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  • Le cinéma sur le divan

    Films de famille (éd. Borromées), l’essai de Philippe Collinet, un "psychanalyste cinéphile", se veut "une tentative de nouer le cinéma et la psychanalyse dans le cadre familial". Dans cet essai mixant science psychanalytique et art cinématographique, quelques questions essentielles se posent : "Qu’est-ce qu’une famille ?", "Le père a-t-il encore un nom ?", Qu’est-ce qu’une sexualité libérée ? Quels liens peuvent exister entre les pères, les mères, les fils et les filles ? Et les orphelins et orphelines ? Quant aux femmes, où en sont-elles suite aux différentes vagues de révolutions féministes ? Voilà de vastes et passionnants sujets décryptés grâce au cinéma, de Charlie Chaplin à Nanni Moretti, en passant par Claude Sautet, François Ozon ou Brigitte Bardot.

    Une brève histoire du cinéma donc, avec le rappel des inventions techniques, sans oublier l’évocation capitale des films publicitaires ou des films d’amateur rendus possibles grâce à la popularisation des caméras, via la vidéo : "L’intention première est de filmer pour garder en mémoire le souvenir des événements, des lieux, des membres de la famille." Et c’est là que le psychanalyste parle : "L’histoire familiale ne se filme pas, ne se découpe pas, ne se monte et ne se projette pas sans une autocensure inconsciente et cachée. Le refoulement est naturel et réflexe." Autre genre évoqué, celui du film d’auteur : "Le cinéaste et ses inventions (...) peuvent faire avancer et approfondir les concepts de la psychanalyse et peut-être modifier parfois l’écoute des patients sur le divan dans la cure."  Film d’art et d’essai et documentaire peuvent s’alimenter à cet égard mutuellement, comme le montrent les premières œuvres d’Arnaud Desplechin La vie des morts et La Sentinelle : "La poésie et l’opéra, écoutés en silence, ménagent des entractes intenses de partage familial. On reste en famille, une famille mise en actes sur une autre scène, la vraie".

    L'auteur fait le focus sur plusieurs films, objets de chapitre à part. La première œuvre commentée est The Fabelmans de Spielberg, "le cinéaste de la jeunesse", formidable portrait familial autour du cinéma. Quel autre film pouvait commencer aussi bien cet essai ? "Sam (...) prend conscience que le cinéma a des effets inattendus dans sa famille et au lycée où les réactions des amis ou rivaux sont à l’opposé de ce qu’il attendait".

    À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma, on trouvera dans l’ouvrage de Philippe Collinet des pages documentées sur la structure familiale, sa définition, le système du patriarcat et sur les "complexes familiaux" qui fait l’objet d’un chapitre, tout comme les autres parentalités (homoparentalité, adoptions, GPA ou coparentalités). Le complexe d’œdipe n’est pas non plus oublié. 

    À mi chemin entre essai psychanalyse et exégèse autour du cinéma

    La culture cinématographique de Philippe Collinet impressionne dans cet essai dédié à la psychanalyse. James Dean, Xavier Dolan – très présent dans l’ouvrage – ou François Truffait côtoient Pasolini, Maurice Pialat ou Julia Ducourneau ("l’enfant terrible du cinéma au féminin", présente avec ses deux films majeurs, Grave et Titane).

    Le chapitre intitulé "Le complexe de la sexualisation" s’intéresse aux questionnements de féministes radicales au sujet des questions de genre et de sexe ("Il faut détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories d’homme et de femme" écrivait M. Witting). L’auteur insiste sur son refus de souscrire à de tels extrémismes qui ne reflètent qu’une minorité de femmes : "La psychanalyse rencontre peu de femmes aussi radicalisées, sur le divan", rappelle-t-il avec raison. Pour appuyer ses propos, là encore Philippe Collinet évoque plusieurs films : Petite fille de Sebastien Lifshitz (2020), Laurence anyways de Xavier Dolan (2012) et Masculin, Féminin de Jean-Luc Godard (1966).

    Les cinéphiles trouveront matière à découvrir des films moins connus, que ce soit Mon roi de Maïwenn (2015), le film néo-zélandais L’Âme des guerriers de Lee Tamahori (1994) ou Maria’s lovers d’Andreï Kontchalovski (1984).

