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  • Bonnes chansons de Fauré

    En cette année Fauré (le compositeur français est mort en novembre 1924), pour quelques jours encore, il n’est pas trop tard pour s’intéresser à un délicat album du duo formé par Jacques Herbillon, décédé en 2023, et Théodore Paraskivesco. Le regretté baryton et le pianiste franco-roumain proposent un programme de mélodies et de chansons, complétées par L’Horizon chimérique op. 118.

    Ne nous arrêtons pas, dit en substance le livret du disque, sur l’allure bonhomme de Gabriel Fauré et de ses œuvres d’une simplicité parfois austère. En réalité, le caractère bien trempé de l’auteur du célèbre Requiem était notable. Quant à ses mélodies, elles étaient goûtées et chantées avec bonheur dans l’Europe entière, y compris en Belgique, en Allemagne ou Angleterre où l’on s’en délectait particulièrement.

    Voilà pourquoi cet album proposé par  Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco est essentiel. Les deux musiciens mettent un point d’honneur à sortir de dessous les fagots des chansons et des mélodies à la facture musique française bien assumée.

    Le compositeur s’appuie sur les textes d’écrivains parfois connus (Victor Hugo, Paul Verlaine, Théophile Gauthier, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle Adam), parfois moins (Raymond Bussine, Paul de Choudens, Armand Sylvestre, Victor Wilder, Jean Richepin, Jean de la Ville de Mirmont).

    Les compositions de Fauré et les interprétations de Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco laissent à entendre le raffinement, y compris dans les poèmes les plus sombres (le poignant Au cimetière) et romantiques. Que l’on pense à L’Absent de Victor Hugo ("— Sentiers où l'herbe se balance, / Vallons, coteaux, bois chevelus, / Pourquoi ce deuil et ce silence ? / — Celui qui venait ne vient plus...").

    Le post-romantisme finissant est à l’œuvre dans ces chansons souvent brèves (elles dépassent rarement les trois minutes) et aux titres évocateurs : Aubade, Tristesse, Sylvie, Chanson d’amour. Fauré est un compositeur dont le travail harmonique a pu sembler décalé à la fin de sa vie, avec le surgissement du modernisme en musique. Une considération vite oubliée, tant le travail sur les mélodies continue à impressionner (Après un rêve ou le somptueux Noël). 

    Le travail de Gabriel Fauré sur les mélodies continue à impressionner

    L’auditeur s’arrêtera sur le mystérieux et parnassien poème de Sully Prudhomme, Ici-bas ("Ici-bas tous les hommes pleurent / Leurs amitiés ou leurs amours / Je rêve aux bonheurs qui demeurent / Toujours..."). Fauré le met en musique avec le tact artistique dont il est habitué, sans ostentation. On peut aussi parler de légèreté dans certains morceaux (Chanson d’amour), voire d’onirisme – et parnassien (La Fée aux chansons, Aurore, Le pays des rêves). N’oublions pas non plus l’orientalisme du poème Les Roses d’Ispahan ("Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse, / Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger / Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce, / O blanche Leïlah ! que ton souffle léger...").

    L’un des morceaux phares de ce programme est la mise en musique du Clair de lune de Verlaine, tiré des Fêtes galantes ("Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques / Jouant du luth et dansant et quasi / Tristes sous leurs déguisements fantasques..."). Fauré s’approprie les vers du poète français avec la délicatesse, la grâce et la simplicité qu’on lui connaît. Le piano de Thédore Paraskivesco déroule avec la même discrétion, tandis que Jacques Herbillon s’interdit toute effusion et choisit la pudeur et la retenue. Verlaine est encore présent dans ces Mélodies de Fauré avec son fameux Spleen ("Les roses étaient toutes rouges / Et les lierres étaient tout noirs. / Chère, pour peu que tu ne bouges, / Renaissent tous mes désespoirs. / Le ciel était trop bleu, trop tendre, / La mer trop verte et l'air trop doux. / Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre ! / Quelque fuite atroce de vous. / Du houx à la feuille vernie / Et du luisant buis je suis las, / Et de la campagne infinie / Et de tout, fors de vous, hélas !").

