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  • Tintin, son œuvre

    On l’oublie trop souvent : de la Russie soviétique de l’entre-guerre jusqu’à l’Amérique latine des années 70, Tintin a d’abord été un reporter belge – certes, les mauvaises langues diront qu'il était proche de la retraite lors de sa toute dernière aventure (Tintin et les Picaros). En tout cas, ses pérégrinations n'ont été rendues possibles que parce que le jeune journaliste devait sillonner le monde pour informer ses lecteurs.

    La bonne idée de Marc Ouahnon, pour son ouvrage De notre envoyé spécial (éd. 1000 Sabords), est d’avoir imaginé les articles que le reporter imaginaire aurait pu écrire suite à ses pérégrinations (Le Petit Vingtième pour ses premières "enquêtes").

    Sur 62 pages – la pagination canonique des albums d’Hergé – Marc Ouahnon a écrit les chroniques des 23 albums complets (Tintin et l'Alph-Art a été volontairement mis de côté). Écrits à la première personne, en se mettant dans la peau de Tintin, Marc Ouahnon imagine comment celui-ci aurait pu relater ses pérégrinations en URSS, au Congo, sur la lune ou bien lors du séjour de La Castafiore à Moulinsart lors du vol de ses bijoux.

    Ses articles ont sensé être parus dans trois magazines : Le Petit Vingtième de 1930 à 1939, La Nuit de 1941 à 1943 et Le Reporter de 1946 à 1976.  

    Un livre-hommage que les tintinophiles ne manqueront pas de se procurer

    De notre envoyé spécial est un livre-hommage que les tintinophiles ne manqueront pas de se procurer et de lire. L’ouvrage est une plongée dans les aventures du reporter belge. Marc Ouahnon prend évidemment soin de se baser fidèlement à chacun de ses ouvrages.

    Ainsi, pour Tintin au Pays des Soviets, la BD originelle aux imperfections réelles mais touchantes, il se base en partie sur des élections truquées, avant de relater son investigation dans une Russie de la duperie et du crime. Pour la chronique sur Tintin en Amérique, c'est le récit sur une expropriation de peaux-rouges de leurs terres qui sert à pourfendre le capitalisme cynique des États-Unis durant La Prohibition.

    L’actualité et l’histoire sont au cœur de l’ouvrage, même si des libertés peuvent être prises : le faux-attentat des Japonais en Chine (Tintin et le Lotus Bleu) ou la course à l’espace (le fameux diptyque lunaire).

    Des articles font honneur à la fantaisie et aux récits d’aventure (L’étoile mystérieuse, Le Crabe aux pinces d’or, Tintin au Tibet ou les Bijoux de la Castafiore, même si Marc Ouahnon en profite pour parler de racisme pour ce dernier album). Intelligemment, les personnages accompagnant Tintin ne sont pas nommés tels quels, l’auteur préférant leur donner une apparence bien réelle, à l’image de Tournesol nommé Pr Piccard, son investigateur.

    Marc Ouahnon, De notre envoyé spécial, éd. 1000 Sabords, 2024, 64 p.
    https://www.editions-1000-sabords.fr
    https://www.facebook.com/lesamisdeherge

    Voir aussi : "Casta Diva"
    "Adieu, Tintin ?"

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  • Caroline Leisegang ressort de l’ombre

    Encore peu connue en France, Caroline Leisegang le restera-t-elle longtemps ? Voilà d’emblée la question que l’on se pose à l’écoute de son cinquième album, Comes The Night. La compositrice sud-africaine a sorti cet automne ce passionnant, vibrant et poignant opus.

    Connue grâce à son premier album Øyeblikkin en 2015 et forte de ses millions de streams, Caroline Leisegang a fait le choix ici du piano solo, des cordes…. et de la simplicité, y compris dans l’écriture. La violoncelliste Clare Vendeleur l’accompagne dans ce récit musical, avec une introduction (Beginning) et une fin (End).

    La compositrice sud-africaine prend par la main l’auditeur et l’auditrice pour son opus à la fois harmonique et minimaliste. Chaque note est choisie avec soin. La rencontre du violoncelle et du piano dans Enter Caroline donne à entendre une musique de chambre de notre époque. Une impression confirmée avec et autre titre, I Was Once A Prelude.

