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shoah

  • L’indicible en musique

    Il y a près de 15 ans, sortait l’incroyable, dense et terrible roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes. Multirécompensé, Prix Goncourt quasi indiscuté, ce récit implacable à la première personne d’un SS racontant ses années de guerre, et en particulier sa participation au génocide juif, à la Shoah par balles et aux chambres à gaz, sur fond de drame antique et de rappels mythologiques (les fameuses Bienveillantes, ces déesses de la justice et de la vengeance, mis en scène il y a plusieurs siècles par Eschyle dans Les Euménides), ce récit terrible donc fait aujourd’hui l’objet d’un opéra composé par Hèctor Parra, sur un livret en allemand de Händl Klaus.

    Avec cette commande de l’Opéra Ballet Vlaanderen suggérée par le metteur en scène Calixto Bieito, nous voilà plongés dans une création ambitieuse, baroque et puissante, ne serait-ce que parce qu’elle nous rappelle le pouvoir hypnotique et expressif – pour ne pas dire expressionniste – de la musique contemporaine. La maison de disques b•records propose ici une captation datant de mai 2019 à l’Opéra de Gand. Pourquoi une œuvre lyrique sur Les Bienveillantes et pas une adaptation cinéma ou télé ? Le livret dévoile "le désir impérieux [de Jonathan Littell] de réserver la représentation visuelle des Bienveillantes aux seuls spectacles vivants".

    Dès les premières mesures, l’auditeur se trouve entraîné dans les mots du narrateur et personnage principal, Maximilian Aue. La musique volontairement dissonante, les attaques des cordes et le récitatif musclé de Peter Trantsits lancent un opéra à la fois très actuel mais puisant dans des sources musicales classiques ou plus modernes – Bach (les mouvements Toccata, Courante, Sarabande, Gigue), Chostakovitch (la Symphonie "Babi Yar") ou Berg. La dernière partie de la Sarabande ("Ich tat es") est à cet égard éloquente. Dans le livret complet et passionnant, on pourra y trouver de la main du compositeur un plan musical de l’opéra montrant le substrat musical utilisé, de Bach à Zimmermann, en passant par Berg, Bruckner ou Chostakovitch, justement.  

    C’est du reste Alban Berg qui vient le premier en tête dès l’écoute des premières notes. Rugueux et saisissant comme le roman, l’opéra d’Hèctor Parra prend aux tripes par sa dimension universelle : "Frères humains, laissez-moi vous raconter comment c’était", débute ainsi l’œuvre en allemand (le roman a été écrit en français, la langue qu’utilise couramment le personnage après la guerre). Des ombres terrifiantes planent au-dessus de cette histoire, à l’exemple du chœur de l’Allemande I & II, "Ein Leichengebirge", puissante et quasi insoutenable évocation des exécutions par balles lors de la première phase de la Shoah dans l’Est de l’Europe. 

    Opéra exigeant, impitoyable mais aussi aux multiples influences intellectuelles et artistiques

    Mais Les Bienveillantes c’est aussi le récit personnel de Maximilian Aue où l’inceste et le crime prennent une place importante (Courante). Nous entrons là au cœur des Bienveillantes, avec ces références à la tragédie grecque, à Oreste, à Électre, aux Érinyes et aux Bienveillantes (Euménides).

    Les influences musicales et littéraires d’Hèctor Parra sont nombreuses, comme le souligne le riche livret. Il fallait un certain sang-froid pour mettre en musique et sur scène un récit aussi sombre s’étalant sur environ mille pages. Pour ce faire, le compositeur s’est nourri de sources parfois anciennes : la Passion selon s. Jean de Bach dans la structure – l’auditeur pourra penser au début de la Courante, avec le viol d’une femme pendue. On avait parlé de Berg (Wozzeck, Lulu). Le compositeur s’est aussi inspiré de chansons populaires allemandes, voire des comptines pour enfants. Le Crépuscule des Dieux de Wagner apparaît également au début de la Gigue.

    L’opéra exigeant, impitoyable mais aussi aux multiples influences intellectuelles et artistiques est exactement à l’image du personnage principal, un nazi cultivé et féru de Rameau ou Bach. Voilà qui en fait un homme complexe, "polyvalent" pour reprendre un terme du livret. Il faut toute la souplesse en même temps que la puissance du ténor Peter Tantsits pour incarner ce "frère humain" aux tourments intérieurs bien présents en raison et surtout en dépit des atrocités indicibles qu’il commet au nom d’une idéologie absurde. Une interprétation incroyable et d’une exigence absolue.