    Encore et surtout Verlaine avec La Bonne Chanson. Du recueil éponyme du poète parnassien, Fauré en a tiré neuf mélodies. Là encore, les chansons sont courtes (la plus longue fait un peu plus de trois minutes). Le compositeur français a dédié son œuvre à sa maîtresse Emma Bardac. Il est vrai que l’esprit romantique plane sur ces morceaux délicats mais non moins torturés ("J'allais par des chemins perfides, / Douloureusement incertain. / Vos chères mains furent mes guides").

    L’Horizon chimérique op. 118 vient clore cet album émouvant. Émouvant car, en plus d’être un hommage à Gabriel Fauré, il constitue un testament musical de Jacques Herbillon. Ce  cycle de mélodies est constitué de quatre mélodies écrites à la fin de sa vie, sur des poèmes de Jean de la Ville de Mirmont. Fauré fait ici de touchants adieux, avec toujours cette économie de moyens (Je me suis embarqué, Vaisseaux, nous vous aurons aimés). 

    Gabriel Fauré, Mélodies, Jacques Herbillon (baryton) & Thédore Paraskivesco (piano),
    Indésens Calliope, 2024

    https://indesenscalliope.com/boutique/faure-melodies

    Voir aussi : "Élégies pour Fauré"

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  • Rimbaud, le vrAI du faux

    Qui était vraiment Rimbaud ? Que reste-t-il de lui ? Quelques (vraies) photos, une correspondance et surtout une œuvre brève (Une saison en enfer et Les Illuminations, sans compter de nombreux poèmes en vrac). Pour autant, son importance et son influence sur la littérature est exceptionnelle. Précurseur de la poésie moderne, Arthur Rimbaud a produit une œuvre révolutionnaire avant ses 20 ans. Il abandonne définitivement la poésie en 1875, jusqu’à son décès en 1891 à l’âge de 37 ans.

    C’est sur les années 1870-1875 que se concentre la biographie de Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant (éd. Gallimard), c’est-à-dire de son premier séjour à Paris – qui se termine en prison – jusqu’au décès de Vitalie, la jeune sœur de Rimbaud. Ce deuil marque aussi la fin de sa carrière littéraire.

    Cinq années dans une vie. C’est peu et suffisant pour parler de l’œuvre de Rimbaud. L’auteur consacre cependant une préface pour évoquer les années d’enfance d’un garçon vivant pauvrement à Charleville-Mézières, surdoué à l’école et se distinguant en latin et en rhétorique, sans compter ses talents en poésie qui impressionnent un de ses professeurs, Georges Izambard. Rimbaud veut devenir journaliste et poète. Mieux, il veut y apporter un souffle nouveau. Ce ne sera pas sans mal. 

    Le lecteur sera effaré de découvrir un Rimbaud déjà globe-trotteur, alors qu’il n’est même pas majeur : l’Ardennais ne se contente pas de chercher l’aventure et la réussite à Paris où il n’a, au départ, aucun contact personnel. Ses pas le mènent de la Belgique à Londres, en passant par Stuttgart ou Milan, avec toujours un pied de chute chez sa famille à Charleville-Mézières. Sa mère, femme dure et exigeante, se montrera à plusieurs reprises bienveillante pour son fils volontiers frondeur – et le mot est faible.

    En réalité, Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre. L’histoire d’amour entre Rimbaud et Verlaine est connue et elle fait l’objet ici de nombreuses pages. Ce que l’on sait moins c’est à quel point le tout jeune homme fait tourner la tête du poète, de dix ans son aîné. Le lecteur découvre un Rimbaud insupportable, tapageur, bagarreur, insultant, un "monstre" qui obsède l’auteur des Fêtes galantes. À l’époque, Paul Verlaine est marié. L’histoire d’amour (un "drôle de ménage") entre les deux hommes est triste et moche. Rimbaud a une forte influence sur son amant et le pousse à délaisser sa femme, tout en le soudoyant à plusieurs reprises afin de profiter des pécules du ménage.

    Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre

    Peut-on parler de Rimbaud comme d’un pervers narcissique ? Impossible de se prononcer définitivement mais beaucoup d'éléments le laissent à croire. En tout cas, Verlaine, tout en admirant le génie de son ami (c’est à lui que l’on doit la premier publication des Illuminations en 1886) perd pied à plusieurs reprises. Il le suit dans sa soûlographie – à l’absinthe notamment – et part même du jour au lendemain le suivre en Belgique alors qu’il allait acheter des médicaments pour sa femme souffrante. Nous sommes en juillet 1872. Il finit par complètement vriller un an plus tard, à Bruxelles, en tirant sur Rimbaud. Le jeune homme s’en sort avec une vilaine blessure, Verlaine écope d'une peine de prison d’un peu plus de deux ans. Le coup de revolver marque la fin d’une relation tumultueuse entre les deux poètes mais aussi le début de la légende. 

    Luc Loiseaux enrichit son essai de poèmes mais aussi d’extraits de correspondance. L’œuvre de Rimbaud éclaire certains passages de son existence et ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage. Le Rimbaud visionnaire et parfois obscur devient un jeune homme torturé, par exemple lorsqu’il parle d’une histoire de cœur déçue dans Les Déserts de l’amour. Citons aussi cette jeune fille de notables de Charleville-Mézières qui a rejeté le jeune poète ou encore cette "fille aux yeux violets qui l’a suivi dans [une] fugue" ("O l’Oméga, rayon violet de Ses yeux", écrit-il pour une personne qui l'a longtemps obsédé. Le célèbre "Je est un autre" pourrait tout aussi bien être, pour l’auteur, autant une interrogation sur son identité et son homosexualité qu’un rappel d’un épisode traumatisant durant la Commune de Paris. C’est un Rimbaud sans fard qui nous est dévoilé, un poète hypersensible, insupportable, génial, odieux, précurseur et égoïste.

    Pour le rendre plus actuel, Luc Loiseaux a choisi les nouvelles technologies. Une première photo – celle de la couverture – a fait le buzz en 2023 sur les réseaux sociaux. On y voyait un jeune homme déambulant dans les rues de Paris, un soir pluvieux. Le cliché est net – sans doute trop ! – et beaucoup d’internautes ont cru à la découverte d’une photo inédite. Luc Loiseaux, artiste aux multiples talents – écrivain, musicien, graphiste, photographe, conférencier –, a poursuivi sur cette voie en proposant de fausses photos vieillies pour illustrer les chapitres de cette biographie. Gageons que les éditions Gallimard ont d’abord été sensibles à cette utilisation – certes critiquable – de l’IA. En réalité, ne nous trompons pas : le vrai apport de ce livre réside dans les cinq années capitales d’Arthur Rimbaud grâce au passionnant texte de Luc Loiseaux.   

    Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant, éd. Gallimard, 2024, 272 p.
    https://www.facebook.com/luc.santiago 
    https://www.gallimard.fr/catalogue/rimbaud-est-vivant/9782073081759 

    Voir aussi : "À fleur de Poe"
    "Rimbaud, sors de ce corps"
    "C’est le plus dandy des albums"
    "Sonnets pour ce siècle"

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  • 5 femmes

    L'album Filiations du label Présences Compositrices est consacré à trois compositrices. La plus connue, Nadia Boulanger (1887-1979), côtoie Elsa Barraine (1910-1999) et Henriette Puig-Roget (1910-1992). En dépit de leurs états de service – compositrices, instrumentistes hors pair, pédagogues et toutes trois Prix de Rome – c’est le silence ou, au mieux, le dédain poli qui ont fait écho à leur carrière. Injuste ! Une injustice que proposent de réparer deux autres femmes, la soprano Clarisse Dalles et la pianiste Anne Le Bozec. Elles interprètent un choix de chansons et d’airs de ces trois musiciennes du XXe siècle que beaucoup d’entre nous découvrons ici. Il était temps.  