    Philippe Collinet propose une section consacrée aux enfants, le cinéma s’étant très tôt intéressé à eux. Que l’on pense au Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) ou Cendrillon (1950). Les parents (avec le chapitre "Les parents terribles") ne sont pas en reste , avec quelques grands films : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy (1973), Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985) ou Le Fils du désert de John Ford (1948).

    Le rôle des femmes et des mères n’est pas absent. Jean Eustache ouvre la marche avec son chef d’œuvre, certes daté, La Maman et la putain (1973), Tout sur ma mère de Pedro Almodovar (1999) ou Sonate d’automne d’Ingmar Bergman (1978).

    On peut remercier Philippe Collinet de ne pas avoir oublié Citizen Kane d’Orson Welles qui est sans doute à classer parmi les trois plus grands films de l’histoire du cinéma, sinon le plus grand.

    Non sans malice, l’auteur consacre un chapitre à "la grande famille du cinéma", une allusion lancée parfois avec emphase (Jane Moreau) mais aussi moquée pour son entre-soi. Finalement quel autre art que le cinéma pouvait aussi bien parler de la famille ?

    Philippe Collinet, Films de famille, Complexes familiaux, 2024, éd. Borromées, 260 p. 
    https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/films-de-famille

    Voir aussi : "Un pied dans la porte pour le manipulé"

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  • Pierre Boulez, le maître au marteau et à la baguette

    2025 marque le centenaire de la naissance de Pierre Boulez, décédé en 2016, il y a moins de 10 ans. Le documentaire Pierre Boulez - Le chemin vers l'inconnu, visible sur Arte propose de revenir sur ce géant de la musique, tour à tour décrié, acclamé, incompris ou admiré. C’est singulièrement d’Allemagne que nous vient ce document passionnant. Thomas von Steinaecker propose de parler de Pierre Boulez, le déchiffrer et expliquer son importance.

    Qui est Pierre Boulez ? La question se pose d’emblée. Que de chemins parcourus entre ce jeune homme originaire de la Loire et ce personnage qui a fait se déplacer les foules lors de ses concerts et est devenu le personnage central de la musique du XXe et du début du XXIe siècle.

    Révolutionnaire est le mot qui revient le premier en tête lorsque l’on évoque le compositeur. le pianiste Pierre-Laurent Aimard évoque à ce sujet une conversation entre le jeune Boulez et son maître Olivier Messiaen au sujet de la musique sclérosée d'après-guerre. D’emblée, Messiaen voit en Boulez celui qui va renverser la table et bousculer un art qui se remettait à peine des années 30 embourgeoisées et des années 40 de sinistre mémoire. L'intuitionn était la bonne. En quelques dizaines d’années, Boulez transforme la France musicale comme personne avant lui.

    "Secret"

    Le documentaire explique en quoi Boulez a dominé son époque comme peu d’artistes avant lui. La comparaison avec Mozart peu étonner. Or, si elle est critiquable c’est sans doute paradoxalement en raison de l’apport bien plus fondamental de Boulez à son époque, tant du point de vue stylistique que culturel.

    Des grandes œuvres sont évoquées, à commencer par Le Marteau sans maître (1855), "une révolution" dit le chef d’orchestre François-Xavier Roth. Rythmes, finesse des sons (ce qui n’est a priori pas la première chose qu’un auditeur retiendrait à la première écoute), écriture précise sans cesse "remise sur le métier" (Notations, Pli selon pli) et surtout complexité d’interprétation pour les interprètes.

    En 2025, l’œuvre de Boulez est entrée dans le patrimoine, avec respect et admiration mais aussi beaucoup d’incompréhension et de perplexité. Le documentaire nous fait entrer aussi au cœur d’une époque remuée par les révolutions, les expérimentations (l’apport de l’électronique via, notamment, l’Ircam) et le désir de changer le monde pour le meilleur – l’humanisme, la créativité, l’intelligence.

    L’autre domaine dans lequel Boulez a excellé est dans l’orchestration. Après ses jeunes années de création contemporaine, il se révèle en chef d’orchestre incroyable, y compris dans le répertoire classique et romantique : précis, sensible, intelligent, révolutionnaire (La Tétralogie de Wagner mise en scène par Patrice Chéreau à Bayreuth, en 1976). Ses versions de Mahler (la 2e Symphonie notamment) font parfois dire que beaucoup préfèrent largement le conducteur d’orchestre au compositeur novateur.