    Si la nuit vient, pour reprendre le titre de l’opus et du troisième mouvement, elle n’est ni lugubre ni terrorisante. On la dirait apaisante et mélancolique (Comes The Night).  

    Ronde enchantée

    Caroline Leisegang a fait le choix de morceaux brefs qui rendent d’autant plus efficaces son langage. Écouter le court BlackBird At Dawn c’est observer ces merles dès l’aube, avec discrétion pour ne pas les déranger, avant de les voir décoller ; mieux, de les accompagner dans le début de leur voyage. Ce morceau naturaliste convainc par sa retenue et son efficacité.

    Il y a de l’engagement environnemental dans cet autre mouvement au titre évocateur : When The World Won’t Keep Still (littéralement : "Quand le monde ne reste pas immobile"). Après un début apaisé, le mouvement s’accélère et devient nerveux, laissant entendre une sourde inquiétude. 

    Arrêtons-nous aussi sur l’un des meilleurs titres de l’opus. Il s’agit de Victorine, le morceau le plus long de l’album et pour lequel Caroline Leisegang avoue un attachement personnel. C’est une ronde enchantée que propose la musicienne sud-africaine mais où l’inquiétude et la nostalgie ne sont pas absents. On reproche souvent à la musique contemporaine sa froideur et sa technicité. Rien de tel ici. Victorine est un authentique joyau happant et envoûtant nos oreilles.   

    Contre toute attente, c’est avec un titre relativement long (4 minutes 29) que se termine le cinquième album de Caroline Leisegang. Voilà une fin (End) envoûtante en forme de bilan apaisé. La nuit reprend ses droits, avec douceur et stoïcisme. Mais non sans regret.

    D’ailleurs, du regret il n’y en a aucun dans la découverte de la compositrice sud-africaine. Cette œuvre personnelle la place déjà parmi les musiciennes actuelles sur qui il faut compter. 

    Caroline Leisegang, Comes The Night, A reintroduction of Caroline Leisegang, Xhap Xhap, 2024
    https://carolineleisegang.com
    https://www.instagram.com/carolineleisegang_music
    https://wildkatpr.com/caroline-leisegang-releases-her-fifth-studio-album-comes-the-night 

    Voir aussi : "La Bohême, la Bohême…"
    "Trio percutant"
    "Les couleurs musicales d’AyseDeniz"

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  • Sucré, salé, amer

    Eva Marchal c’est d’abord une voix fragile qui délivre pour son nouvel album, 88, ses confidences, ses interrogations sur le temps qui passe et sur l’amour. À l’instar du premier titre Je plane, avec une économie de mots, elle parle de mal-être, de mal de vivre et finalement de réconciliation avec soi-même : "Comme les nuages ont de beaux costumes / C’est là devant moi sur écran géant / Les chaos de mon âme se consument / J’ai laissé venir, il était temps de grandir". La chanteuse fait le constat d’un apaisement qui vient finalement, avec le temps : "Laisser-aller au gré du vent / Tous mes tourments / Se sont envolés" (Je plane).

    L’auditeur sera sans doute touché par Cigarettes de papier qui fait de souvenirs nostalgiques, simples et touchants, le portrait d’une femme qui a finalement fait ce qu’elle a pu ("Mais tu te dis que tu as fait / Ce que tu as pu / Tes rêves ont bien combattu / Au-delà de tes espérances"), avec des cigarettes de papier en guise de talisman.

    Le temps qui passe et l’amour fragile semblent être le fil conducteur de cet opus. Or, ce temps qui passe n’est pas évoqué dans toute sa cruauté mais avec une forme de sagesse. Eva Marchal chante, sur des paroles de Sophie Brugeille : "J’voudrais être vieille / Et pleine de rires / Avec une bouche qui garde / Le goût des souvenirs", mais pas trop vite cependant : "Donne moi le temps d’aimer / Donne moi le temps d’oser / Défier le temps Satan" (J’voudrais être vieille). 

    "Rien que toi dans ma ligne de mire / Je te salue la liberté"

    Pas si sage que ça, la chanteuse parle d’amour, même s’il est brut et sans concession : le titre pop en anglais Crush, franchement emballant, est une déclaration ("I dare to play at love, I’m just playing / I want to break away and set you free / I’m a lover, I’m a lover"), sans fard et même brutal ("I will share a car with you / I’ll even crush that car / Crush that car").

