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underground

  • Contre Mike Diana

    Si Mike Diana est entré dans l’histoire de l’art et de la justice c’est en raison d’un procès singulier survenu il y a un peu plus de 30 ans. Nous sommes en mars 1994 en Floride, dans le comté de Pinellas. Mike Diana a à peine 25 ans et produit une série de dessins et de BD pour plusieurs fanzines confidentiels, dont la revue Boiled Angel ("Ange bouilli" en français) qui peine à dépasser quelques dizaines de lecteurs. Une production underground amenée à tomber dans l’oubli sans un policier trouvant des liens entre des dessins de ce fanzine et des meurtres particulièrement horribles dans la région.  

    Finalement, le procureur de l’époque retient la plainte d’obscénité, une première dans un pays libéral comme les États-Unis, premier producteur en outre de matériaux pornographiques.

    Dans Disgrâce en Amérique, paru aux éd. White Rabbit Prod, Pierre Dourthe revient sur cette affaire hors-norme et sur les 10 ans de la production de Mike Diana, entre 1988 et 1997. ajoutons que l’artiste est toujours en activité aujourd’hui.

    La monographie s’intéresse à l'artiste américain underground grâce à de nombreuses illustrations et planches à ne pas mettre entre toutes les mains. L’art de Mike Diana est en effet volontairement provocatrice et ne s’empêche aucun interdit. Sexe, violence, tortures, mutilations et toutes les perversités possibles et imaginables constituent cet univers singulier. Le dessin est "rudimentaire" comme le précise Pierre Dourthe. La facture du dessin est naïve, les traits réduits à leur plus simple expression et les décors quasi inexistants. 

    À ne pas mettre entre toutes les mains

    Le grotesque le dispute au morbide et les personnages apparaissent comme des caricatures soumises à toutes les perversités. La religion – le christianisme en l’occurrence – en prend pour son grade, avec ses symboles détournés. Monstres, extra-terrestres et animaux viennent compléter ce bestiaire parfois difficilement supportable.

    Le procès en valait-il cependant la chandelle ? C’est là que la question se pose de manière pertinente. Au début des années 90, Mike Diana est un adolescent inconnu proposant ses œuvres à des magazines confidentiels, parfois photocopiés et agrafés sommairement – maintenant des objets culturels à la valeur marchande certaine. Cependant, l’Amérique traditionnelle et puritaine est bien décidée à ne pas laisser passer ce qui ressemble à une série de créations qu’elle considère comme obscène.

    Pierre Dourthe s’interroge longuement sur la question à la fois du jugement moral et de l’utilité sociale d’un tel procès. "Que fait le dessin de Mike Diana ?" se demande-t-il. La brutalité des crimes, leur gratuité, leur absence de justification et, plus que tout, leurs violences sans limite font dire que l’artiste fait de la dérision et de la raillerie le cœur de son œuvre. Le lecteur aura d’ailleurs en-tête la participation à un projet postérieur, celui d’un jeu de société, The Rape Game! Ce faisant, Mike Diana se pose en pourfendeur de la morale traditionnelle, ce que les accusateurs de l’artiste ne pouvaient ou ne voulaient pas admettre. Pire pour eux, c’est aussi aux rituels et aux institutions chrétiennes que s’attaque le dessinateur dans plusieurs créations.

    Pierre Dourthe souligne, tout comme Nicolas Le Bault dans la préface, que le premier amendement de la constitution américaine sur la liberté d’expression ne pouvait protéger Mike Diana des foudres de la censure. Au final, les outrances de Mike Diana n’ont pas été freinées par la décision judiciaire de 1994, loin s’en faut. Pour autant sa condamnation interroge sur la notion d’œuvre d’art, sur la place de la morale, sur la capacité d’une cour de justice de rendre des décisions esthétiques et, plus généralement sur la notion de liberté d’expression. Il est au final frappant que de telles questions ont été posées à cause de fanzines confidentielles qui auraient très bien pu rester complètement oubliés.  

    Pierre Dourthe, Disgrâce en Amérique, Dix ans de l'art de Mike Diana (1988-1997),
    éd. White Rabbit Prod, 2024, 176 p.

    https://www.whiterabbitprod.com/product/pierre-dourthe-mike-diana-disgrace-in-america
    https://www.facebook.com/story.php?story_fbid=955285119971830&id=100064710515208
    https://www.instagram.com/mikedianaboiled
    https://mikedianacomix.com

    Voir aussi : "Rêves violents"
    "Visages de la peur"
    "Au-delà du miroir"

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  • L’inquiétant familier d’Anne van der Linden

    La passionnante monographie consacrée à la peintre et dessinatrice Anne van der Linden permet de plonger et de découvrir – ou redécouvrir – le parcours d’une artiste importante de l’underground français.

