'autres compositeurs et compositrices) que la musique contemporaine française peut être harmonique et immédiatement attachante, sans renier pour autant à son audace formelle (le jeu de sonorités, l’apport de cultures différentes, l’influence du courant répétitif américain) comme à la paternité revendiquée avec les grands compositeurs occidentaux – Mahler, Debussy, Ravel ou Messiaen sont les grandes figures qui viennent en tête de prime abord pour ces deux opus.

    Camille Pépin avait 27 ans lorsqu’elle a proposé Chamber Music (NoMadMusic), des pièces de musique de chambre au souffle intense, et qui sont jouées par l’Ensemble Polygones, avec la mezzo-soprano Fiona McGown, la violoniste Raphaëlle Moreau et la violoncelliste Natacha Colmez-Collard.

    L’album débute avec Lyrae, une œuvre dominée par des violons implacables et torturés. Un mouvement plus lent qui scinde le morceau en deux est marqué les influences du courant répétitif américain, renvoyant à Steve Reich ou aux œuvres de Philip Glass par le Kronos Quartet, mais avec ce lyrisme tout français.

    La pierre angulaire de l’opus est Chamber music : 18 mouvements souvent très courts, ayant pour fil conducteur des cordes omniprésentes, un piano délicat et la voix mezzo-soprano de Fiona McGown, déclamant des vers de jeunesse de James Joyce (1909). Il y a une très grande cohérence dans ces pièces de Chamber Music qui sont des chants amoureux, mystiques et expressionnistes d’une très grande pureté.

    Raphaëlle Moreau est au violon pour une autre pièce, Indra : place cette fois à une musique robuste et même brutale, soutenue par des cordes tendue et nerveuses. Tout aussi sombres, les trois mouvements de Luna (Luna, Aurora et Sol) sont des mondes à eux tout seuls : des cauchemars peuplés d’êtres mystérieux et fantomatiques (Luna), parfois aériens et féeriques (Aurora), mais toujours inquiétants, menaçants et brutaux (Sol). L’album se termine avec la pièce Kono-Hana, qui semble nous réveiller d’un mauvais rêve pour nous projeter dans un univers zen, grâce au violoncelle métaphysique de Natacha Colmez-Collard.

    Compositrice incontournable pour les années à venir

    C’est pour The Sound Of Trees que Camille Pépin a reçu en début d’année une Victoire de la Musique, dans la catégorie "Compositrice de l’année". Cette pièce a été enregistrée avec l’Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek par NoMadmusic. Elle est sortie quelques jours seulement avant le Grand Confinement.

    Pour cet album, à la fois audacieux, atypique et classique, Camille Pépin côtoie Claude Debussy et Lili Boulanger et s’installe déjà comme une compositrice incontournable pour les années à venir.

    The Sound Of Trees, ce sont six mouvements qui sont des hommages à la nature et aux arbres, et dont les titres renvoient aux mille et une transformations des saisons : "Paisible, boisé", "Plus lumineux, irisé", "Céleste, planant", "Entêtant, tournoyant, hypnotique", "Apaisé, boisé" et "Mystérieux, flottant."

    Autant naturaliste qu’expressionniste, Camille Pépin et l’Orchestre de Picardie, dirigé par Arie van Beek, nous entraînent dans un environnement à la fois proche de nous et féerique ("Paisible, boisé"). Mais c’est aussi un monde qui sait avoir sa part de violence ("Plus lumineux, irisé") ou de mystère ("Céleste, planant"). Olivier Messiaen avait su faire des chants d’oiseaux des pièces contemporaines merveilleuses, passionnantes et déroutantes. Camille Pépin, elle, donne vie aux arbres vivants, pluriels et colorés ("Entêtant, tournoyant, hypnotique"). The Sound Of Trees passionne par cette place laissée à la méditation ("Apaisé, boisé") et à une forme d’hommage grave à la nature ("Mystérieux, flottant").

    L’album se termine avec trois morceaux classiques, très cohérents dans leur choix. Un Hommage à Rameau et un Mouvement tirés des Images pour piano de Claude Debussy d’abord, et deux mélodies de Lili Boulanger d’autre part (D’un soir triste et D’un matin de printemps). Camille Pépin entend ainsi marcher sur les traces de géants et de géantes de la musique. Voilà qui promet de futures œuvres passionnantes, sans coup férir.

    Camille Pépin, Chamber Music, Ensemble Polygones, NoMadMusic, 2019
    Camille Pépin, The Sound of Trees, Orchestre de Picardie,
    direction Arie van Beek, NoMadMusic, 2020

    https://www.camillepepin.com
    https://www.facebook.com/camillepepincompositeure
    https://www.nomadmusic.fr/fr/label/artistes/camille-pepin

    Voir aussi : "Boulez, le maître au marteau"
    "Joue-la comme Proust"

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