    Femme libre, l’artiste parle de "Règles du jeu / Pour ne pas paraître trop vieux" pour garder intact un amour et un couple passionné (On s’est gardés). Mais sommes-nous pour autant à l’abri de la lassitude, de l’épuisement et de la morosité ? ("Es-tu happy ou sad? / Dis, sommes-nous crazy now, dis ? / Derrière ton visage emoji / Au bal des faux semblants / Es-tu toujours / Encore celui d’avant?", Sans Emoji).

    Dans la ballade Peine perdue (paroles de Sophie Brugeille), c’est un amour disparu que pleure la chanteuse. Le deuil sentimental qu’elle constate est aussi le début d’une reconstruction : "Aujourd’hui, j’ai la force de voir plus loin que toi / Là je sens que j’amorce un long chemin vers moi". La voix à fleur de peau et presque enfantine d’Eva Marchal se fait onirique dans cet extrait mêlant chanson et électro-pop. L’amer parle aussi de départ et de séparation : "Garde le ton amour / La mer l’a emportée / La mer te le renvoie / Avant que je ne me noie".

    Le titre Who I Am évoque une rencontre bouleversante avec son père biologique, teintée de quête d’identité. Quant au morceau Tu regagnes le port, c'est une chanson poignante sur Alzheimer et la peur d’oublier ceux qui nous sont chers.

    Eva Marchal est comme ça, à la fois femme libre et amoureuse passionnée capable de s’aliéner dans le désir ("Viens avec ingéniosité / Hacker mon cœur / Viens l’apprivoiser / Déverrouiller ses arcanes / Raviver dedans ce qui se fane", Hacker mon cœur). Mais lorsque l’on est quittés, quelle douleur ! Elle chante la séparation douloureuse ("Alors je me raccroche / Dès que tu regagnes le port / Je me raccroche / Dès que tu regagnes le port / Je t’agrippe fort", / Tu regagnes le port) mais aussi l’impossibilité de se dire vraiment adieu (Other shore).

    L’auditeur sera sensible à cet autre titre en anglais qu’est la vibrante déclaration This Woman’s Work. L’influence de Kate Bush est évidente dans cette jolie ballade à la facture eighties.

    Finalement, Tout roule, chante Eva Marchal en conclusion de son très bel album. Ce titre nous renvoie à des souvenirs d’enfance et aux courses insouciantes en bécane, comme une allégorie de la vie et du temps qui passe. La chanteuse a ces mots magnifiques qui résument tout l’opus : "Rien que toi dans ma ligne de mire / Je te salue la liberté". 

    Eva Marchal, 88, Les Contes de Roméo, 2024
    https://linktr.ee/evamarchal
    https://www.facebook.com/sofrenchgirly
    https://www.instagram.com/marchaleva

    Voir aussi : "Loussine In The Sly With Diamonds Of Blues"

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  • Sa vie de geisha

    On a peine à croire que le diptyque Geisha ou Le jeu du shamisen, publié chez Futuropolis en 2017 soit l’œuvre de deux auteurs bien de chez nous. Et pourtant, Christian Perrissin au scénario et Christian Durieux au dessin nous offrent une formidable plongée dans le Japon traditionnel. Ils s’intéressent aux geishas, des femmes suscitant encore fascination, fantasme et idées reçues. Il fallait bien deux tomes pour marcher sur les pas d’une de ces geishas, de la naissance dans un milieu pauvre jusqu’à ses derniers jours dans un Japon occidentalisé.

    Setsuko Tsuda naît pauvre dans un village "de la péninsule". Nous sommes dans les premières années du XXe siècle. Son père, un ancien samouraï désargenté, tente tant bien que mal de faire vivre sa famille, sa femme et ses deux filles grâce à la vente de modestes sculptures en bois. Setsuko et ses proches quittent la campagne pour rejoindre une grande ville de la Côte Est, sans doute Yokohama. Les espoirs d’une vie meilleure sont vites déçus. Lorsqu’elle a 10 ans, Stetsuko est vendue par son père à une maison qui forme des geishas pour vendre leurs services. Stetsuko est rebaptisée sous le nom de Kitsune.

