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Livres et littérature - Page 58

  • Joue-la comme Proust

    Une mystérieuse sonate pour violon et piano, la sonate de Vinteuil, rythme l'œuvre de Marcel Proust, À la recherche du Temps perdu. Voici comment l'écrivain en parle : "Le violon était monté à des notes hautes où il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans qu'il cessât de les tenir, dans l'exaltation où il était d'apercevoir déjà l'objet de son attente qui s'approchait, et avec un effort désespéré pour tâcher de durer jusqu'à son arrivée, de l’accueillir avant d'expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses dernières forces le chemin ouvert pour qu'il pût passer, comme on soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût eu le temps de comprendre, et de se dire : ‘’C'est la petite phrase de la sonate de Vinteuil, n'écoutons pas !’’ tous ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui, et qu’il avait réussi jusqu'à ce jour à maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce brusque rayon du temps d'amour qu'ils crurent revenu, s'étaient réveiIlés et, à tire-d'aile, étaient remontés lui chanter éperdument, sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés du bonheur" (Du Côté de chez Swann).

    L'exégèse proustienne a consacré de nombreuse pages à cette œuvre musicale imaginaire. Le bloggeur se contentera de faire référence à l'étude d'André Durand, "Le thème de la musique de Vinteuil dans À la recherche du temps perdu’’, disponible sur www.comptoirlitteraire.com. À l'instar de la petite madeleine de Proust, pour le narrateur de La Recherche l'écoute de cette sonate fait revenir le passé vers le présent, grâce au plaisir sonore et – contrairement à la madeleine ou à la tasse de thé – à "une entité toute spirituelle" (Gilles Deleuze, Proust et les signes).

    La Sonate de Vinteuil est donc une œuvre imaginaire. Cependant, Marcel Proust, amateur de musique et pianiste lui-même, n'a pas imaginé ex-nihilo cette pièce. Il la décrit avec précision : "Au-dessous de la petite ligne du violon, mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d'un coup chercher à s'élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune... il avait distingué nettement une phrase s'élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n'avait jamais eu l'idée avant de l'entendre, dont il sentait que rien autre qu'elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu."

    De l'aveu même de Proust, d'authentiques morceaux – souvent contemporains de l'auteur qui affectionnait les compositeurs modernes – l'ont inspiré pour imaginer cette sonate qui n'existe pas : la Sonate n° 1 pour Violon et Piano de Saint-Saëns, l'opéra Parsifal de Wagner (L'Enchantement du Vendredi Saint), le Prélude de Lohengrin, toujours chez Wagner, la sonate en Ma majeur de César Franck, la ballade opus 19 de Gabriel Fauré et, plus classique, la sonate n°32 de Ludwig van Beethoven (arietta).

    À la Recherche du Temps perdu est une œuvre sans cesse commentée. Des musicologues et musiciens se sont également penchés sur cette sonate, parfois jusqu'à la mettre en musique comme le compositeur israélien Boris Yoffe. C'est aussi l'initiative de NoMadMusic, en partenariat avec l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie et le Conservatoire régional de Rouen, dans le cadre de Normandie Impressionniste.

    Des élèves en classe d'écriture et de composition du conservatoire de Rouen ont imaginé avec le compositeur Yvan Cassar une sonate de Vinteuil que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie a enregistré dans le but de devenir l'hymne officiel de Normandie Impressionniste.

    Ce projet musical et proustien, en soi intéressant, devient passionnant et unique en raison du parti pris résolument révolutionnaire et participatif.

    Car cette sonate de Vinteuil, imaginée par des musicologues, servira de matrice dans le cadre d'un jeu-concours, "NoMadScore - Portraits de la Sonate de Vinteuil". Chacun aura la possibilité de travailler sur les séquençages par familles d'instruments qui seront proposés par la start-up NoMadScore à partir de la matrice originelle. Grâce à l'application NoMadScore développée pour l'occasion, chacun pourra créer "sa" sonate de Vinteuil et la proposer au concours. durant l'été, un jury dont fera partie Yvan Cassar, choisira deux lauréats parmi ces sonates, tandis que le public en désignera une troisième.

    Ces trois sonates primées seront jouées par l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie sous la direction d'Yvan Cassar, le 15 septembre 2016, à l'Opéra de Rouen en clôture du festival Normandie Impressionniste.

    Les organisateurs du concours ont fixé au 15 juillet la date butoir pour proposer sa sonate. Mais après cette date, il sera encore possible de proposer son œuvre, qui sera mise en ligne sur le site nomadmusic.fr/normandie. Les musiciens aguerris ou non sont donc invités à se précipiter vers leur clavier – ou plutôt leur ordinateur, tablette ou mobile – afin de faire vivre la célèbre sonate de Proust: "Ce Vinteuil que j'avais connu si timide et si triste, avait, quand il fallait choisir un timbre, lui en unir un autre, des audaces, et, dans tout le sens du mot, un bonheur sur lequel l'audition d'une œuvre de lui ne laissait aucun doute."

