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Stanley Kubrick [2] : Émancipation d'un génie
Plus que Spartacus, c’est le film suivant, Lolita, qui va être déterminant dans la carrière de Kubrick.
Alors que Kirk Douglas le contacte pour qu’il tourne ce péplum flamboyant, le cinéaste travaille déjà sur un autre projet : l’adaptation du roman de Vladimir Nabokov, Lolita. Sorti aux États-Unis en 1958, ce livre scandaleux a été un succès public et critique. Kubrick et son fidèle associé Harris, qui ont acheté les droits, négocient avec la United Artists pour faire ce film tout en gardant le contrôle absolu sur sa réalisation. Après avoir obtenu gain de cause, ils s’envolent en 1962 pour la Grande-Bretagne afin de bénéficier de clauses financières plus intéressantes. James Mason est engagé. La jeune Sue Lyon (14 ans à l’époque) est recrutée pour jouer le rôle de Lolita et Peter Sellers est choisi comme second rôle. Cette histoire d’amour entre une jeune adolescente et un homme mûr parvient à contourner la censure anglaise grâce à la grande diplomatie de Kubrick et à sa mise en scène tout en nuance. L’humour n’est pas absent de ce drame amoureux, pas plus que les attitudes ambiguës des personnages secondaires. Au final, ce film au budget moyen, tourné en quelques semaines, s’avère non seulement rentable commercialement mais en plus il installe Kubrick parmi les cinéastes les plus en vue. Après Lolita, ce dernier est conforté dans son désir de contrôler de A à Z ses créations, de la production jusqu’au montage et à la musique.
De retour aux États-Unis, il s’attaque à un thème bien différent : la course à l’arme atomique. Après le choix de l’adaptation d’un roman sombre de Peter George (Red Alert), Kubrick confie au journaliste satirique Terry Southern le soin d’en faire un scénario loufoque. Le titre complet en anglais est lourd de sens : Dr Strangelove : or How I learned to Stop Worrying and Love the Bomb (que l’on pourrait traduire par : Dr Folamour : ou comment j’ai arrêté de m’en faire et que je suis tombé amoureux de la Bombe). Docteur Folamour raconte l’histoire d’un bombardier sommé par erreur de larguer des ogives nucléaires sur l’URSS, ce qui déclenche l’apocalypse nucléaire. Ce film très sarcastique et pessimiste (et aussi avec une forte connotation sexuelle !) permet à Kubrick de retrouver deux acteurs qu’il avait déjà mis en scène, Peter Sellers et Sterling Hayden. Après la fin du tournage en 1963, Kubrick passe au montage, qui dure huit mois et aboutit à un film proche de la perfection. C’est aussi un succès critique et commercial.
L’année de la sortie de Docteur Folamour, Kubrick rencontre Arthur C. Clarke. Ils décident de collaborer à un film de science-fiction. Clarke propose comme point de départ sa nouvelle La Sentinelle, écrite en 1948. Le sujet de cette histoire est la découverte par des astronautes d’un tétraèdre extraterrestre sur la lune. Kubrick et Clarke travaillent simultanément sur ce projet : le scénario du film pour Kubrick et un roman, 2001 : l’Odyssée de l’Espace pour Arthur C. Clarke. Ces deux œuvres seront des succès autant que de véritables classiques. Le parti pris du cinéaste est de construire une vaste saga de l’humanité depuis la naissance de l’intelligence humaine plusieurs milliers d’années avant notre ère jusqu’à la rencontre avec de nouvelles intelligences (artificielle puis extraterrestre) dans le futur.
On ne soulignera pas assez à quel point 2001 : l’Odyssée de l’Espace, film de science-fiction autant que fable philosophique et poétique, est d’une puissance et d’une ambition sans égale. Cette œuvre mythique a marqué le cinéma comme jamais. Kubrick, cinéaste confirmé en pleine maîtrise de sa technique, use de moyens jamais vus pour ce tournage. Il s’entoure de techniciens renommés et s’appuie sur des outils révolutionnaires de la NASA pour élaborer un film aussi impressionnant que magnifique. Il y a eu sans nul doute un avant et un après 2001 : l’Odyssée de l’Espace. Signe des temps, le film est sorti en 1968, année révolutionnaire s’il en est !
Vers cette époque, la vie de Kubrick commence à fasciner la presse. Installé à Londres avec sa femme et ses trois filles, sa vie personnelle est surveillée par les médias. On le sait hyperactif, méticuleux jusqu’à l’obsession et capable de documentations phénoménales pour ses projets.
En 1971, Kubrick s’attaque à l’adaptation du roman d’Anthony Burgess, Orange mécanique. Là encore, l’auteur de Lolita frappe fort mais pas là où on l’attendait. En suivant l’itinéraire criminel de jeunes adolescents puis l’histoire de la réintégration mouvementée d’Alex, le leader de ce gang dans la société, Kubrick déclenche la polémique. Certains auteurs de faits violents à l’époque l’accusent de les avoir inspirés. Les images chocs ont tout pour susciter l’indignation de la censure (scènes de viols, détachements des personnages principaux devant leurs méfaits, notions fluctuantes du bien et du mal). Aux Etats-Unis, le film est classé X. Pour stopper la vague d’indignation en Grande-Bretagne, Kubrick choisit d’arrêter de lui-même la diffusion de son film dans ce pays. Il n’y sera autorisé qu’en 2000, soit un an après la mort du cinéaste.
Fort du soutien de la Warner, Stanley Kubrick peut se permettre un contrôle artistique absolu sur sa création artistique, tout en pouvant user de budgets conséquents. Son souci de perfection atteint des sommets avec Barry Lyndon, un film longtemps sous-estimé. Il s’agit d’une adaptation du roman anglais de William Makepeace Thackeray, Les Mémoires de Barry Lyndon, écrit en 1844 et racontant à la première personne la réussite sociale puis la chute d’un parvenu irlandais au XVIIIe siècle. Kubrick choisit cependant pour voix off celle d’un narrateur anonyme, donnant au personnage de Lyndon une distance froide et cynique.
Le tournage de Barry Lyndon est devenu légendaire : tournages aux chandelles (grâce à un objectif mis au point par la NASA ! – 2001 : l’Odyssée de l’Espace n’est pas loin!), costumes historiques achetés par Kubrick lui-même et copiés méticuleusement, perruques réalisées avec les cheveux de jeunes Italiennes entrant au couvent, répétitions incessantes des acteurs, décors entièrement naturels, prises innombrables et épuisantes pour l’équipe de tournage. À sa sortie en 1975, et bien qu’il soit considéré comme un chef d’œuvre primé à de multiples reprises, le public boude cette fresque somptueuse.
Stanley Kubrick doute : durant cette période, il se demande comment il pourra rebondir...