    Désormais, son univers sera celui de ses "sœurs" et de ses supérieures. La tradition veut aussi que, "vendue" à l’okiya (la maison des geisha), la jeune geisha devra en réalité rembourser ce qui n’était qu’un "prêt". Les années passent et Kitsune parvient à se faire une place dans ce milieu singulier. Un shamishen, instrument de musique traditionnel, devient l’objet qu’elle ne quitte plus. 

    Le scénario se déploie sans à-coups, avec une fluidité enivrante

    Geisha ou Le jeu du shamisen, en  deux tomes, est une fiction tirée de plusieurs témoignages (Mémoires d’une Geisha d’Inoue Yuki, Ma vie de geisha d’Iwazaki Mineko, Du côté des saules et des fleurs de Kafu Nagai) mais aussi de documents, romans et chroniques. Par ailleurs, le personnage de Shuji Ariyoshi est inspiré de l’écrivain Osamu Dazaï. Voilà qui donne à cette histoire en deux volumes un parfum d’authenticité.

    Graphiquement, Christian Durieux orientalise son trait, donnant à cette bande dessinée française une facture proche du manga à la Jirō Taniguchi. Le scénario se déploie sans à-coups, avec une fluidité enivrante. Les auteurs évitent de tomber dans le piège du scabreux, sans pour autant cacher la réalité sordide de ces jeunes femmes utilisés comme objets sexuels, faire-valoir et dames de compagnie – pour ne pas dire prostituées.

    C’est la voix de Stetsuko/Kitsune qui se donne à entendre tout au long du récit. Elle ne cache ni la douleur de sa séparation – son insoutenable vente par son propre père – ni les liens forts qu’elle a pu avoir, y compris avec la responsable de l’okiya, Madame Tsushima. La musique devient un but dans sa vie et son shamisen un compagnon de vie. Dans le deuxième tome, la rencontre avec Shuji et l’amour deviennent centraux, alors que le Japon comme à se tourner vers la modernité et à se détourner de traditions ancestrales, à l’instar des geishas. Singulièrement, Kitsune y verra une évolution inéluctable mais non sans nostalgie.      

    Christian Durieux & Christian Perrissin, Geisha ou Le jeu du shamisen,
    éd. Futuropolis, 2 tomes, 88 p.  chacun, 2017

    https://www.futuropolis.fr/9782754812160/geisha-ou-le-jeu-du-shamisen-1.html
    https://www.instagram.com/christiandurieux33

    Voir aussi : "La femme qui aimait un homme qui aimait un homme qui était une femme"

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  • Prières pour l’Ukraine

    L’Ukraine, martyrisée et en partie occuper par la Russie, méritait bien cet album à la fois artistique et humaniste, hommage aux victimes ukrainiennes de ce pays et appel à la liberté.

    Prayer for Ukraine (Phenotypic Recordings) a été imaginé par l’ensemble ukrainien Vivere String Quartet (avec Anna Bura et Dmytro Lysko au violon, Ustym Zhuk à l’alto et Dmytro Nikolayev au violoncelle) qui entendent bien défendre la musique classique ukrainienne ainsi que les compositeurs actuels de ce pays.

    Ajoutons que l’expression "Prayer for Ukraine" fait référence à son hymne national composé en 1885 par Mykola Lysenko sur un texte d’Oleksandr Konysky. Pour cet opus, les quatre musiciens et musicienne ont œuvré en dépit des dangers, des bombes, des exils forcés et des séparations avec leurs proches. Le résultat est ce cri en faveur de la liberté : "La liberté n'est pas acquise ; elle se mérite grâce aux efforts inlassables de ceux qui osent rêver d'un avenir meilleur ou, du moins, d'un « lendemain ». La poursuite de la liberté exige notre force et notre solidarité collectives".    

    Maria’s City (Mariupol) est un chant funèbre déchirant composé en 2022 par Zoltan Almashi, né en 1975. Ce titre fait référence à la cité ukrainienne détruite par l’armée russe après des mois de siège. Le titre lui-même a été composé à Kiev sous les bombes. Un autre titre de Zoltan Almashi est proposé : Carpathian Song, datant de 2019. Cette pièce a été écrite pour un Ukrainien en exil. L’âme de ce pays transparaît dans ce morceau mélancolique qui évoque le mal du pays. Zoltan Almashi fait se mêler le contemporain et la musiques folklorique, non sans l’influence du classicisme.  