    La première compositrice qui a l’honneur de cet album est Nadia Boulanger. Sa sœur Lili Boulanger a certes eu droit à la postérité grâce à ses mélodies régulièrement jouées. Ce n’est pas le cas pour Nadia. Clarisse Dalles et Anne Le Bozec sortent de l’ombre trois chansons à la facture très musique française du début du XXe siècle. Nadia Boulanger a mis en musique deux poèmes de Camille Mauclair (le cruel et romantique "Elle a vendu mon cœur", "Le couteau") et des textes de Verlaine ("Soleil couchants"), Georges Delaquys ("Les lilas sont en folie") et un "Cantique" de Maurice Maetelinck. L’auditeur s’arrêtera sans doute sur ce dernier titre à la fois mélodieux délicat et d’un fort mysticisme ("A toute âme qui pleure / A tout péché qui passe / J’ouvre au sein des étoiles / Mes mains pleines de grâce"), puisqu’il est tiré de Sainte Béatrice, écrit en 1900 par l’écrivain belge. Cette chanson lumineuse est contrebalancée par le sombre "Couteau" ("J’ai un couteau dans l’cœur / - Une belle, une belle l’a planté").

    Passons à Elsa Barraine qui est la première grande découverte de cet album de Présences Compositrices. Il faudrait une chronique entière sur elle pour parler de son parcours : élève de Dukas, Prix de Rome à 19 ans pour une cantate consacrée à Jeanne d’Arc (La Vierge guerrière), elle devient une instrumentiste demandée et chef de chœur, en même temps qu’elle s’engage pour la culture populaire en pleine période du Front Populaire. Communiste, elle s’engage dans la Résistance en pleine seconde guerre mondiale. Après la Libération, son engagement est intact alors qu’elle devient une compositrice de musiques de film et de pièces de théâtre (ses commanditaires se nomment Jean Grémillon, Jacques Demy, Charles Dullin ou encore Jean-Louis Barrault). 

    Sacrée découverte !

    Ce sont ici cinq chansons d'Elsa Barraine qui sont proposées. On est frappé par la diversité des influences. À une mise en musique très classique du premier Nobel de Littérature Sully Prudhomme ("Ne jamais la voir") succède un poème d’Armand Foucher ("Pastourelle"). On entre ici dans la modernité et, musicalement, Erik Satie dans la retenue et Olivier Messiaen dans la composition moderne, ne sont pas loin dans ce texte bucolique et régionaliste : "Paissez mes moutons dans la plaine, / La bonne herbe de la Lorraine, / Mes beaux moutons blancs".  Plus étonnant, c’est l’auteur chinois du VIIIe siècle Xuanzong qui a les honneurs de la compositrice avec un "Chant des marionnettes". Dans cette chanson courte (moins de deux minutes), Elsa Barraine s’amuse du rythme syncopé, à la fois hommage à la culture chinoise et plongée dans la musique contemporaine dans ces années de composition bouillonnantes (1934 et 1935). Autre audace moderne encore avec cette fois une mise en chanson à la facture musique française du XXe siècle de deux textes… de l’écrivain, poète et musicien indien Rabindranath Tagore. Ce sont les délicieux airs "Je suis ici pour te chanter des chansons" (Tagore n°15) et "Je ne réclamerai rien de toi" (Tagore n°54). Les couleurs, les nuances, les rythmes et la voix claire de Clarisse Dalles montrent l’audace d’Elsa Barraine, compositrice hardie, passionnante, romantique et même romanesque. Une sacrée découverte !    

    Henriette Puig-Roget a les honneurs de la seconde moitié de l’album avec un inédit, le cycle Le temps de la solitude, publié à la SACEM en 1942. La compositrice a mise en musique douze mélodies sur L’Offrande lyrique de Rabindranath Tagore – de nouveau –, poèmes qui avaient été traduits par André Gide. On navigue dans ces chansons mystérieuses où la nature omniprésente reflète les tourments exprimés par Clarisse Dalles et Anne Le Bozec. Ce sont les saisons éphémères, les "vagues bruyantes" ("Absence", Tanagore n°21), les lourds nuages et la plage déserte ("Plante", Tanagore n°18), les nuits d’orage et la "menaçante forêt" ("Orage", Tanagore n°23) ou "la pluvieuse obscurité de Juillet" ("Séparation", Tanagore n°84). On peut bien parler de naturalisme musical dans cette œuvre singulière qui sert de pont entre un classique de la littérature indienne et la musique française moderne. Clarisse Dalles au chant et Anne Le Bozec au piano choisissent la simplicité dans cette œuvre aux mille couleurs. La modernité de Henriette Puig-Roget est évidente dans cet opus que l’on découvre, à la fois d’une contemporanéité réelle et aux vagues mélodiques touchantes (le délicieux "Promesse", Tanagore n°44).

