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yonn barbereau

  • Raconter l’enfer et faire œuvre de littérature

    Voici sans doute le livre le plus incroyable de ces dernières années. Dans les Geôles de Sibérie de Yoann Barbereau (éd. Stock) n’est pas seulement le témoignage brut d’un rescapé du régime autoritaire russe : c’est aussi une œuvre littéraire remarquable qui parvient à rendre dérisoire le flot d’autofictions que chaque rentrée littéraire nous abreuve.

    "La grande prose de Sibérie reste à inventer", dit un moment l'auteur. Il est probable qu’il vient de proposer un texte bien plus important littérairement que ce qu’en dit le pitch du livre : un Français, parti travailler en Sibérie pour le compte de l’ambassade de son pays, est arrêté du jour au lendemain, victime d’une kompromat – un mot russe désignant un dossier bidon monté contre quelqu’un pour le faire tomber. Emprisonné, incarcéré puis placé sous surveillance, Yoann Barbereau parvient cependant à s’enfuir en parcourant des milliers de kilomètres, au nez et à la barbe des autorités russes.

    Voilà pour l’histoire. Une histoire que les médias français ont suivi et relaté après-coup et que le public a découvert, ahuri. Si vous souhaitez en savoir plus, faites donc un tour du côté de la remarquable émission d’Affaires sensibles sur France Inter.

    S’il n’y avait qu’une seule raison de lire le livre de Yoann Barbereau c’est bien celle-là : découvrir le complot incroyable d’un Français "presque" ordinaire (car Yoann Barbereau reste tout de même un homme assez peu commun, comme il en témoigne) pris dans un piège fomenté par des agents du FSB (l’ex-KGB), beaucoup plus pied-nickelés et stupides que l’image que l’on a de ces fonctionnaires, prêts à tout pour des motivations qui restent encore obscures. Yoann Barbereau le dit autrement, en prenant l’exemple du film des frères Cohen, Burn After Reading : "Les benêts ont enchaîné les décisions insensées sans jamais rien comprendre de la mécanique cruelle qu’ils alimentaient. Il n’y avait pourtant aucun enjeu, sinon celle des carrières et des opérations de surveillance farfelues."

    Un très grand ouvrage littéraire

    Le résultat de ce coup monté, ce fameux kompromat, a eu pour l’auteur des conséquences tragiques : arrestation, emprisonnement, prisons infâmes de la Russie, découverte des conditions de vie des détenus dont il partagera le sort souvent fraternellement (la "toussovka" des prisonniers), l’asile psychiatrique puis le bracelet électronique. À cela, il faut ajouter l’incompétence des fonctionnaires des affaires étrangères : Un précepte guide les hommes du Quai d’Orsay : "En toutes circonstances, penser d’abord à se couvrir". Une réflexion qui s’explique par la manière dont le fugitif français est accueilli à l’ambassade français de Moscou après son évasion.

    Nous sommes en Russie : autant dire que le témoignage de Barbeau nous renvoie à la période sombre de l’Union Soviétique, du Goulag, des réclusions arbitraires et des décisions arbitrales de fonctionnaires, qu’une citation d’Andreï Vychinski, le procureur de Staline, décrit ainsi : "Donnez-moi l’homme, je trouverai l’article de loi".

    Yoann Barbereau inscrit d’emblée son livre dans le sillon de la littérature des victimes de la Russie, qu’elle soit soviétique ou post-soviétique. Il cite abondamment ces écrivains qu’il admire, que ce soit Soljenitsyne, Tchekhov ou Boulgakov. Il faut le dire et le marteler :  Dans les Geôles de Sibérie est un très grand ouvrage littéraire, servi par des phrases tour à tour sèches, amples, élégantes et poétiques. Cet amoureux de la Sibérie et des hommes et ses femmes (on apprend d’ailleurs que l’auteur les a aimées avec passion, ce qui a été à la fois l’une des causes de sa perte mais aussi son salut), en parle comme peu d’écrivains avant lui, son ouvrage apparaissant pour le lecteur comme la première pierre plus que convaincante d’une œuvre littéraire à venir.

    Mieux qu’un témoignage sur un fait d’hiver ahurissant, Dans les Geôles de Sibérie peut se lire comme un cri d’amour pour ce pays. Il suffit pour cela de lire ce passage consacré au lac Baïkal : "Le lieu donnait son assentiment, le lac nous accordait la sainteté. Qu’il nous avalât la minute d’après était chose possible, mais pour l’heure les histrions prenaient place sur l’icône".

    Yoann Barbereau, Dans les Geôles de Sibérie, éd. Stock, 2020, 323 p.
    https://www.editions-stock.fr

    Voir aussi : "Chanter dans les forêts de Sibérie avec Jean-Baptiste Soulard"
    "RIP URSS"

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