    Victime directe de l’agression russe contre l’Ukraine

    Le quartet propose deux œuvres de Vasyl Barvinsky (1888-1963). Son style néo-romantique a été inspiré par ses voyages européens et en particulier à Prague. Sa carrière prestigieuse a été, hélas, stoppée net par la dictature soviétique, ce qui n’empêcha pas le musicien de préserver ses compositions dont beaucoup ont, hélas, disparu. Prayer, écrit en 1912 est le deuxième des deux mouvements nous restant de son Quintette pour piano et violon.

    Tout aussi classique, le String Quartet, datant de 1935 et complet, lui, puise dans des mélodies ukrainiennes. Le Largo séduit grâce à ses riches variations, ses couleurs et ses instants méditatifs grâce à un quartet uni comme jamais. Pour le bref Scherzo, Vasyl Barvinsky s’est inspiré de danses de son pays. L’Andante, court lui aussi (1 minute 46), se veut élégiaque, comme s’il y avait une urgence. "Dépêchons-nous de vivre" semble nous dire à l’oreille le compositeur. L’Allegro moderato vient conclure l’opus avec des danses folkloriques, dans une élégante facture néo-romantique.   

    Hanna Havrylets (1858-2022) a une place particulière dans ce programme. Elle est une victime directe de l’agression russe contre l’Ukraine car elle mourut au 3e jour de la guerre. Le Vivere String Quartet propose son bouleversant morceau To Mary qui a été composé en 2019. Impossible de ne pas rester insensible à ce qui est sans doute le plus beau titre de l’album. Un second morceau d’Hanna Havrylets, Expressions, vient conclure l’enregistrement. Écrit en 2004, de facture plus moderne et minimaliste, Expressions étire sur plus de 9 minutes quelques notes répétées, avec des accélérations, des suspensions, donnant à ce singulier titre une tension palpable.

    Grâce à ce passionnant et riche album, le Vivere String Quartet propose l’un des plus beaux hommages à un pays qui a bien besoin de l’art et de la musique pour défendre sa culture et son âme. Bravo !

    Vivere String Quartet, Prayer for Ukraine, Phenotypic Recordings, 2024
    https://www.facebook.com/viverequartet
    https://www.phenotypicrecordings.com/vivere-string-quartet

    Voir aussi : "Bach, suites"
    "Guerres et paix"

    Crédit photo © Eric Cheng

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  • Bonnes chansons de Fauré

    En cette année Fauré (le compositeur français est mort en novembre 1924), pour quelques jours encore, il n’est pas trop tard pour s’intéresser à un délicat album du duo formé par Jacques Herbillon, décédé en 2023, et Théodore Paraskivesco. Le regretté baryton et le pianiste franco-roumain proposent un programme de mélodies et de chansons, complétées par L’Horizon chimérique op. 118.

    Ne nous arrêtons pas, dit en substance le livret du disque, sur l’allure bonhomme de Gabriel Fauré et de ses œuvres d’une simplicité parfois austère. En réalité, le caractère bien trempé de l’auteur du célèbre Requiem était notable. Quant à ses mélodies, elles étaient goûtées et chantées avec bonheur dans l’Europe entière, y compris en Belgique, en Allemagne ou Angleterre où l’on s’en délectait particulièrement.

    Voilà pourquoi cet album proposé par  Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco est essentiel. Les deux musiciens mettent un point d’honneur à sortir de dessous les fagots des chansons et des mélodies à la facture musique française bien assumée.

    Le compositeur s’appuie sur les textes d’écrivains parfois connus (Victor Hugo, Paul Verlaine, Théophile Gauthier, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle Adam), parfois moins (Raymond Bussine, Paul de Choudens, Armand Sylvestre, Victor Wilder, Jean Richepin, Jean de la Ville de Mirmont).

    Les compositions de Fauré et les interprétations de Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco laissent à entendre le raffinement, y compris dans les poèmes les plus sombres (le poignant Au cimetière) et romantiques. Que l’on pense à L’Absent de Victor Hugo ("— Sentiers où l'herbe se balance, / Vallons, coteaux, bois chevelus, / Pourquoi ce deuil et ce silence ? / — Celui qui venait ne vient plus...").