    En parcourant l’Europe en guerre, des fosses de Baby Yar à Berlin, en passant par Stalingrad et Auschwitz, Benjamin Littell, puis Hèctor Parra avec son adaptation lyrique, font des Bienveillantes une cruelle et tragique fable sur l’humanité et l’inhumanité. Les souvenirs d’enfance, les traumatismes, les frustrations et finalement la mort – celle de la mère et du beau-père de Maximilian – apparaissent comme de singuliers contrepoints tragiques mais qui viennent d’autant faire des Bienveillantes une authentique tragédie à la fois personnelle et universelle.

    Arrivé dans le dernier quart de l’opus, le Menuet entraîne l’auditeur dans le lieu le plus emblématique et le plus terrible de la Shoah, à savoir Auschwitz. C’est singulièrement sous le titre Menuet que s’ouvre cette partie, avec des violons lugubres accompagnant les plaintes d’Una (l’impeccable Rachel Harnisch) et des percussions menaçantes.

    La force de cette évocation des chambres à gaz est contrebalancée par sa brièveté, l’opéra suivant ensuite la fuite de Maximilian Aue au fur et à mesure que les troupes alliées s’avancent jusqu’en Allemagne. Hèctor Parra fait des derniers tableaux, audacieux et dans le texte et dans la musique, un voyage au bout de l’enfer où la cruauté de la guerre n’a d’égale que la perversité sexuelle de Maximilian Aue. L’opéra monstrueux ne se prive pas de bouffonnerie lorsque l’officier nazi réfugié à Berlin conte sous forme d’un long récitatif son attaque grotesque contre Hitler – il lui mord le nez !  

    Tout cela fait de l’opéra Les Bienveillantes une œuvre incroyable de puissance et d’audace, au point de heurter pas mal de sensibilités, mais toujours au service de l’humanité, de l’indicible mais aussi de la justice – s’il y en a une.  

    Hèctor Parra, Les Bienveillantes, livret de Händl Klaus
    D’après le roman de Jonathan Littell
    Orchestre Symphonique de l’Opéra Ballet de Vlaanderen dirigé par Peter Rundel
    Mise en scène de Calixto Bieito
    Chœurs de l’Opéra Ballet de Vlaanderen
    Avec Peter Tantsits, Rachel Harnisch, Günter Papendell, Natascha Petrinsky et David Alegret,
    b•records, coll. Villa Médicis Live, 2024
    https://www.b-records.fr/les-bienveillantes
    https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Jonathan-Littell
    https://www.operaballet.be
    https://www.hectorparra.net/bio/fr

    Voir aussi : "Marie Ythier, sans l’ombre d’un doute"
    "La terreur au grand jour"

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  • La Zone d’intérêt

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film La Zone d’intérêt. Il sera visible du 15 au 20 février 2024. Soirée débat le lundi 20 février à 20h30.

    Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

    La Zone d’intérêt, drame américain  de Jonathan Glazer
    avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus, 2024, 106 mn
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1417

    Voir aussi : "La Rivière"

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  • Jan Karski

    yannick haenel,jan karski,roman,confrérie,seconde guerre mondiale,shoah,jan karskiEn 1942, Jan Karski est désigné comme messager de la résistance polonaise pour avertir les Alliés du sort fait aux Juifs. Arrivé aux Etats-Unis, Karski s'emploie au mieux dans sa mission et parvient à rencontrer Roosevelt, sans résultat hélas, pour les Juifs européens.

    Cette vie aventurière de Jan Karski (décédé en 2000), Yannick Haenel choisit de la traiter sous une forme hétéroclite, mi roman, mi récit. Ce choix artistique explique en partie la polémique qui concerne ce livre sorti en 2009. Le roman s'articule en trois parties : la première parle du témoignage de Karski pour le film Shoah de Claude Lanzmann) ; la seconde parle toujours sous forme d'un récit du parcours de Karski de ses premières années jusqu'à son rôle de messager ; la troisième, la plus polémique, est écrite à la première personne. Haenel prend la liberté de se mettre à la place de Karski pour évoquer l'échec de sa mission.

    Cette dernière partie a provoqué les foudres des historiens et aussi de Jacques Lanzmann, accusant l'auteur de malhonnêteté intellectuelle et d'approximations. Un livre certes imparfait mais qu'il faut lire, au moins pour connaître la vie de ce très grand résistant qu'était Jan Karski.        