    Audacieuse, Henriette Puig-Roget l’est tout autant dans l’étonnant "Éveille-toi". Elle s'inspire là encore du poète indien Rabindranath Tagore (Tanagore n°55). Elle en fait un titre énergique, insistant, rythmé, typique de cette période de composition à la fois sombre (nous sommes en 1942) et riche de ses recherches musicales. Il semble contrebalancé plus loin par l’onirique et debussyen "Sommeil" (Tanagore n°47). On invitera l’auditeur à se procurer l’album dans sa version physique afin de découvrir les textes poétiques du Prix Nobel de Littérature indien. On peut penser à ce texte tiré de la chanson "Là-bas", Tanagore n°63 : "Tu m’as fait connaître à des amis que je ne connaissais pas. Tu m’as fait asseoir à des foyers qui n’étaient pas le mien. Celui qui était loin, tu m’as ramené proche et tu as fait un frère de l’étranger."

    L’altruisme, la générosité et l’amour (le vibrant et joyeux "Toi seul", Tanagore n°38). Tels sont les thèmes centraux de ce cycle. L’ambition littéraire de ces poèmes mis en musique est évidente, que ce soit dans "Le Bien véritable", Tanagore n°17 ou le sobre hommage à un "intime" ("Lui", Tanagore n° 72). L’œuvre d’Henriette Puig-Roger – ainsi que l’album – se termine avec la chanson "Évasion" (Tanagore n°42). C’est une invitation au voyage que propose le génie indien et la compositrice française en touches impressionnistes. Cette ode à la nature et à la liberté est aussi un bouleversant chant sur notre mort inéluctable : "N’est-il pas temps de lever l’ancre ? Que notre barque avec la dernière lueur du couchant s’évanouisse enfin dans la nuit".

    Filiations, Nadia Boulanger, Elsa Barraine et Henriette Puig-Roget, Filiations, Clarisse Dalles (soprano) et Anne Le Bozec (piano), Présence Compositrices, 2024
    https://www.presencecompositrices.com

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Compositrices et compositeurs, une frise chronologique"

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  • Amour, musique et nostalgie

    Nostalgie, quand tu nous tiens. Ces Chants nostalgiques, proposés par la soprano Marie-Laure Garnier la pianiste Célia Oneto Bensaid et le Quatuor Hanson, s'intéressent à la musique classique française du XXe siècle, avec des œuvres de Gabriel Fauré, Ernest Chausson, mais aussi une compositrice que l’on découvre, Charlotte Sohy. Voilà une sélection bienvenue, tant la musique classique n’en finit pas de sortir de ses archives des artistes féminines qui ont été "oubliées", en raison précisément de leur sexe. Chants nostalgiques est l'enregistrement public d'un concert à l'Estran de Guidel en mars 2022.

    C’est la nostalgie qui est le fil conducteur de cet album, avec d’abord l’opus 81 de Gabriel Fauré, La Bonne chanson. Ce sont des airs généralement assez courts (le plus long fait un peu plus de trois minutes) qui ont été composés à partir de poèmes de Paul Verlaine. On retrouve le souffle et l'âme de Fauré et son sens mélodique, à commencer par le titre "Une sainte en son auréole", que Marie-Laure Garnier interprète avec flamme et sincérité. Célia Oneto Bensaid vient accompagner "Puisque l'aube grandit" pour donner du souffle à ce répertoire de musique française très XXe siècle fortement teinté de symbolisme ("La lune blanche").

