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Livres et littérature - Page 58

  • Retenez-moi ou le Valet de pique va faire un malheur

    joyce carol oates,stephen king,romanDans Le Valet de pique, le dernier roman de Joyce Carol Oates, l’écrivain Andrew J. Rush a deux visages. Pour tous, il est l’écrivain de polars à succès admiré qui ont fait de lui le "Stephen King du gentleman." C’est un homme de lettres qui a choisi de se consacrer à l’écriture dans sa vaste maison de Mill Brook House, loin des tumultes et des champs de sirène de New York. Mari exemplaire et notable considéré à Harbourton, modeste village dans le New Jersey, il ne manque pas de s’investir dans la vie locale comme dans des œuvres caritatives. Voilà pour le côté pile. Côté face, Andrew J. Rush cache un secret. Il a choisi d’écrire sous le pseudonyme du Valet de pique des thrillers sordides et violents. Personne ne connaît cette identité, pas même sa femme dévouée Irina, et encore moins leurs enfants.

    Sorti du néant, ce Valet de pique s’avère être un personnage encombrant mais également très utile ("Le Valet de pique avait une solution toute prête à tous les problèmes."). Lorsqu’une mystérieuse C.W. Haider intente un procès à l’écrivain irréprochable pour plagiat, Andrew J. Rush choisit de garder le secret à ses proches et de se défendre devant un tribunal : "Je suis une personne que les autres respectent, admirent, aiment. Je ne suis pas un vulgaire malfaiteur. Je ne suis pas un plagiaire. Vous ne me traînerez pas dans la boue !" L’accusatrice devient une ennemie mortelle. Le Valet de pique prend le dessus et entreprend de la débusquer et de la mettre hors d'état de nuire.

    Le dernier ouvrage de Joyce Carol Oates est un délicieux roman vénéneux, tranchant mais aussi teinté d'humour noir. L’auteure de Blonde fait de ce thriller une fiction kafkaïenne – kafkaïenne comme le procès surréaliste qui est imposée au narrateur au début du livre.

    L'affaire de plagiat ouvre une boîte de pandore terrible, libérant pulsions, fantômes du passé... et Valet de pique. Les secrets, les mensonges et la part d’ombre : voilà ce qui intéresse Joyce Carole Oates. Elle se montre féroce dans sa peinture d’un milieu américain cultivé, à travers le personnage de l'écrivain doué, modeste et bienveillant ("Tout le monde aime Andy Rush") et aspirant à une vie confortable. Le "monsieur Bien-sous-tous rapports" laisse au fil des pages son alter ego, le Valet de pique, s'imposer et devenir à la fois son adversaire et complice : "Admets-le, Andy Rush : tu es jaloux du Valet de pique. Et excité, et un peu effrayé." Joyce Carol Oates est habile et incisive lorsqu'elle entre dans l'intimité d'une famille bâtie sur les cachotteries, les dissimulations et les mensonges. Le faux-semblant et le trompe-l’œil deviennent la règle. Ainsi, Irina, la "chère femme", épouse dévouée, aimante et se pliant aux quatre volontés de son mari, s'avère être une femme blessée et frustrée par une carrière littéraire qui lui était promise et que son mari, moins doué qu'elle au départ, a comme vampirisée. Par ailleurs, ne trompe-t-elle pas son écrivain de mari, comme il le pense ? "Admets-le, Andy. Tu es fichtrement jaloux. Jaloux du Valet de pique, et de la femme. Et de cet Asiatique, Machin-Chose..." Lorsque la vérité éclate les dégâts sont considérables.

    Thriller impitoyable autant que fable moderne, Le Valet de pique peut également se lire comme un vibrant hommage à quelques grands noms de la littérature américaine, et en premier lieu à Stephen King, le "rival" imaginaire de Rush. Le dernier livre paru sous le pseudonyme du Valet de pique se nomme Fléau, en référence à l'ouvrage du même nom écrit par l'auteur de Shining. Shining est d'ailleurs mentionné par l'auteure géniale et facétieuse : elle imagine que ce classique de la littérature fantastique (1977) a connu une version antérieure (Glowering, 1974), écrite par cette mystérieuse C.W. Haider. Joyce Carol Oates brouille les cartes, se joue du lecteur, autant qu'elle adresse des clins d’œil appuyés à ses homologues : "Votre adversaire a également tenté de poursuivre, au fil des ans, John Updike et John Grisham, Norman Mailer et Dean Koontz, Peter Straub, James Patterson… et Dan Brown !"