    Yannick Hanenel, Jan Karski, éd. Gallimard, 2011, 208 p.
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2010/01/26/16671707.html
    https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Jan-Karski

    Voir aussi : "Les champs d’honneur"

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  • Varsovie, 1943 / 2023

    Ce 19 avril 2023, nous commémorons un triste, tragique mais héroïque anniversaire : celui du début du soulèvement du Ghetto de Varsovie.

    Hier, je vous parlais de l’hallucinant et terrifiant album d'Auschwitz. Aujourd’hui, cette chronique est consacrée à l’incroyable révolte des Juifs polonais promis à une mort atroce. Elle fait l’objet du podcast de France Culture et Radio France, Le soulèvement du ghetto de Varsovie : 19 avril 1943, une série en quatre épisodes, réalisé par Laure-Hélène Planchet.

    Le premier épisode est consacré à l’histoire et à la vie de l’effroyable ghetto. Quinze minutes, c’est évidemment court pour raconter un des épisodes tragiques de la Shoah et la condition de vie misérable de ses habitants. 400 000 juifs et juives, hommes, femmes, enfants et personnes âgées, vivent dans un peu plus de 3 km². Les témoignages de l’INA donnent à entendre des scènes à peine imaginables : la mort omniprésente, la famine, les manipulations des autorités allemandes et ces scènes de survie effroyables.

    750 jeunes, hommes et femmes de 14 à 25 ans

    Les trois principaux épisodes reviennent sur les quatre semaines héroïques qui ont conduit près de 750 jeunes, pour la plupart des hommes et femmes de 14 à 25 ans, à se procurer des armes pour se défendre et finalement résister face à l’armée la plus puissante du monde. L’histoire se terminera bien sûr tragiquement pour cette armée de guérilla urbaine. La série explique que cette révolte débute alors que les Allemands lancent une deuxième rafle de grande ampleur sur le ghetto afin d’envoyer ses habitants vers les camps de la mort – essentiellement Treblinka.

    Le 19 avril 1943, la veille de la Pâque juive, une révolte éclate grâce à des moyens rudimentaires mais avec deux atouts pour les jeunes combattants et combattantes : la connaissance du ghetto et la certitude qu’ils n’ont plus rien à perdre. Par contre, ils rencontreront peu d’aide chez les Polonais non-juifs comme chez les Alliés. Le 16 mai 1943, le ghetto est définitivement "liquidé", selon le vocable des bourreaux nazis.

    Les quatre épisodes de France Culture sont passionnants grâce aux témoignages des rescapés de cet événement qui est resté dans la mémoire collective. Outre les voix des survivants et survivantes, captés entre 1964 et 1998 –Marek Edelman, Cywia Lubetkin, Symcha Rotem, Krystyna Budnicka, Halina Aszkenazy, Régine Poloniewska, Stanislaw Tomkiewicz, Léon Abramowicz, Gutka Steinberg, Henry Favel, Lola Liblau, Marek Rudnicki et Pierre Ruff – une voix off lit des extraits du rapport Stroop, rédigé en mai 1943 par Jürgen Stroop, membre de la Waffen-SS et commandant des forces allemandes qui liquidèrent le ghetto de Varsovie.  

    Podcast "Le soulèvement du ghetto de Varsovie : 19 avril 1943"
    Un podcast en 4 parties d’environ 15 minutes, produit par Joanna Szybist, réalisé par Laure-Hélène Planchet
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-l-insurrection-du-ghetto-de-varsovie-19-avril-1943

    Voir aussi : "L’homme de pierre"
    "Auschwitz en photos"

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  • Auschwitz en photos

    Un album d'Auschwitz, essai exceptionnel paru chez Seuil dans sa version française, est consacré à un recueil qui ne l’est pas moins, et qui est parvenu jusqu’à nous par un hasard aussi tragique qu’incroyable.

    En 1944, alors que la Solution Finale contre les Juifs européens bat son plein, les pontes de la SS, dont Ernst Kaltenbrunner, Heinrich Himmler et Rudolf Höss, le responsable d’Auschwitz, ont l’idée d’immortaliser en photos "l’efficacité" de la machine de mort nazie. Entre mai et août 1944, le "Programme Hongrie" organise la déportation de près de 600 000 juifs hongrois - qui seront pour la plupart tous exterminés. Deux photographes allemands, Bernhard Walter et Ernst Hoffmann sont chargés de multiplier des clichés qui serviront de bases à une dizaine d’albums.