    Le néo-classique Fauré étonne avec "J'allais par des chemins perdus", un titre plus moderne, derrière lequel on peut discerner l'esprit de Darius Milhaud. Gabriel Fauré vient se livrer plus intimement encore avec le plus classique "J'ai presque peur, en vérité". Outre "Avant que tu ne t'en ailles", un rien désuet mais néanmoins charmant pour cet ode à la nature et à l'attente, Fauré fait le choix de la légèreté avec "Donc, ce sera par un clair jour d'été", dans lequel le compositeur semble faire le lien avec le romantisme, le classicisme à la française et la modernité. Précisons que morceau reprend des mesures de son Requiem dans ses dernières notes. "N'est-ce pas ?" frappe par sa modernité, à l'instar de "J'allais par des chemins perdus". La Bonne Chanson se terminer par le titre le plus long de l'opus, "L’hiver a cessé", plus complexe, dense et caractérisant un Gabriel Fauré indéfinissable autant que délicat.

    Une vraie découverte : celle de la compositrice Charlotte Sohy

    Autre compositeur à l'honneur dans cet enregistrement public : Ernest Chausson. Les Chants nostalgiques proposent sa "Chanson perpétuelle" op. 37, une œuvre d'adieu dans lequel le désespoir affleure, dans un classicisme tout français. Chausson se distingue avec son sens de la mélodie et sa plainte pour la mort du bien aimé qui "s'en est allé".

    Parlons ensuite de la grande découverte de l’album : celle de la compositrice Charlotte Sohy (1887-1955). La musique classique est en train de se rendre compte qu'un vaste répertoire écrit par des femmes a été mis aux oubliettes. L'album Chants nostalgiques, à l'instar de l'association "Elles Women Composers" et un coffret dédié à son œuvre (La boîte à pépites), propose de découvrir Charlotte Sohy à travers ses Trois Chants nostalgiques (opus 7). Une œuvre nostalgique, oui, mais aussi sombre et mélancolique, composée sur des textes de Cyprien Halgan (1838-1896). Charlotte Sohy s'inscrit bien dans la tradition de la musique française ("Pourquoi jadis t'ai-je trouvé ?"), mais avec une modernité certaine dans son expressionnisme et dans sa manière de se libérer du carcan harmonique ("Le feu s'est éteint"). On a ici affaire à un opus crépusculaire que les interprètes s'approprient avec une grande sincérité ("Sous ce ciel d'hiver"). Ce qui est remarquable pour une œuvre peu connue et d'une compositrice qui ne l'est pas plus.

    Retour à Ernest Chausson avec une transcription de Franck Vuillard de son "Poème de l'amour et de la mer", opus 19. Les trois chants, relativement longs (de deux minutes – un "Interlude" – à plus de quatorze minutes) font de cette œuvre un magnifique final. D'un très beau classicisme, que l'on pourrait dire néoromantisme, illustrent musicalement les poèmes symbolistes de Maurice Bouchar (1855-1929). Marie-Laure Garnier, le quatuor Hanson et Célia Oneto Bensaid font de ce "Poème de l'amour et de la mer" une œuvre tourmentée et vivante, non sans de bouleversants éclats instrumentaux ("Interlude"). On se laisse finalement bercer par la dernière chanson, "La mort et l'amour", singulière alliance, interprétée avec un mélange de légèreté et de nostalgie, justement.

    Voilà qui clôt en beauté un album intelligent de découvertes et de redécouvertes classiques. 

    Chants nostalgiques, Marie-Laure Garnier, Célia Oneto Bensaid, Quatuor Hanson,
    L'Estran Live, B Records, 2022

    https://www.b-records.fr
    https://www.celiaonetobensaid.com
    https://www.facebook.com/profile.php?id=100039928732584
    https://www.facebook.com/people/Marie-Laure-Garnier-Soprano/100063568958709
    https://elleswomencomposers.com/festival-100722-chants_nostalgiques

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Album univers"

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  • L’âme de fond

    On aime l’univers de MoonCCat, musicien, photographe et poète assumant à 200 % un dandysme qui se serait transporté en plein XXIe siècle. Un style fin de siècle donc, mêlant textes saturniens et musque pop-rock, à mi-chemin entre Jim Morrison (Shoot The Poet) et lo-fi nighties (Sanatorium Europa). L’artiste le dit à sa manière sur son site : "Musicien, photographe et écrivain, MoonCCat a été le premier voyageur temporel à essayer la machine à explorer le temps de H.G. Wells en 1895. Elle l'a conduit au XXIème siècle sans possibilité de retour."