    Le documentaire de Thomas von Steinaecker aborde peu l’aspect privé de l’artiste. C’est un "homme secret" est-il dit. Le voile est cependant levé discrètement sur son ancien secrétaire particulier, Hans Messner, qui a sans doute été le soutien le plus important de la vie du musicien. On n'en saura pas plus et peu importe. L’œuvre de Boulez est si importante qu’il faut s’en contenter et c'est déjà énorme.   

    Pierre Boulez - Le chemin vers l'inconnu,
    documentaire allemand de Thomas von Steinaecker, Arte, 2025, 54 mn

    https://www.arte.tv/fr/videos/115573-000-A/pierre-boulez-le-chemin-vers-l-inconnu

    Voir aussi : "Pierre Boulez : Mort d'un géant"

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  • Je suis un être humain

    Quel contraste entre Eraserhead, le premier long-métrage surréaliste et un brin foutraque du  tout jeune David Lynch et cet Elephant Man, son deuxième film, acclamé par le public et la critique, sans toutefois avoir récolté les récompenses qu’il aurait mérité – aucun oscar, pas même celui du meilleur maquillage, prix qui ne sera créé du reste qu’un an plus tard…

    Or, à y réfléchir de plus près, cet homme éléphant n’est pas aussi éloigné que le bébé difforme et monstrueux d’Eraserhead. On oserait presque dire qu’il semble en être un prolongement. Ajoutons aussi que les deux films ont été tournés en noir et blanc, un noir et blanc somptueux pour Elephant Man grâce au travail de Freddie Francis.

    Que de différences entre le long-métrage de 1980, Grand Prix du festival d’Avoriaz et César du meilleur film étranger, et Eraserhead ! A sa sortie, le scénario linéaire, chronologique et clair d'Elephant Man fait taire de nombreuses critiques échaudées par son précédent opus indépendant surréaliste et psychanalytique.

    Pour Elephant Man, le réalisateur américain a choisi de s’intéresser à l’histoire vraie de John Merrick (en réalité Joseph Merrick), joué par John Hurt, recueilli par le docteur Frederick Treves (Anthony Hopkins). Être né difforme, Merrick est exhibé dans des foires, très populaires à la fin du XIXe siècle. L’homme éléphant trouve asile dans l’hôpital où travaille Treves, en dépit des critiques de ses pairs. Très vite, Merrick s’avère ne pas être le monstre qu’il paraît. Il est aimable, d’une grande gentillesse et très cultivé. Bientôt, il devient une célébrité, s’attirant la sympathie d’une actrice renommée.  

    Un être sensible, doux comme un agneau, cultivé, artiste et aussi malheureux

    Qui sont les monstres ? Voilà la question qui traverse ce film devenu un grand classique du cinéma. Cet homme que la nature a rendu physiquement difforme ? Son propriétaire qui l’exploite sans vergogne ? Les spectateurs - on oserait même ajouter ceux du film - qui viennent contempler le "monstre" pour goûter à une peur excitante ? Ou bien le Dr Treves, comme il le dit lui-même ? C’est pourtant à ce dernier que l’homme éléphant doit une nouvelle existence presque normale, entouré de médecins, d’aides-soignantes dévouées et d’admirateurs et admiratrices. Lorsque ce dernier, pourchassé dans le métro, clame cette phrase devenue culte, "Je ne suis pas un animal, je suis un être vivant !", il fait face à une horde de passants devenus eux-mêmes monstrueux. Le spectateur ne découvre l'apparence physique de l'homme éléphant qu’au bout de 25 minutes, suite à l’intrusion d’une aide-soignante  dans sa chambre. La jeune femme hurle de peur, peur partagée par l’homme monstrueux.

    Finalement, seule la comédienne  Madge Kendal, jouée par la superbe Anne Bancroft (Miracle en Alabama, Le Lauréat), et devenue son amie, apparaît comme la seule personne pure du film – avec John Merrick lui-même. 