    Un seul est retrouvé par une déportée hongroise, Lili Jacob. En avril 1945, alors qu’elle est mourante et que les troupes américaines approchent du camp de Mittelbau, elle tombe sur cet album d’Auschwitz. En dépit de l’utilisation de quelques clichés pour des procès, dont celui d’Eichmann, l’album reste curieusement dans l’ombre. Le voilà maintenant restitué et analysé dans cet essai incroyable autant que bouleversant.

    Ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants – beaucoup d’enfants

    Rarement une source historique n’a été autant scrutée et étudiée. Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller analysent les lieux des crimes, Auschwitz, l’un des nombreux sites de mise à mort dans l’Europe nazie, devenu symbolique pour son étendue, son "efficacité" et finalement le nombre de victimes. En ayant l’idée perverse de laisser des preuves photographiques de leur crime – bien qu’aucune photo ne montre chambres à gaz et fours crématoires, hormis deux clichés ajoutés sur le tard – les dignitaires, militaires, responsables des camps et forces supplétives laissent à l’histoire les images d’un des plus grands crimes de l’humanité.

    Le lecteur sera secoué devant les files de déportés. Ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants – beaucoup d’enfants ! – affrontent l’objectif. La plupart mourront peu après. Pas de morts sur ces photos – hormis la silhouette d’une vieille femme morte d’épuisement – et la violence ne surgit qu’épisodiquement – une canne à la main d’un officier, une vieille femme conduite par deux hommes vers la mort et les tours d’un four crématoire. Le lecteur sera frappé par ces clichés où des milliers de personnes arrivent sur les quais du camp nazi, des ballots de bagages et des foules de déportés attendant dans un bois que les chambres à gaz, mis à contribution, se libèrent.

    Il a souvent été dit que les Juifs exterminés étaient conduits à la mort sans se défendre. Quelques indices nous indiquent qu’il n’en a rien été : les regards plein de défiance, les tentatives de révolte, mais aussi ces langues tirées avec affront en direction du photographe et de leurs bourreaux. Gestes faussement anodins, mais riches de sens.    

    Tal Bruttmann, Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, Un album d'Auschwitz,
    Comment les nazis ont photographié leurs crimes,
    préface de Serge Klarsfeld, trad. Olivier Mannoni, éd. Seuil, 2023, 304 p.

    https://www.seuil.com/ouvrage/un-album-d-auschwitz-tal-bruttmann/9782021491067

    Voir aussi : "La terreur au grand jour"

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  • Anne et Hannah

    On ne va pas se mentir : l’histoire d’Anne Franck n’a jamais été aussi bien traitée que par le film de George Stevens (The Diary of Anne Frank, 1959) et bien entendu par le Journal d’Anne Franck. Le manuscrit de l’adolescente néerlandaise, retrouvé par miracle par son père après la guerre, est par la suite devenue une œuvre majeure de la littérature mondiale, le journal le plus célèbre du monde et aussi une des pierres angulaires de la littérature concentrationnaire.

    Le film Anne Frank, ma meilleure amie, proposé par Netflix, est consacré à ce sujet sensible et difficile sous un biais inattendu. Il fallait être culotté pour revenir sur ce récit, ce que Ben Sombogaart et ses deux interprètes principales, Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer, font avec conviction.

    Le film est tout d’abord inspiré d’une histoire vraie, celle d’Hannah Goslar, toujours vivante en 2022, qui a été la plus proche amie d’Anne Franck. Adolescentes lorsque les Pays-Bas sont envahis par l’occupant nazi, les deux jeunes juives vivent de plein fouet l’antisémitisme et les rafles qui font rage.

    Elles se vouent une amitié solide en dépit de leur caractère opposée : Hannah est réservée, presque effacée, alors qu’Anne, la future auteure du Journal, se montre drôle, prolixe, ambitieuse (elle rêve d’être écrivaine connue et de parcourir le monde), avec parfois des réactions qui laissent son amie désarçonnée.

    Ce sont des adolescentes comme il en existe des millions par le monde : l’école, les jeux, les premiers émois, les dragues avec les garçons et les amitiés, tantôt trahies tantôt respectées jusqu’à la mort. Et c’est justement la mort qui rôde autour de ces jeunes filles. 