    Outre la littérature fantastique (Edgar Allan Poe, Mary Shelley, Bram Stoker et bien entendu Stephe King), Le Valet de pique n'oublie pas de faire référence au polar américain (Michael Connelly, James Ellroy et Mary Higgins Clark), un genre dont Joyce Carol Oates est familière puisqu'elle a écrit elle-même plusieurs romans policiers sous des pseudonymes, comme son personnage noir, Andrew J. Rush.

    Joyce Carol Oates, Le Valet de Pique, éd. Philippe Rey, 2017, 224 p.

  • Ça va être ta fête

    À l’occasion de la Journée de la femme le 8 mars, paraît en librairie Ça va être ta fête ! de Cécile Delacroix, un livre de 40 courtes nouvelles de la vie de famille, de couples, de femmes célibataires. Une plongée dans la vie de femmes, en proie aux aléas de la vie, qui font souvent montre de beaucoup d’imagination pour en sortir.

    Avec une tendresse grinçante, l'auteure dresse le portrait de femmes, jeunes ou moins jeunes, en prise avec un quotidien qu’elles tentent désespérément de maîtriser ou d’infléchir. Une grande bouffée de rire en ces temps où la place des femmes est constamment discutée par des hommes bien intentionnés.

    De la Saint-Roméo à la Saint-Aimé, en passant par la Saint-Vincent-de-Paul, Cécile Delacroix revisite les saints pour mieux égratigner les humains ; les hommes de préférence, tour à tour lâches, escrocs, machos mais tendres aussi. En une quarantaine de courtes chroniques de la vie ordinaire, toujours drôles, souvent désopilantes, parfois même dramatiques, elle nous emmène dans la vie de femmes aimantes, amantes, soumises ou révoltées, qui nous touchent parce qu’elles nous ressemblent.

    La rupture à la Saint-Sylvestre, les déboires d’une actrice à la Saint-Oscar, la retraite tant attendue de Martine à la Sainte-Félicité, le week-end en amoureux d’amants adultères à la Saint-Fidèle, les gaffes de Sophie à la Sainte-Prudence... Cécile Delacroix s’empare de l’éphéméride pour revisiter avec humour les aléas de la vie, de l’amour, de l’amitié.

    Cécile Delacroix, Ça va être ta fête !, éd. Le Texte Vivant, 180 p.

  • Et au milieu coule le Rhin

    sylvain tesson,le verger,rhin,nouvelleFleuve européen stratégique, frontière naturelle et inspirateur de contes et légendes, peu de cours d’eau se prêtent aussi bien à des histoires merveilleuses que le Rhin. Sylvain Tesson en fait le sujet de deux nouvelles dans le recueil Chronique des Bords du Rhin (éd. Le Verger).

    L’auteur du Prix Médicis 2011 Dans les Forêts de Sibérie et du plus récent Sur les chemins noirs (Gallimard), propose deux pérégrinations plus dépaysantes et aventureuses que ne le laisse à penser cette chronique (ou ces chroniques ?) sur un fleuve relativement mal connu dans notre pays.

    Le premier de ces voyages, Journal d’une Fée du Rhin, s'inspire des légendes rhénanes. L’auteur donne la parole à une narratrice, une figure mythologique de ces contrées : "Je suis fille d’ici. Je suis née de la respiration du Rhin. Un feu follet qui caracolait sur la berge du vieux fleuve féconda un soir d’été une nuée blanche qui en ouatait la surface. J’ai jailli de cette noce célébrée par l’air et l’eau." La fée du Rhin parle du fleuve dont elle est l’une des gardiennes. Le lecteur est invité à laisser de côté sa raison et de retrouver son âme d’enfant crédule. Oui, les fées existent, semble nous dire Sylvain Tesson, qui use d’une langue onirique, chantante et fragile comme du cristal. Cette première nouvelle n’est pas simplement un morceau de prose poétique. Elle nous parle aussi de notre époque : des transformations du Rhin, de la modernité dévastatrice et de ses habitants intrusifs, voire criminels. Malgré cela, la fée veille sur les lieux et les hommes "en prêtresse heureuse de ce temple végétal."

    La deuxième nouvelle, Où est-elle ?, fait du Rhin le décor d’un conte tour à tour romantique, mystérieux, tragique puis grotesque. Le narrateur accepte à contrecœur d’accompagner sa petite amie en Alsace pour un périple en amoureux. Cette Lorelei fantasque, "aux yeux un peu violets", fille d’un montreur d’ours transdniestrien et d’une obscure chanteuse d’opéra tcherkesse, conduit son amant sur les rives du Rhin. Mais au cours de la promenade, la jeune femme s’évanouit. Son ami, incrédule, part à sa recherche. Bientôt, une battue est organisée : où est-elle ? Et surtout qui est-elle ? Sylvain Tesson se fait conteur féroce, dans une histoire sur la folie digne d’Edgar Allan Poe.