    Frederika Abbate est aux commandes de cet essai richement illustré et commenté, Anne van der Linden, Cavalière de la tempête (éd. White Rabbit Prod), une artiste pas tout à fait inconnue à vrai dire de Bla Bla Blog, puisqu’elle apparaît régulièrement dans les publications de White Rabbit Dream. Le lecteur trouvera dans cette monographie une étude à la fois complète, sérieuse et documentée sur l’œuvre d’une artiste dont le parcours a été à la fois sinueux et cohérent.

    Née à Paris de parents expatriés et biberonnée par l’art, Anne van der Linden a été marqué dès le début de sa carrière par l’influence des mouvances contestataires de mai 68 et par une série de voyages à l’étranger, dans des régions reculées, en compagnie de son ami Jean-Louis Costes. De là, vient sans doute son influence : des tableaux bigarrées ("Navigation à vue"), un style brut ("Cortège"), des personnages naïfs ("Le spleen de Tarzan"), des couleurs omniprésentes ("Rollerderby"),  l’importance accordée à la nature ("Terreur dans les bois", "Scolopendre"), voire aux cultures primaires ("Les indigènes").

    La violence et le sexe sont des thématiques avec lesquels l’artiste joue et s’amuse, telle une enfant naïve

    L’œuvre d’Anne van der Linden, loin de lorgner du coté du dépaysement exotique ou d’un attrait superficiel pour l’ailleurs, puise dans ces voyages pour mieux revenir vers elle-même, offrant une singulière réflexion sur ce qui fait notre vie quotidienne, notre modernité, nos rites et, finalement notre intimité et notre sexualité.

    Le sexe est sans doute le centre et même le point d’achoppement de ses tableaux. C’est aussi ce qui choquera sans doute le spectateur et le lecteur : des accouplements étranges, pour ne pas dire  surréalistes ("Gang bang à La Courneuve"), des viols ("Grand-Père", le terrifiant viol incestueux dessiné pour , pour l’édition illustré d’un roman de Jean-Louis Costes), des êtres monstrueux ("Le trapéziste"), des hermaphrodites ("Pan ! Dans l’œil", "Androgyne"), des scènes de torture (le troublant "Les aiguilles"), de meurtre, voire de cannibalisme ("Le festin"). On y voit des êtres à deux têtes, masculine et féminine ("Les choses doubles"), des créatures surnaturelles, des diables et aussi des dieux ("Dieu", 1998).  

    Cette immersion du sacré, l’essai de Frederika Abbate en parle longuement dans le chapitre au titre intrigant, "L’entrée au couvent". Ce sont les rites et rituels chrétiens qui sont détournés, pour ne pas dire désacralisés ("Ecce homo", "Un p’tit air de Mona Lisa", "Christ aux os").

    Faut-il y voir une dénonciation de la religion ? Pas vraiment, dit en substance l’auteure. Car, ce qui intéresse Anne van der Linden, c’est bien l’intime et les rapports humains. Il ne faut pas prendre au pied de la lettre les scènes spectaculaires de l’artiste : "Comme tous les personnages de ses tableaux, celle qui mange est impassible et l’action se fait calmement, sans signe d’hystérie ni de sauvagerie". La violence et le sexe sont, quelque part, des thématiques avec lesquels l’artiste joue et s’amuse, telle une enfant naïve.

    Alors oui, il y a de l’inquiétant dans cette artiste underground, mais c'est un "familier inquiétant" freudien. Le quotidien, l’amour, l’attachement, le détachement sont traitées sous l’angle de la mythologie, des références religieuses mais aussi des artefacts de notre monde moderne. Sans oublier ces retours aux cultures primaires, omniprésentes et fascinantes. 

    Frederika Abbate, Anne van der Linden, Cavalière de la tempête
    éd. White Rabbit Prod, 2023, 240 p.
    https://www.whiterabbitprod.com
    https://www.annevanderlinden.net

    Voir aussi : "Bataille contre la mafia"
    "Visages de la peur"

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