    Une amitié exceptionnelle et bouleversante

    Anne Frank, ma meilleure amie n’est pas le récit des deux années de clandestinité dans l’Annexe d’Amsterdam où elle et sa famille se sont cachées pour échapper à leur arrestation. Cette arrestation aura finalement lieu en août 1944. Anne Franck meurt l’année suivante, en avril 1945, à  Bergen-Belsen.

    C’est du reste dans ce camp de concentration qu’ont lieu plusieurs scènes majeures du film. On y suit Hannah, déportée comme son amie. Elle est persuadée qu’Anne a émigré en Suisse, suite à une lettre laissée par son père Otto. Elle s’aperçoit de son erreur : non seulement son amie n’a jamais quitté Amsterdam, mais en plus elle a été arrêtée comme elle et est détenue dans le même camp. La retrouver et lui parler devient son obsession.

    Ben Sombogaart alterne les épisodes à Amsterdam, préludes au cauchemar qui s’annonce et la  reconstitution d’un camp de concentration avec une Hannah Goslar s’accrochant à la vie et prenant une fillette sous sa protection. Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer dans le rôle d’Anne Franck sont formidables de justesse. Le refus d’édulcorer le personnage de la jeune auteure est louable. Par contre, le public sera sans doute déçu que sa période de clandestinité dans l’Annexe soit volontairement mise de côté.

    L’essentiel n’est pas là : le jeune public va pouvoir grâce à Netflix découvrir voire redécouvrir la figure majeure d’Anne Franck et pourquoi pas lire son indispensable Journal. Le film, lui entend surtout insister sur une amitié exceptionnelle et bouleversante.  

    Anne Frank, ma meilleure amie, drame historique de Ben Sombogaart,
    avec Josephine Arendsen, Aiko Mila Beemsterboer et Roeland Fernhout, 2021, 103 mn, Netflix

    https://www.netflix.com/fr/title/81248111
    https://www.annefrank.org

    Voir aussi : "Naissance de Marcel Marceau"
    "Cours, Etsy, cours"

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  • Gino Bartali, Juste Champion

    Exceptionnels destin et carrière que ceux de Gino Bartali !

    Les fans de cyclisme connaissent le champion et ses deux victoires au Tour de France, l’une en début de carrière en 1938 et l’autre à la toute fin, dix ans plus tard, en 1948, alors que le champion italien va sur ses 40 printemps. L’exploit est encore inégalé à ce jour.

    La performance est d’autant plus remarquable que la carrière du cycliste a été stoppée net par la seconde guerre mondiale, et là est justement le cœur de la bande dessinée de Julian Voloj et Lorena Canottiere, Gino Bartali, Un champion cycliste parmi les Justes (éd. Marabulles).

    Figure sportive autant qu’héroïque, Gina Bartali naît en Italie dans un village près de Florence. Ses origines modestes le destinent à une existence modeste – maçon comme son père ou ouvrier agricole comme sa mère. Mais c’est le vélo, qu’il découvre jeune, qui le passionne. Côtoyer son cousin Armando mais aussi et surtout son ami Giacomo Godbenberg ont un impact décisif sur son existence et sur sa vie. D’abord parce que la bicyclette a eu une place prépondérante dans les jeunes années de ces garçons, et aussi en raison des origines juives du petit Giacomo, fils d’expatriés russes.

    Rapidement, de courses amateurs en critériums semi-professionnels, Gino Bartali excelle dans les courses à vélo, jusqu’à obtenir ses premiers prix. Sport déjà populaire, le cyclisme est également vu comme une arme idéologique et patriotique dans l’Italie mussolinienne.

    Attachant et comme invulnérable

    Compétiteur dans l’âme, Gino Bartali arrive au Tour de France 1937 comme favori mais il lui faut attendre un avant avant de remporter le Maillot Jaune. Il est le deuxième Italien à remporter la plus importante course du monde. C'est pain bénit pour Mussolini qui rêve de faire de Bartali un des nouveaux héros italiens, "mais dans son pays, le fait qu’il n’encense pas le fascisme et qu’il ne mentionne pas le Duce dans son discours de remerciement fut remarqué."

    Ce premier acte de courage n’est pas le dernier pour celui qui est le plus grand sportif italien de son époque. Sa carrière est cependant compromise avec la seconde guerre mondiale, et contre toute attente, Gino Bartali choisit de se mettre au service de la Résistance et de la lutte contre l'antisémitisme.