    La Chronique des Bords du Rhin se referme après un moment rare de dépaysement autour du Rhin que nous pensions - à tort - connaître.

    Sylvain Tesson, Chronique des Bords du Rhin, éd. Le Verger, coll. Sentinelles, 2017, 37 p.

  • Qu’avez-vous réellement vu ce soir-là ?

    Vous connaissez sans doute cette scène finale de La Dame de Shanghai d’Orson Welles. Dans un épisode culte, l’acteur et metteur en scène se trouve avec Rita Hayworth dans une salle remplie de centaines de miroirs. Alors que les personnages se cherchent s’évitent, se toisent ou s'affrontent, les reflets se répondent à l’infini, rendant impossible la distinction de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas.

    Le roman d'E.O. Chirovici, Jeux de Miroirs (éd. Les Escales) est lui aussi une brillante parabole sur le thème de l’illusion, de la vérité et de la réalité, dans un thriller extrêmement brillant.

    Peter Katz, agent littéraire new-yorkais reçoit par courrier le manuscrit d’un certain Richard Flynn qui raconte son témoignage sur un fait divers survenu en 1987, 30 ans plus tôt, dans le campus de Princeton. Cette année-là, un soir de décembre, l’illustre professeur de psychologue Joseph Wieder est assassiné. Flynn, un des principaux témoins, avec son amie de l'époque Laura Baines, souhaite apporter la solution à ce crime resté sans solution. Mais le manuscrit est incomplet et s’achève avant la fin. Peter Katz, sentant le futur best-seller, essaie de contacter l’auteur, en vain car Richard Flynn vient de décéder un peu plus tôt. L’agent charge donc un journaliste, John Keller, d’enquêter sur ce crime et d’écrire la fin de l’histoire. Ce nouveau narrateur part à la recherche des témoins de cette époque et les interroge opiniâtrement, avant de laisser la main à un quatrième personnage, Roy Freeman, un policier à la retraite qui a travaillé sur ce dossier des années plus tôt.

    Le jeu de miroirs de ce polar américain, malin et qui se lit d’une traite, réside d’abord dans la manière dont les quatre narrateurs appréhendent un fait divers. La recherche de la vérité prend les allures d’un jeu de puzzle complexe. L’auteur place les dialogues, les témoignages et les interprétations au centre de ce roman policier, dans la veine des grands classiques d’Agatha Christie ou de Georges Simenon. Pas d’experts scientifiques chers à NCIS, pas de bains de sang, pas d’enquêteur blasé ou torturé, pas de courses au sensationnel : Chirovici fait dialoguer ses personnages, à la recherche de faits, d’indices discordants ou de phrases qui peuvent être lourdes de conséquences. Les témoins sont invités à se ressouvenir de ce qu’ils faisaient cette année 1987, à Princeton, et surtout ce qu’ils ont vu le soir du meurtre.

    Le bloggeur ne dévoilera évidemment pas la conclusion de cette enquête passionnante à quatre voix.

    Jeux de Miroirs est sans nul doute le grand thriller de ce début d’année et marque l’éclosion d’un auteur à suivre absolument.

    E.O. Chirovici, Jeux de Miroirs, éd. Les Escales, 315 p.

  • Tout ce que tu as toujours voulu savoir sur les extraterrestres...

    andré brach,aurélien debat,extraterrestre,orléans,loiretC’est un ouvrage diablement malin que nous propose André Brack, exobiologiste au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages pour adultes sur la vie extraterrestre. Ce sujet, dont il est spécialiste, le chercheur a choisi de le vulgariser à destination des enfants. Découvrir la Vie extraterrestre (éd. Le Pommier), illustré par Aurélien Débat, est un attrayant et passionnant voyage dans l’espace et dans l’histoire de la vie.

    Nicolas et Julie se disputent au sujet de l’existence ou non des petits hommes verts. Leur maman décide de les emmener à Orléans assister à une conférence du professeur André Carb. Les lecteurs attentifs remarqueront que ce nom est, à une lettre près, l’anagramme d’André Brack qui a fondé en 2011 le Réseau européen d’exobiologie à… Orléans.

    Voilà donc nos deux bambins initiés grâce à un cours particulier aux mystères de l’espace, de la vie et de l’exobiologie : sur quelles planètes peut-on trouver la vie ? Qu’a-ton trouvé sur la planète Mars ? Quels sont les éléments indispensables à la vie ? La terre a-t-elle été visitée par des aliens ? S’ils existent, à quoi ressembleraient-ils ? Comment communiquer avec eux ?  Que recherchent les exobiologistes dans les laboratoires ? Ce sont autant de questions auxquelles répond le professeur Carb, avec précision, concision, mais aussi bienveillance.

