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Heureux comme Sade en Italie
Durant l’été 1775, le marquis de Sade est pris à la gorge par trois sérieuses affaires de mœurs à Arcueil, Marseille puis Lacoste. Malgré le soutien de sa famille, dont sa femme Renée-Pélagie de Montreuil, marquise de Sade, le futur auteur des Cent Vingt Journées de Sodome fuit incognito pour l’Italie, sous le pseudonyme du comte de Mazan. Après un passage à Turin, Parme et Bologne, il parvient à Florence le 3 août 1775. Il est à Rome en octobre 1775. Il y reste jusqu’à la fin de l’année, avant de se rendre à Naples pour un séjour de janvier à mai 1776. Durant l’été, il est de retour en France. Six mois plus tard, il est arrêté et incarcéré à Vincennes. C’est le début d’une longue période de captivité, mais aussi d’écriture forcenée, sombre et explosive.
De son excursion en Italie, le marquis de Sade ramène un journal de voyage, en réalité un véritable work in progress que les éditions Flammarion présentent dans une édition établie et commentée par l’universitaire et spécialiste du siècle des Lumières, Michel Delon. Il signe également une préface éclairante de ce Voyage d’Italie, indispensable pour entrer dans un ouvrage à la fois documenté, inachevé et essentiel dans l’œuvre de Sade. Un entretien avec le collectionneur Pierre Leroy vient compléter cet ouvrage.
Critique sur les traditions comme sur les mœurs des habitants
Avec le recul le périple du marquis de Sade organisé dans l’urgence afin d’échapper à la justice française est l’une de ses périodes les plus enthousiasmantes. Son séjour dans la péninsule italienne lui permet de découvrir un pays passionnant, aux trésors antiques et artistiques inestimables, ce qui ne l’empêche pas de se montrer critique sur les traditions comme sur les mœurs des habitants : "Il faut convenir (…) qu’on trouve des vertus au travers de tous les vices dont je viens de caractériser cette nation. Le peuple, sans doute, est rustique grossier, superstitieux et brutal, mais il a de la franchise et même quelque fois de l’aménité…"
Sade est un voyageur avide de documentations comme d’expériences. Il y rencontre plusieurs femmes, connaît des relations parfois sulfureuses et croise quelques aventuriers comme lui. Le marquis ramène d’Italie de multiples cahiers, dossiers, feuilles et notes qu’il ne mettra jamais en forme de son vivant mais dont il se servira pour ses livres futurs, dont L’Histoire de Juliette (1799). Le lecteur trouvera quelques pages pittoresques sur des monuments qu’il découvre à Florence, Rome ou Naples. Il est par contre beaucoup plus dissert et caustique lorsqu’il est question de folklores et de traditions. Plus surprenant, le marquis de Sade se montre offusqué lorsqu’il est question de crimes et de mœurs qu’il juge choquants : "Les murs épais et reculés des vastes palais de la noblesse recèlent, dit-on, bien des horreurs. Et combien de jeunes malheureuses, conduites furtivement et de nuit dans ces criminelles enceintes, y ont-elles laissé leur honneur et la santé !"
Le lecteur sera surpris par ces lignes écrites dix ans avant Les Cent Vingt Journées de Sodome ; il le sera moins par cette forme de confession : "Cette manie bizarre de faire le mal pour le seul plaisir est une des passions de l’homme la moins comprise et par conséquent la moins analysée."
C’est en Italie que Sade se laisse porter par ses rêveries les plus lumineuses – nous sommes en plein Siècle des Lumières. Il y connaît le plaisir de l’aventure et des découvertes, et se montre même philosophe éclairé. Michel Delon conclue ainsi : "Imagine-t-on Sade heureux ? En Italie, pourquoi pas ?"
Sade, Voyage d’Italie, préface et commentaires de Michel Delon
éd. Flammarion, 2019, 305 p.
http://www.sade-ecrivain.com
Voir aussi : "Sade, celui que l'on aime détester"
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