    MoonCCat revient avec Forget Me Knot, album autoproduit, sombre mais traversé aussi de brillants éclats de lumière. Ce côté romantique noir, le chanteur l’assume avec un bel aplomb, en mettant en musique les vers de Gérard de Nerval (Vers dorés), de Baudelaire (Baudelaire 20 décembre 1855) et même... d’Alphonse Daudet (L’oiseau bleu). Disons aussi que les influences du chanteur sont à chercher autant du côté de Rimbaud ou Verlaine Edgar Alan Poe que de celui de Bram Stoker ou de Hermann Hesse.

    MoonCCat est également au texte dans des titres tout autant convaincants et acides : Le voyage ("Il ne faut pas regretter / Ce que la vie nous offre / Il ne faut pas penser que ce n’est pas assez… / Il ne faut pas espérer que les choses s’améliorent"), Le chat Haret, L’idole ou Ton souvenir.

    Comme s'il était catapulté dans notre époque, MoonCCat y apporte sa part de mystère, mêlant, dans un album résolument rock, mâtinée de pop eighties (Baudelaire 20 décembre 1855, L’idole), du mysticisme (Le chat Haret), du désespoir (Le voyage), de sensualité (Morganella Morganii qui "provoque des incendies"), de la poésie (Shoot the poet) et du gothique éclatant de lyrisme (Shadow, L’obscurité des nuits).

    "Le premier voyageur temporel à essayer la machine à explorer le temps de H.G. Wells"

    Dans cet album d’une belle cohérence figure un morceau énigmatique. Avec Sanatorium Europa, le plus dandy des chanteurs nous transporte dans l’Europe des années 20, sur la trace de Thomas Mann et d’Herman Hesse, lors de son séjour à Monte Verità. Explication de texte par MoonCCat lui-même : "Si les deux auteurs allemands sont peut-être familiers à certains, notamment Thomas Mann et sa Montagne Magique, Monte Verità ne doit pas dire grand chose à grand monde car il s'agit d'une expérience communautaire assez étrange et aujourd'hui oubliée qui a eu lieu au début du XXe siècle en Suisse… Six jeunes gens de bonne famille se sont effectivement lancés dans une aventure unique en son genre : quitter la société moderne dont ils étaient dégoûtés pour créer un nouveau mode de vie destiné à retourner au plus proche de la nature en construisant de toutes pièces un village autarcique auto suffisant qui réunira artistes, peintres, danseurs, chorégraphes, occultistes, anarchistes, bref, une population très éclectique, en recherche d'authenticité. Le village s'éleva à Monte Verità, "la montagne de la vérité", à Ascona en Suisse… C'est une utopie communautaire qui s'est construite et a perduré durant une vingtaine d'années. Elle a brassé de grands noms comme Hermann Hesse, Carl Jung ou Isadora Duncan, entre autre… Le titre raconte le séjour de Hermann Hesse dans ce lieu hors norme. Il ne raconte pas sa rencontre avec un prophète étrange qui à ce moment là, avait quitté la communauté pour vivre en ermite dans une grotte : l'étrange Gustö Gräser, qui fut pour lui une rencontre déterminante et a certainement joué un rôle dans ses romans initiatiques comme Demian et Le Loup des Steppes, avec qui Gräser avait certains traits en commun…"

    Sanatorium Europa est une vraie singularité dans un album à l’empreinte XIXe siècle, sombre, beau, érudit et douloureux : "J’ai dans mon cœur un oiseau bleu, / Une charmante créature, / Si mignonne que sa ceinture / N’a pas l’épaisseur d’un cheveu… / Et son bec fin comme une lame, / En continuant son chemin, / M’est entré jusqu’au fond de l’âme."

    MoonCCat, Forget Me Knot, autoproduit, 2020
    https://moonccat.bandcamp.com/album/forget-me-knot
    https://moonccat.weebly.com

    Voir aussi : "C’est le plus dandy des albums"

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