    John Merrick, aussi effrayant qu’il soit (bravo au maquillage ahurissant de Christopher Tucker !), est d’abord un être sensible, doux comme un agneau, cultivé, artiste et aussi malheureux. L’abandon de sa mère est d’ailleurs le nœud de sa souffrance, sans doute autant que les humiliations et les coups de sa vie de bête de foire. 

    Le soulagement final de cette triste existence ne viendra que dans les dernières minutes, avec quelques plans oniriques – une marque de fabrique de Lynch – et la voix consolatrice de la mère de Merrick : "Rien ne meurt jamais", murmure-t-elle à son fils dans ce dernier moment devenu une délivrance. 

    Elephant Man, drame de Lynch David, avec Anthony Hopkins, John Hurt, Anne Bancroft,
    1980, 124 mn, StudioCanal 

    https://store.potemkine.fr/dvd/5053083211769-elephant-man-lynch-david

    Voir aussi : "Tête effaçable"

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  • Ewa, lève-toi

    La série The Eastern Gate sonne bizarrement et froidement en cette période marquée par les tensions entre Russie, Europe, OTAN et États-Unis.

    C’est de Pologne que nous vient cette création proposée par la plateforme Max. Nous sommes dans les six premiers mois de l’année 2021. La Russie n’a pas encore envahi l’Ukraine. Une équipe d’espions polonais est envoyée en Biélorussie suite au suicide d’une consule. On soupçonne une taupe d’y sévir à l’ambassade polonaise.

    Ewa Oginiec et son compagnon Skiner y sont dépêchés, en dépit d’une précédente mission qui a laissé l’agente blessée et traumatisée. Or, Skinner qui l'a précédée est enlevé par les services secrets biélorusses.

    La main de la Russie est derrière cette opération. Ewa rejoint la Biélorussie sous couverture officielle. La fausse consule enquête pour découvrir la taupe alors que les menaces grondent en Europe : tensions autour de Kaliningrad, menaces de déstabilisation sur la Pologne sous prétexte d’attentats et OTAN sur les dents. 

    Les menaces grondent en Europe

    La mini-série polonaise d’espionnage fait la part belle aux dissimulations, fausses identités et autres coups tordus. On sera agréablement dépaysé et surpris par le parti-pris de faire descendre ces agents de l’ombre de leur piédestal. Ewa est une femme meurtrie par les conséquences d’une mission ayant mal tourné  – ou plutôt ayant à moitié réussi. Impénétrable, froide et déterminée, elle embrasse ses couvertures avec talent – jeune étudiante transie d’amour, diplomate hautaine, fille de bar – mais non sans se mettre en danger.

    Derrière ces opérations à haut risques, ces "légendes" ou ces manipulations – et il y en a jusqu’au tout dernier épisode – se profilent des tensions politiques, bien réelles celles-là. Une Biélorussie en État sous-fifre de Moscou, une Russie inquiétante et menaçante et une Pologne se voyant en cible potentielle d’un pays dominé par un dictateur que personne ne nomme mais que tout le monde connaît...

    La fameuse "Porte de l’Est", illustrée par le titre éloquent du générique, fait référence au Couloir de Suwałki, une bande frontalière hautement stratégique et dangereuse. Elle sépare la Pologne et la Lituanie mais, surtout, elle est bordée par la Biélorussie, d’une part, et l'enclave russe de Kaliningrad. Autant dire qu'il s'agit d'un territoire de 85 kilomètres de long absolument explosif.   

    Voilà donc une série fictive passionnante, avec une actrice formidable (Lena Góra, déjà vue en France dans la série polonaise The King), sur fond de géopolitique, hélas d'actualité. Frissons garantis. 

    The Eastern Gate, série d’espionnage polonaise de Jan P. Matuszyński,
    avec Lena Góra, Karol Pochec, Bartlomiej Topa, 2025, saison 1, 6 épisodes, Max

    https://play.max.com/show/b307efb7-32fc-40be-97d7-da7f32e70e69

    Voir aussi : "Les maîtres du ghetto"
    "Mes parents étaient des espions communistes"

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  • Yōkai, le monde des esprits

    Les Cramés de la Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Yōkai, le monde des esprits. Il sera visible les jeudi 27, dimanche 30 et lundi 31 mars. Soirée débat à l’Alticiné le mardi 1er avril à 20H30.

