Musique ••• Chanson ••• Eva Marchal, 88
L’inquiétant familier d’Anne van der Linden
La passionnante monographie consacrée à la peintre et dessinatrice Anne van der Linden permet de plonger et de découvrir – ou redécouvrir – le parcours d’une artiste importante de l’underground français.
Frederika Abbate est aux commandes de cet essai richement illustré et commenté, Anne van der Linden, Cavalière de la tempête (éd. White Rabbit Prod), une artiste pas tout à fait inconnue à vrai dire de Bla Bla Blog, puisqu’elle apparaît régulièrement dans les publications de White Rabbit Dream. Le lecteur trouvera dans cette monographie une étude à la fois complète, sérieuse et documentée sur l’œuvre d’une artiste dont le parcours a été à la fois sinueux et cohérent.
Née à Paris de parents expatriés et biberonnée par l’art, Anne van der Linden a été marqué dès le début de sa carrière par l’influence des mouvances contestataires de mai 68 et par une série de voyages à l’étranger, dans des régions reculées, en compagnie de son ami Jean-Louis Costes. De là, vient sans doute son influence : des tableaux bigarrées ("Navigation à vue"), un style brut ("Cortège"), des personnages naïfs ("Le spleen de Tarzan"), des couleurs omniprésentes ("Rollerderby"), l’importance accordée à la nature ("Terreur dans les bois", "Scolopendre"), voire aux cultures primaires ("Les indigènes").
La violence et le sexe sont des thématiques avec lesquels l’artiste joue et s’amuse, telle une enfant naïve
L’œuvre d’Anne van der Linden, loin de lorgner du coté du dépaysement exotique ou d’un attrait superficiel pour l’ailleurs, puise dans ces voyages pour mieux revenir vers elle-même, offrant une singulière réflexion sur ce qui fait notre vie quotidienne, notre modernité, nos rites et, finalement notre intimité et notre sexualité.
Le sexe est sans doute le centre et même le point d’achoppement de ses tableaux. C’est aussi ce qui choquera sans doute le spectateur et le lecteur : des accouplements étranges, pour ne pas dire surréalistes ("Gang bang à La Courneuve"), des viols ("Grand-Père", le terrifiant viol incestueux dessiné pour , pour l’édition illustré d’un roman de Jean-Louis Costes), des êtres monstrueux ("Le trapéziste"), des hermaphrodites ("Pan ! Dans l’œil", "Androgyne"), des scènes de torture (le troublant "Les aiguilles"), de meurtre, voire de cannibalisme ("Le festin"). On y voit des êtres à deux têtes, masculine et féminine ("Les choses doubles"), des créatures surnaturelles, des diables et aussi des dieux ("Dieu", 1998).
Cette immersion du sacré, l’essai de Frederika Abbate en parle longuement dans le chapitre au titre intrigant, "L’entrée au couvent". Ce sont les rites et rituels chrétiens qui sont détournés, pour ne pas dire désacralisés ("Ecce homo", "Un p’tit air de Mona Lisa", "Christ aux os").
Faut-il y voir une dénonciation de la religion ? Pas vraiment, dit en substance l’auteure. Car, ce qui intéresse Anne van der Linden, c’est bien l’intime et les rapports humains. Il ne faut pas prendre au pied de la lettre les scènes spectaculaires de l’artiste : "Comme tous les personnages de ses tableaux, celle qui mange est impassible et l’action se fait calmement, sans signe d’hystérie ni de sauvagerie". La violence et le sexe sont, quelque part, des thématiques avec lesquels l’artiste joue et s’amuse, telle une enfant naïve.
Alors oui, il y a de l’inquiétant dans cette artiste underground, mais c'est un "familier inquiétant" freudien. Le quotidien, l’amour, l’attachement, le détachement sont traitées sous l’angle de la mythologie, des références religieuses mais aussi des artefacts de notre monde moderne. Sans oublier ces retours aux cultures primaires, omniprésentes et fascinantes.
Frederika Abbate, Anne van der Linden, Cavalière de la tempête
éd. White Rabbit Prod, 2023, 240 p.
https://www.whiterabbitprod.com
https://www.annevanderlinden.net
Voir aussi : "Bataille contre la mafia"
"Visages de la peur"
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