    Le post-romantisme finissant est à l’œuvre dans ces chansons souvent brèves (elles dépassent rarement les trois minutes) et aux titres évocateurs : Aubade, Tristesse, Sylvie, Chanson d’amour. Fauré est un compositeur dont le travail harmonique a pu sembler décalé à la fin de sa vie, avec le surgissement du modernisme en musique. Une considération vite oubliée, tant le travail sur les mélodies continue à impressionner (Après un rêve ou le somptueux Noël). 

    Le travail de Gabriel Fauré sur les mélodies continue à impressionner

    L’auditeur s’arrêtera sur le mystérieux et parnassien poème de Sully Prudhomme, Ici-bas ("Ici-bas tous les hommes pleurent / Leurs amitiés ou leurs amours / Je rêve aux bonheurs qui demeurent / Toujours..."). Fauré le met en musique avec le tact artistique dont il est habitué, sans ostentation. On peut aussi parler de légèreté dans certains morceaux (Chanson d’amour), voire d’onirisme – et parnassien (La Fée aux chansons, Aurore, Le pays des rêves). N’oublions pas non plus l’orientalisme du poème Les Roses d’Ispahan ("Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse, / Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger / Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce, / O blanche Leïlah ! que ton souffle léger...").

    L’un des morceaux phares de ce programme est la mise en musique du Clair de lune de Verlaine, tiré des Fêtes galantes ("Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques / Jouant du luth et dansant et quasi / Tristes sous leurs déguisements fantasques..."). Fauré s’approprie les vers du poète français avec la délicatesse, la grâce et la simplicité qu’on lui connaît. Le piano de Thédore Paraskivesco déroule avec la même discrétion, tandis que Jacques Herbillon s’interdit toute effusion et choisit la pudeur et la retenue. Verlaine est encore présent dans ces Mélodies de Fauré avec son fameux Spleen ("Les roses étaient toutes rouges / Et les lierres étaient tout noirs. / Chère, pour peu que tu ne bouges, / Renaissent tous mes désespoirs. / Le ciel était trop bleu, trop tendre, / La mer trop verte et l'air trop doux. / Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre ! / Quelque fuite atroce de vous. / Du houx à la feuille vernie / Et du luisant buis je suis las, / Et de la campagne infinie / Et de tout, fors de vous, hélas !").

    Encore et surtout Verlaine avec La Bonne Chanson. Du recueil éponyme du poète parnassien, Fauré en a tiré neuf mélodies. Là encore, les chansons sont courtes (la plus longue fait un peu plus de trois minutes). Le compositeur français a dédié son œuvre à sa maîtresse Emma Bardac. Il est vrai que l’esprit romantique plane sur ces morceaux délicats mais non moins torturés ("J'allais par des chemins perfides, / Douloureusement incertain. / Vos chères mains furent mes guides").

    L’Horizon chimérique op. 118 vient clore cet album émouvant. Émouvant car, en plus d’être un hommage à Gabriel Fauré, il constitue un testament musical de Jacques Herbillon. Ce  cycle de mélodies est constitué de quatre mélodies écrites à la fin de sa vie, sur des poèmes de Jean de la Ville de Mirmont. Fauré fait ici de touchants adieux, avec toujours cette économie de moyens (Je me suis embarqué, Vaisseaux, nous vous aurons aimés). 

    Gabriel Fauré, Mélodies, Jacques Herbillon (baryton) & Thédore Paraskivesco (piano),
    Indésens Calliope, 2024

    https://indesenscalliope.com/boutique/faure-melodies

    Voir aussi : "Élégies pour Fauré"

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  • Fario

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Fario. Il sera visible du 18 au 24 décembre. Soirée débat à l’Alticiné le lundi 23 décembre 2024 à 20H30.

    Léo, jeune ingénieur brillant et fêtard qui vit à Berlin, doit rentrer dans son village du Doubs pour vendre les terrains agricoles de son père à une entreprise de forage de métaux rares. Il retrouve sa mère, sa petite sœur, ses copains et son cousin, en désaccord avec le projet de mine. Rapidement, Léo observe d’étranges comportements chez les farios, ces truites qui peuplent la rivière. Il se lance alors dans une enquête hallucinée…

    Fario, drame français de Film français de Lucie Prost 
    avec Finnegan Oldfield, Megan Northam, Florence Loiret Caille, 2024, 90 mn
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1506
    http://www.paname-distribution.com

    Voir aussi : "La Plus précieuse des marchandises

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  • Bach, suites

    Les Suites anglaises de Bach font partie des chefs d’œuvre archi-enregistrés mais, comme on le dit, on revient toujours à Bach, tant chaque écoute apporte son lot de surprises supplémentaires. Pour cet album d'Accentus consacré aux Suites anglaises, c’est la discrète, anti-star et formidable pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei qui se colle à l’exercice.