    Claire, une célèbre chanteuse, s’envole au Japon pour un dernier concert à guichet fermé. Lorsque le concert prend fin, sa vie sur terre s’arrête aussi. Une nouvelle vie inattendue s’offre alors à elle : un au-delà dans lequel Yuzo, l’un de ses plus grands fans, l’attend.

    Yōkai, le monde des esprits, drame japonais de Eric Khoo
    avec Catherine Deneuve, Yutaka Takenouchi, Masaaki Sakai, 2025, 94 mn

    Titre original : Spirit World
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1538

    Voir aussi : "Black Dog"

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  • Torelli sorti de l’oubli

    Giuseppe Torelli fait partie de ces compositeurs baroques tombés quasi dans l'oubli et que cet enregistrement du Manuscrit de Sonates en Trio par La Chapelle Saint-Marc entend à faire découvrir. Et quel enregistrement ! Cet album est un des événements classiques de ce début d’année. Mérité car ces pièces sont pour la plupart inédites. Une vraie belle découverte par un ensemble passionné.  

    Contemporain de Vivaldi, Giuseppe Torelli (1658-1709) a vécu non pas à Venise comme son brillant contemporain mais dans dans l'actuelle Province de Pesaro et Urbino, non loin de Saint Marin et de Rimini. Comme il est expliqué par Vincent Bernhardt dans le livret de l’album, traditionnellement la musique imprimée – comme celle du Manuscrit de Sonates en Trio – était destiné à un public de mélomanes, tout en devant restant accessible à un public de lecteurs venus de tous horizons. 

    Nous retrouvons avec plaisir la violoniste Sue-Ying Koang, auteure d’un passionnant opus consacré au "Mozart suédois", Johan Helmich Roman. Elle accompagne l’autre violoniste Jasmine Eudeline, le violoncelliste Jean Halsdorf et Parsival Castro à la théorbe et à la guitare. Vincent Bernhardt, au clavier et à la direction vient compléter l’aréopage de La Chapelle Saint-Marc.

    L’audace, la modernité et la fièvre sont les mots qui caractérisent le mieux ces pièces mises en lumière en ce début d’année. Que l’on pense au premier et bref mouvement Presto fougueux – et très rock ! – du trio en ré mineur qui ouvre l’opus. Aussi court, le mouvement Grave, bouleversant, précède un Allegro baroque, coloré et enjoué.

    Techniques et virtuoses, les Duos A.3.2.1, A.3.2.2 et A.3.2.3 choisissent la concision dans des compositions à la fois ramassées et virtuoses. 

    Audace, modernité et fièvre

    Plus longue, la majestueuse Sinfonia en ré majeur a ce quelque chose de versaillais. Il semble que le compositeur italien se soit transporté de l’autre côté des Alpes, sans pour autant abandonner ses élans baroques que Vivaldi n’aurait pas reniés.

    C’est à l’orgue que Vincent Bernhardt interprète la Sonate en ré dorienne de Giovanni Paolo Colonna (1637-1695). On ne dira jamais assez les qualités d’un instrument trop vite relégué à une fonction liturgique mais qui donne pourtant des couleurs chatoyantes à cette courte sonate de Torelli. C’est encore l’orgue à l’œuvre dans une pièce d’un autre contemporain, Giulio Cesare Arresti et voisin  de Torelli (ils étaient de Bologne, comme Colonna). L’ensemble La Chapelle Saint-Marc ont choisi de ne pas mettre de côté cette Elevazione sopra il Pange Lingua, présente dans le fameux manuscrit des sonates en trio. On retrouve ces deux compositeurs plus loin dans l’album : la sobre et noble Sonate chromatique d’Arresti d’une part et la lumineuse Sonate en sol Myxolydian de Colonna, toujours à l’orgue.

    Retour à Torelli avec son Concertino en la mineur alliant le sérieux et la mélancolie (Grave, Adagio) à la joie de vivre (les deux mouvements Presto). Le Trio a bien évidemment les honneurs avec celui en Ré majeur A.3.3.11 : un Adagio qui vient nous murmurer aux oreilles une jolie déclaration, un somptueux Largo – sans doute un des plus beaux moments de l’album –, un mouvement Grave mélancolique et un final Allegro aussi bref qu’efficace.