    Découvrir la Vie extraterrestre se termine par quelques pages d’annexes constituées d’informations, de définitions, d’une bibliographie sommaire et de jeux pour en savoir plus sur les extraterrestres.

    André Brack, Découvrir la Vie extraterrestre, illustré par Aurélien Débat, éd. Le Pommier, coll. Les Minipommes, 2016, 61 p.
    Public visé : enfants de 9 à 12 ans (cycle 3 et début collège)
    www.aureliendebat.fr

  • Le vieil homme et la mort

    jérôme paillatLes premières lignes l’annoncent sèchement et sans échappatoire possible : Christophe va mourir.

    De ce personnage central, que le lecteur suppose adolescent, Jérôme Paillat, l’auteur de la nouvelle Christophe est mort (éd. Edilivre), ne dit que l’essentiel : un simple prénom, quelques membres de sa famille, dont des parents déboussolés. Pour le reste, on n’en saura pas plus : ni lieu précis, ni dates, ni souvenirs évoqués, ni même explications médicales de ce qui va emporter le jeune homme.

    Ce qui intéresse Jérôme Paillat est le présent et l’inéluctable que chacun redoute, tout en espérant qu’il n’arrivera jamais : "Il allait pourtant mieux. Il fallait reprendre espoir. Les médecins, le prêtre, la famille, les amis, tous disaient la même chose : Christophe va bientôt guérir." Le jeunesse du personnage principal rend d’autant plus cruelle cette épée de Damoclès : Christophe est bien trop jeune pour mourir ("Mais si tout le monde meurt, mois je sais que c’est bientôt"), et bien trop jeune aussi pour regarder la mort en face, seul.

    Seul ? Non. Peu après l’annonce, un vieil homme apparaît mystérieusement. Qui est-il ? Fantôme, rêve éveillé, ange ou incarnation de la mort ? L’auteur ne le dit pas. Entre ces deux personnages, Christophe condamné et un vieil homme venu de l‘au-delà, un dialogue commence. L’étranger invite l’adolescent désœuvré à un cheminement stoïque vers sa mort.

    Pour raconter cette histoire simple mais tragique, Jérôme Paillat use d’une langue simple et sans pathos. Il accompagne son récit de fulgurances fantastiques, rendues d’autant plus frappantes que les parenthèses religieuses (l’homélie du prêtre par exemple) paraissent vaines, sinon dérisoires. Cela ne veut pas dire que l’au-delà ou la notion religieuse soient niés – le prénom du personnage principal nous le rappelle. Carole Galisson dit ainsi dans la préface de cette nouvelle : "Ce qu’il vit n’est pas la fin de quelque chose mais le départ vers un ailleurs plus serein."

    Jérôme Paillat, Christophe est mort, éd. Edilivre, 2016, 39 p.


     
    Pour illustrer cet article, Bla Bla Blog a choisi Dénoués de Marie Baraton, dont il sera question dans une prochaine rubrique.

  • Âmes qui vivent

    À quoi reconnaît-on un bon roman ? Sans doute à ce qu’il soit un page-turner et que chaque fin de page nous attire vers la suivante. Et à quoi reconnaît-on un excellent roman ? Sans doute à ce que sa lecture agisse en nous à la manière d’un excellent thé qui infuserait, nous rendant différent de ce que nous étions avant la lecture de la première page. Le roman de Sabrina Philippe, Tu verras, les Âmes se retrouvent toujours quelque part (éd. Eyrolles), appartient à cette seconde catégorie. L’auteure, psychologue et chroniqueuse pour la radio et télévision, signe ici un premier roman sur le thème de la rencontre d’âmes par-delà le temps, qu’elle choisit de traiter sous une forme d’un roman psychologique envoûtant.