    Mais au fait, en quoi ces Suites sont-elles anglaises ? L’explication est floue et matière à interprétation. Elles ne sont certes pas plus anglaises que ces deux autres suites pour clavier sont françaises ou italiennes… Disons juste que, vraisemblablement, le compositeur allemand s’est inspiré de suites composées vers 1701 par le musicien français installé à Londres, Charles Dieupart (source : Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Suites_anglaises). Zhu Xiao-Mei elle-même s’interroge sur la date de conception de ces suites, écrites sans doute assez tôt dans la carrière du Cantor de Leipzig.

    La virtuosité et la technicité frappent dès les premières notes, celles précisément de la Suite n°3. Oui, la troisième Suite, car la pianiste n’a pas choisi l’ordre le numérotation pour son coffret. Le premier disque commence par la n°3, avant d’enchaîner sur la première puis la deuxième. Le deuxième CD opte, lui, pour les Suites n°5, 4 puis 6.

    Au clavier, se trouve l’exceptionnelle pianiste Zhu Xiao-Mei qui, après des années de souffrance en Chine, s’est installée depuis les années 80 en France où sa notoriété d’est allée qu'en grandissant. Elle est familière de l’œuvre de Bach dont elle a jouée l’essentiel – même si le concept d’intégral lui est "étrangère", comme elle le dit dans le livret de ce coffret proposé par Acentus. Après plusieurs déconvenues, dont l’une due à la pandémie du Covid, l’enregistrement a été fait en juin 2022 à la Chapelle de Saint-Antoine de Névache dans les Hautes-Alpes.

    Et si Jean-Sébastien Bach était plus mélodiste qu’on ne veuille bien le dire ?

    Les Suites anglaises de Bach (BWV  806 à 811) suivent grosso modo la même disposition : Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, avec parfois d'autres mouvements de danses traditionnelles – Menuet, Passepied, Gavotte et Bourrée. De là vient sans doute l’irrésistible attraction de ces suites.

    Et si Jean-Sébastien Bach était plus mélodiste qu’on ne veuille bien le dire, à l’image du Prélude de la Suite n°3 ? L’image d’un Bach "cérébral" – bien présent par exemple dans le long et passionnant Prélude de la Suite n°2 ou encore le Prélude de la Suite n°4 – est à relativiser à l’écoute de cet hypnotisant coffret, y compris lorsqu’il s’agit de mouvements aussi populaires pour l’époque que la gavotte (Gavotte I de la Suite n°3, Courante, Gigue de la Suite n°2 ou la Gigue de la n°4). L’auditeur sera frappé par la délicatesse que met Zhu Xiao-Mei dans l’interprétation de l’Allemande ou de l’envoûtante Sarabande dans la Suite n°1.

    L’auditeur retrouvera avec plaisir ce "tube" qu’est la Sarabande de la deuxième Suite, à la construction harmonique incroyable et qui vient attester les propos de Zhu Xiao-Mei sur le génie mélodique qu’était Bach. On pense aussi au Prélude de la Suite n°5 dont Zhu Xiao-Mei s’empare avec autorité. La retenue de l’interprète dans la Sarabande de la même Suite est bouleversante. Les notes se détachent avec délicatesse et une pudeur infinie. Bach surprend, y compris là où on ne l’attend pas. Pour s’en convaincre, il faut écouter les Gavottes I et II de la sixième Suite. On devine le plaisir de la pianiste dans ces deux mouvements faussement légers et réellement piégeux. Terminons par cette dernière Suite et sa Gigue endiablée et incroyablement moderne.

    Voilà qui finit de nous convaincre que, comme le dit Zhu Xiao-Mei, ces Suites anglaises ne sont pas des œuvres "comme les autres".

    J.S. Bach, The English Suites, Zhu Xiao-Mei, piano, Accentus Music, 2024
    https://accentus.com/discs/428
    https://www.zhuxiaomei.com

    Voir aussi : "La Bohême, la Bohême"

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