    Terminons par la Sinfonia de Torelli en la majeur A.5 et son Allegro au souffle vivifiant, son Largo à la fois pudique et aux audaces musicales incroyables et un Allegretto vif et dansant.

    Cet album Torelli s’impose décidément comme un enregistrement à la fois plaisant et important, en remettant au goût du jour un important compositeur italien et baroque. La classe !

    Giuseppe Torelli, Manuscript Trio Sonatas, La Chapelle Saint-Marc, Indésens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://chapellesaintmarc.com
    https://sueyingkoang.com

    Voir aussi : "Sue-Ying Koang à l’attaque du Mozart suédois"

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  • Anaëlle Tourret : "Il me tient toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux"

    Dans la foulée de son deuxième album Perspectives concertantes, tout entier consacré à la harpe, Anaëlle Tourret a bien voulu répondre à nos questions. Découverte d’une artiste rare, passionnée et ambitieuse. 

    Bla Bla Blog – Bonjour Anaëlle. Vous sortez en ce moment votre deuxième album, Perspectives concertantes, consacré à des œuvres pour harpes, votre instrument fétiche. Pouvez-vous nous raconter le lien que vous avez avec cet instrument à la fois très ancien et souvent mal connu ?
    Anaëlle Tourret – La harpe est un instrument qui suscite toutes les curiosités : parmi les plus anciens instruments qui aient jamais existé, sa facture n'a eu de cesse d'évoluer au fil du temps, pour trouver son apogée au début du XXe siècle. Parallèlement, ses facettes sont multiples et d'une richesse insoupçonnée. On la retrouve au sein d'un orchestre, en partenaire chambriste, en récital soliste ou en concerto avec orchestre. Cette richesse des possibles est très certainement l'énergie qui m'anime le plus lorsque je songe à mon instrument. 

    BBB – Avec la harpe, on pouvait s’attendre à des compositeurs classiques. Or, c’est le XXe siècle qui a votre préférence. C’est une envie de dépoussiérer le répertoire pour cet instrument ?
    AT – Le XXe siècle a été le théâtre de toutes les plus grandes créations artistiques et musicales. L'instrument harpe en est également le miroir, suscitant par sa facture nouvelle l'intérêt de nombre de compositeurs qui, à la façon des musiciens les ayant précédés durant la période classique, ont su proposer des perspectives nouvelles sur le regard porté sur cet instrument et son répertoire.  Associée parfois à cette image de salon ou d'instrument féerique, celui des anges, il serait toutefois injuste de dénigrer ces symboles, partie intégrante de notre identité musicale.  Il me tient en revanche toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux dans les lectures qui nous sont amenées, et à la façon de ces maîtres du XXème qui ont su s'affranchir des ordres établis pour accéder à un autre ordre de réalité, il m'est apparu comme une évidence de rendre hommage à ce siècle de découvertes et innovations. 

    BBB – Outre Debussy, vous avez choisi de vous intéresser à deux compositeurs du XXe siècle peu connus, Reinhold Glière et Ernst von Dohnányi. Pourquoi ceux-là ?
    AT – Claude Debussy a été le réel précurseur pour la harpe moderne telle que connue aujourd'hui, avec ses Danses sacrée et profane qui constituent à présent un jalon de notre répertoire. Tout comme le Concerto pour harpe de Reinhold Glière, œuvre phare du répertoire concertant injustement méconnu ; le catalogue musical de Glière dépasse l'entendement par sa profusion et sa qualité. C'est l'exactitude de son propos sur l'écriture pour harpe qui m'a particulièrement touchée, exactitude ressentie à mon sens dans toute son œuvre compositionnelle et surtout dans son désir de transmission qui ne l'a jamais quitté - professeur de composition à Kiev puis Moscou durant toute son existence, il a formé et accompagné les plus grands compositeurs de cette époque. Le Concertino d'Ernst Von Dohnányi est le fruit d'un partage autour d'une amitié, celle avec la cheffe d'orchestre Bar Avni. C'est elle qui me fit découvrir cette pièce, que nous avons donnée une première fois il y a plus d'un an, et que nous avons associée aux Danses de Debussy. La connexion musicale entre ces deux œuvres apparut alors comme une évidence, et tout prit sens de façon extrêmement naturelle : Dohnányi n'eut de cesse durant toute son existence de repousser les limites compositionnelles pour les instruments, et la harpe ne fit pas exception. C'est le rôle de l'instrument concertiste qui est ici revisité, et un théâtre se jouant en deux tableaux : une virtuosité technique exigée pour l’interprétation avec des rythmiques très novatrices, mais également le rôle de l'orchestre qui s'avère presque soliste par endroits, accompagné par la harpe qui se fait tapis pour soutenir. Cet alliage à travers les siècles de ces trois compositeurs qui, chacun à leur façon, ont rebattu les cartes de l'écriture pour harpe, est absolument fascinant. 