    Tu verras, les Âmes se retrouvent toujours quelque part débute par le récit à la première personne d’une séparation cruelle. La narratrice, présentatrice de télévision (l’auteure a travaillé plusieurs années pour le petit écran), doit gérer sa vie mise sens dessus-dessous après le départ de son compagnon. Seule et minée par la dépression, elle erre telle une zombie à travers Paris et finit par tomber sur un café de l’Île Saint-Louis qui devient son havre. C’est là qu’elle tombe sur une femme plus âgée qu’elle, une ancienne journaliste et écrivain, une habituée "aux yeux clairs" et à "l’intelligence tourmentée". Entre les deux, une conversation s’engage.
    L’interruption de la narration permet à cette mystérieuse cliente de prendre la parole et de raconter les épisodes phares de sa vie : des histoires de rencontres, de déceptions, de recherche amoureuse et de surtout d’âmes sœurs, un thème souvent évoqué mais rarement raconté avec autant d’acuité : "Ce n’est pas de cet amour-là dont je parle. D’ailleurs, je vous entends souvent employer le terme d’« âme sœur » lorsque vous évoquez l’amour, mais vous ne devriez pas ; je vous assure, c’est un peu ridicule. L’âme sœur, lorsque vous la trouvez — si vous la trouvez, parce que peu de personnes sur cette terre ont cette opportunité, ou parfois cette malchance — l’âme sœur, cela n’a rien à voir avec les bluettes qui sont servies dans vos émissions."

    Ce récit d’une femme à la poursuite du bonheur – mais aussi de l’amour éternel – a une résonance particulière chez la première narratrice qui la conduit à un chemin intérieur : "Durant ces trois jours intenses, c’est donc la perception de mon existence toute entière qui se modifia peu à peu..." Cette modification sera accompagnée de révélations personnelles que le lecteur découvrira dans un dénouement digne des meilleurs page-turners.

    Sabrina Philippe signe avec Tu verras, les Âmes se retrouvent toujours quelque part un roman à l’intensité émotionnelle irrésistible. L’intrigue romanesque, pour classique qu’elle soit, renvoie aux discours mythiques sur l’amour, à commencer par Ovide et L’Art d’Aimer. Sabrina Philippe apporte un supplément d’âme à ce qui est bien plus qu’un roman de développement personnel : le fantastique. Les rêves, les prémonitions, les pressentiments et la voyance font intimement corps avec cette histoire d’un amour et d'une rencontre, au point d'en faire un récit d’aventure romanesque autant qu'un roman d’initiation sur le thème de l’âme sœur. Tu verras, les Âmes se retrouvent toujours quelque part se révèle être au final une vraie et belle expérience littéraire, intime et bouleversante.

    Sabrina Philippe, Tu verras, les Âmes se retrouvent toujours quelque part,
    éd. Eyrolles, 2017, 279 p.
    http://sabrina-philippe.blogspot.fr

  • Deux jeunes filles en fleur à l'orée du siècle

    On a, en France, un rapport passionné avec l'histoire, et s'il est un domaine littéraire qui suscite de l'engouement, c'est bien celui du roman historique.

    Catherine Armessen, que nous aimons sur Bla Bla Blog, vient de sortir son dernier ouvrage, Les Jumelles de Vernajoul (éd. Les Passagères). Ce roman devrait ravir les amateurs d'un genre ayant ses inconditionnels.

    Pour construire "ses" jumelles, Antoinette et Élise, l'auteure s'est inspirée d'une aïeule, prénommée Élise – mais qui n'avait pas de sœur jumelle – et qui a tenu un journal de 1898 à 1920. Cet écrit a servi de matière première à Catherine Armessen pour bâtir une histoire qui nous fait revivre les premières années du XXe siècle.

    Deux bébés sont séparés à leur naissance après le décès de leur jeune mère et de son amant. Elles sont adoptées et vivent éloignées, sans rien connaître de leurs origines. À l'âge de seize ans, leur chemin se croisent dans l'Ariège, à quelques kilomètres du village de leur mère naturelle. Les adolescentes se découvrent sœurs jumelles et finissent par ne plus se séparer.

    À l'orée du siècle, au temps de la Belle Époque finissante, de la loi de séparation de l’Église et de l’État, de la première guerre mondiale, du développement de la médecine (un domaine que l'auteure connaît bien), du modernisme en art, de Guillaume Apollinaire ou de Marcel Proust, les deux jeunes filles en fleur auront besoin l'une de l'autre pour affronter les tourments de ces années de braise et de sang : les traditions sclérosées, les amours contrariés voire interdits par la société, les rivalités de tout genre et surtout la Grande Guerre.

    Dans ce roman d'apprentissage, les jumelles vont traverser une période charnière de notre pays : les tueries de la guerre 14-18, l'émancipation naissante des femmes, les années folles ou le jazz venu des États-Unis, dans une France encore bercée par des traditions multiséculaires, celle des rosaires, des mariages de convenance, du machisme et du patriotisme.

    Ces deux mondes opposés sont réconciliés par Catherine Armessen, sous les traits de deux jeunes filles en fleur.

    Catherine Armessen, Les Jumelles de Vernajoul, éd. Les Passagères, 2016, 305 p.
    http://www.catherine-armessen.fr