    Les fans de cyclisme se précipiteront sur cette bande dessinée élégante et sensible consacrée à une des figures majeurs du vélo, double vainqueur du Tour de France et véritable héros dans son pays. Gino Bartali a été un peu oublié de ce côté des Alpes et cette BD est un excellent moyen de se souvenir de lui, de son parcours, de ses choix et de sa carrière qui aurait pu être bien différente sans le conflit mondial de 39-45 et des dictatures nazies et fascistes du XXe siècle.

    Sur un scénario dense et héroïsant le champion péninsulaire, Lorena Canottiere, Grand Prix Artemisia 2018 pour l’album Verdad, utilise des couleurs pastel rose et orangées. Il y a une certaine douceur, pour ne pas dire naïveté, dans les traits de ses personnages. En dépit de la dureté de cette période, les événements les plus tragiques sont évoquées avec pudeur pour ne garder que l’essence de l’athlète italien, attachant, héroïque, généreux et comme invulnérable. 

    Julian Voloj et Lorena Canottiere, Gino Bartali, Un champion cycliste parmi les Justes,
    éd. Marabulles, 2021, 128 p.

    https://www.yadvashem.org/fr/justes/histoires/bartali.html

    Voir aussi : "Le philosophe aux plateaux"
    "Lev Yachine, l’araignée dorée"

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  • Épitaphe pour Charlotte Salomon

    Ce qui frappe d’emblée dès les premières lignes de Charlotte, que David Foenikinos a publié en 2014, c’est la composition du texte.

    L’auteur a opté pour un texte écrit sous forme de versets. Vrai récit, faux roman, pas tout à fait un poème, on serait tenté de dire que c’est une épitaphe qu’écrit David Foenkinos. Une épitaphe sur 250 pages autour d'une artiste terrassée pendant ses jeunes années, en pleine seconde guerre mondiale.

    Charlotte fait partie de ces œuvres personnelles que l’écrivain français présente ainsi : "Pendant des années, j'ai pris des notes. / J'ai parcouru son œuvre sans cesse. / J'ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans. /  J'ai tenté d'écrire ce livre tant de fois. / Mais, comment ? / Devais-je être présent ? / Devais-je romancer son histoire ? / Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?"

    Mais qui est cette Charlotte en question ? 

    Charlotte est, pour commencer, l’histoire de la peintre Charlotte Salomon et de famille juive allemande, marqués par des tragédies et des suicides – celui d’une tante en 2013 puis de sa mère alors qu’elle est une jeune enfant. La jeune fille, à l’intelligence et la sensibilité développés, est élevée par son père Albert, remarié avec une chanteuse lyrique, Paula Lindberg qui l’élève comme sa propre fille. C’est indirectement grâce à cette dernière que Charlotte rencontre l’homme qui va la marquer durablement, Alfred Wolfsohn, musicologue, professeur de chant et pédagogue exceptionnel.

    Une épitaphe sur 250 pages

    Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, la vie devient de plus en plus dure, dangereuse et cruelle pour cette famille juive allemande. Mais c’est aussi au cours de cette période que Charlotte s’ouvre à l’art, et en particulier à l’art pictural.

    La seconde guerre mondiale éclate et Charlotte est envoyée en France, en sécurité croit-on. Elle rejoint sur la Côte d’Azur ses grands-parents maternels, loin d’Albert, Paula et Alfred. Mais ce qui devait être des retrouvailles familiales et un soutien se transforme en cauchemar pour la jeune femme. 

    La vie de Charlotte Salomon est de celle qui a été, à ma connaissance, oubliée. Elle a laissé une œuvre unique et autobiographique, Leben? oder Theater? (Vie ? Ou théâtre ?). On sait que les artistes féminines ont été largement oubliées dans l’histoire de l’art et dans les galeries des grands musées. Le récit biographique et romancé de Charlotte Salomon est un moyen de découvrir cette œuvre totale et personnelle mêlant des centaines de gouaches et d’aquarelles, des textes et de la musique.

    Après avoir lu Charlotte de David Foenkinos, un roman bouleversant jusque dans ses dernières pages, il est certain que la curiosité vous mènera sur les pas de Charlotte. L’écrivain lui a fait la plus belle des épitaphes et le plus beau des hommages.

    David Foenkinos, Charlotte, éd. Gallimard, 2014, 256 p.
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "À la place du mort"

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