    "Je me garderais de tout conseil car chaque chemin est beau car par essence unique"

    BBB – Face à un orchestre symphonique, est-il plus difficile à une harpe de "dialoguer" que pour un instrument aux sonorités plus puissantes, tels que le piano ou le violon ?
    AT – C'est ici je crois que toute la richesse de mon instrument intervient : car la harpe se fait au sein d'un orchestre l'interlocuteur idéal pour terminer la phrase d'une flûte, soutenir la voix d'un violon soliste ou adoucir des tessiture plus graves dans de grandes symphonies, elle se nourrit de toutes ces richesses pour irradier lorsqu'un concerto lui est dédié et fourmiller de tous les champs des possibles. 

    BBB – Comment s’est fait le choix de travailler avec Vasily Petrenko et le NDR Elbphilharmonie Orchestra ?
    AT – Lorsque le désir d'enregistrer ces œuvres se concrétisa, il m'est apparu extrêmement naturel d'envisager l'aventure en partie avec "mon" orchestre, phalange dont j'ai la joie d'être harpiste soliste depuis quelques années déjà. Le concerto de Glière s'avérait le choix idéal au sein de la programmation de la merveilleuse Elbphilharmonie, qui constitua en cela une première mondiale. Vasily Petrenko a répondu avec le plus grand des enthousiasmes à cette proposition de programme, et je n'aurais pu souhaiter meilleur partenaire artistique pour ce projet, tant son engagement et sa sensibilité pour ce répertoire furent sincères et exaltés.

    BBB – Que diriez-vous à un ou une enfant pour l’encourager à découvrir la harpe et, pourquoi pas, en faire son métier ?
    AT – Je me garderais de tout conseil car chaque chemin est beau car par essence unique. Plus largement, il s'agirait de toujours repousser plus loin et plus larges les horizons possibles, toujours permettre à de nouvelles perspectives de s'établir, et de mesurer le cadeau pour un enfant de nos jours que celui de pouvoir aller au théâtre, au concert, à l'opéra, au ballet, au musée ou dans un gymnase, pour toujours s'inspirer de grandes figures artistiques qui ont su vibrer de leur passion par leur exigence et leur lumière. 

    BBB – Quels sont vos projets pour 2025 et pour après ? Des concerts ? Des festivals ? Un autre album ?
    AT – L'année s'annonce à l'image de la richesse permise par mon instrument : multiple, plurielle et à la croisée de plusieurs chemins artistiques. Des récitals solistes et chambristes me réjouissent, auprès de partenaires musicaux qui me font la joie de partager leur lumière : au Konzerthaus de Berlin avec le violoniste Brieuc Vourch, en soliste au Château d'Azay-le-Rideau pour les Concerts de Poche, en musique de chambre cet été pour les Festivals de Salon de Provence avec Éric Le Sage, Paul Meyer, Emmanuel Pahud ou le Festival la Clef de Voûte, pour le Printemps de Heidelberg, à Lausanne, à l'Elbphilharmonie de Hamburg...  Joie également de donner des pages de répertoire concertant au Brésil à l'automne prochain (Rio de Janeiro, Belo Horizonte) ainsi qu'en Allemagne la saison prochaine. Année enfin riche en symphonies, à Hamburg tout comme auprès d'orchestres qui me font la joie de partenariats privilégiés,- je pense à Paavo Järvi en Estonie, Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris, Andris Nelsons...

    BBB – Pour Bla Bla Bog, pouvez-vous nous donner vos derniers coups de cœur, en musique classique ou contemporaine, bien entendu, mais aussi en cinéma, série, livre ou exposition ?
    AT – La lecture récente des Entretiens de Pierre Boulez avec Michel Archimbaud fut marquante, tout comme l'approfondissement de la découverte de l'œuvre de Romain Gary (sa dernière œuvre en particulier, Les Cerfs-volants). Une récente grande émotion artistique fut offerte par le corps de ballet de l'Opéra de Paris lors de leur production automnale du Lac des Cygnes de Tchaïkovski par Rudolf Noureev. 

    BBB – Merci, Anaëlle. 

    Anaëlle Tourret, Perspectives concertantes, Es-Dur, C2, 2024
    https://www.anaelletourret.com 
    https://www.instagram.com/anaelle_tourret/reel/DFXKDlgCWbK 
    https://www.c2hamburg.de/shop/de/ALL/Perspectives-Concertantes.html

    Voir aussi : "Perspectives de la harpe"

    © Harald Hoffmann

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  • Comme dans un rêve

    Chef d’œuvre de David Lynch, Mullholland Drive, sorti en 2001, figure pour beaucoup de critiques comme l’un des 10 meilleurs, sinon le meilleur film de ce premier quart du XXIe siècle. Inimitable, surréaliste, au scénario sophistiqué et malin, esthétiquement magnifique, sans compter la musique d’Angelo Badalamenti, le compositeur fétiche de Lynch. Tout fait de la ce film remarqué au Festival de Cannes 2001 une pure merveille (il n'obtiendra cependant pas - et c'est injuste - la Palme d'Or).

    Mulholland Drive est une vraie expérience de cinéma qu’un premier visionnage peut désarçonner. Quitter le film avant la fin condamne le spectateur à passer à côté d’une histoire à la fois bouleversante et pathétique.   

    Sur les hauteurs de Mulholland Drive, une limousine se fait arrêter par une voiture d’où sortent des malfrats. Leur cible est la passagère, Rita, en tenue de soirée. Elle échappe aux hommes de main grâce à un accident opportun. En fuite, elle trouve son salut en se réfugiant dans une maison désertée par sa propriétaire. La lumineuse Betty, venue tenter sa chance à Hollywood, débarque quelques heures plus tard dans cette grande demeure que lui a prêtée sa tante. Envoûtée par la mystérieuse fuyarde, Betty propose son aide à Rita qui est devenue amnésique suite à l’accident. Dans le même temps, Betty tente sa chance dans la ville du cinéma en courant un casting et un plateau qui doit lui apporter la gloire. 

    Un couple d’actrices Naomi Watts / Laura Harring devenu légendaire

    Le spectateur doit accepter de se laisser guider par un David Lynch qui n’a sans doute jamais été aussi inspiré. Pendant les trois premiers quarts d’heures du film, les événements se succèdent, tour à tour grotesques (les tueurs à gage maladroits), surréalistes (la scène du monstre sur le parking d’un bar), tragiques ou surprenants. Les personnages secondaires sont à l’avenant, à commencer par le réalisateur falot Adam (Justin Theroux) ou la sympathique Coco qui a droit à un traitement différent dans le dernier quart d’heure du film.

    Chaque visionnage du film permet de s’arrêter sur des détails – qui n’en sont pas – et des scènes a priori anodines : la scène du café trop amer, le casting de Betty ou encore l’apparition du monstre, l’une des plus marquantes sans doute dans la carrière de Lynch.

    Et puis, il y a ce couple d’actrices, Naomi Watts et Laura Harring, devenu légendaire. Naomi Watts, en particulier, livre une interprétation formidable en incarnant une femme aux différents visages.

    Pour toutes ces raisons, Mulholland Drive est un chef d’œuvre à voir, revoir, re-revoir, et cetera. 

    Mulholland Drive, thriller indépendant américain de David Lynch, avec Naomi Watts, Laura Harring,
    Justin Theroux et Ann Miller, 2001, Studiocanal, Les Films Alain Sarde, DVD, 146 mn

    https://www.arte.tv/fr/videos/037068-000-A/mulholland-drive
    https://www.canalplus.com/cinema/mulholland-drive/h/40659667_50889

    Voir aussi : "Insensé"

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