    Permettre à l'auditeur de participer pleinement à l'élaboration et l'interprétation d'une œuvre musicale: voilà qui nous renvoie à la vision d'un autre génie, Glenn Gould. Dans les années 60, le pianiste canadien avait abandonné subitement les concerts pour se consacrer à l'enregistrement. Avant même le développement des techniques informatiques, il imagina que l'auditeur pouvait lui-même, grâce à des outils de séquençage et de montage mis à sa disposition, créer sa propre version d'une symphonie de Beethoven, d'un enregistrement de Glenn Gould (l'artiste avait imaginer laisser au public l'intégralité des prises d'un disque afin que chacun puisse faire sa version de l'oeuvre)... ou d'une sonate de Vinteuil. Les prédictions et le rêve de Glenn Gould semblent avoir trouvé un aboutissement grâce à l'inspiration de Marcel Proust et à l'audace d'une start-up française.

    "NoMadScore - Portraits de la sonate de Vinteuil", avec le soutien de la Fondation Orange et du Groupe Audiens, inscription jusqu'au 15 juillet 2016
    NoMadMusic

    Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, Gallimard, 527 p.
    Michel Schneider, Glenn Gould piano solo, éd. Gallimard, 1994, 288 p.
    Comptoir Littéraire

    http://www.normandie-impressionniste.fr
    Yvan Cassar - © robin  - robin-photo.com

  • Homo erectus on line

    nc_sex_love_recto.jpgComme 6 millions de personnes, Alice, divorcée, mère de quatre enfants, a choisi de s’inscrire sur un de ces milliers de site de rencontre sur Internet. Elle nous raconte dans Sex&love.com de Nathalie Cougny (éd. Sudarènes), son expérience de l’homo erectus à l’heure de l’e-rencontre. 

    Comment trouver l’amour sur Internet ? Vaste et grave sujet. "Si tu penses rencontrer l’homme de ta vie sur un site de rencontres, autant te préparer psychologiquement pour ne pas sombrer dans une dépression pré-orgasmique." Et Alice d'ajouter : "Ne dis pas non plus que tu cherches l’homme de ta vie, c’est d’un ringard, dis plutôt que tu cherches les hommes de votre vie."

    Dans un monologue mordant, la candidate au grand amour (ou à un grand amour) fait un portrait à charge des sites de rencontres ("le plus gros annuaire de baise interplanétaire organisée") comme de leurs abonnés. Tout y passe : l’addiction aux Meetic, Gleeden et autres Attarctive World, la loi de la jungle pour trouver le partenaire d’un soir et plus si affinités, l’obsession des flashs, les fiches descriptives un peu trop belles pour être honnêtes, la plaie des hommes mariés ("les lâches") ou le véritable abattage pour multiplier les rencontres et les chances : "Au bout d’un certain nombre de rencontres, c’est tout juste si tu ne deviens pas une machine, t’as plus de sentiment, c’est comme si t’étais à la chaîne, ça défile et tu fais plus que de regarder c’qui cloche chez le mec et dès qu’y a un défaut de fabrication, hop, poubelle, au suivant. Bah oui, y a tellement de mecs que tu vas forcément trouver la perfection."

    Alice ne passe pas sous silence le moment mémorable – qu’il soit heureux ou malheureux – de la première rencontre, moment d’excitation et souvent de déception : "Tout se joue dès la première minute, le premier regard, le tout premier battement de cil. Bah ouais, va pas planter ton battement de cils, parce qu’à l’instant même de la rencontre, on sait tout de suite si ça va durer : deux minutes, deux jours ou deux mois." Quoique, dit-elle en substance, tout cela varie selon l’expérience du candidat : "Quand tu t'inscris en général t’es limite dépressive, où tu viens de te faire larguer où, comme moi, t’as demandé le divorce, donc dans les deux cas ça va pas trop fort … t’arrive toute timide, innocente, fragile et désemparée … puis au fil des mois ... quand t’as un peu plus d’expérience et que tu reprends le contrôle de tes facultés ... tu te transformes, sans t’en rendre compte, tu deviens Terminator, La Guerre des Mondes et Alien en même temps."

    Au-delà de cette plongée dans l’univers des sites de rencontre, ce dont il est question est aussi la relation homme-femme. Le genre masculin reçoit au passage quelques coups de canif : annonces à côté de la plaque, photos de profil embellies ou coupées pour cacher une calvitie et surtout l’obsession du coup d’un soir pour ces messieurs.

    Derrière le discours léger et virevoltant, se cachent des considérations sur la question de l’incompréhension entre femmes et hommes ainsi que de l’égalité des sexes : "Ça suffit qu’on nous prenne pour des vagins en puissance. Vous allez voir les mecs qui est-ce qui domine maintenant. Ouais, parce que vous jouez les gros durs, mais n’empêche que l’ascenseur pour le septième ciel c’est que si on en a envie et pas autrement."

    Une nouvelle preuve que les relations hommes-femmes, traitées ici avec humour et sous l’angle des sites de rencontre, restent un sujet de débat intarissable. Mais tout n’est pas à jeter dans l’univers impitoyable de l’e-rencontre, comme le rappelle Nathalie Cougny et son personnage : "Les deux tiers des personnes ayant noué une relation avec une personne rencontrée sur Internet déclarent avoir vécu une véritable histoire d’amour."

    Sex&lov.com sortira en librairie aux éditions Sudarènes à partir du 2 juin 2016.

    Nathalie Cougny, Sex&love.com, éd. Sudarènes, 2016
    Nathaliecougny.fr
    Sex&love.com "Alice se libère !"
    Mis en scène par Bruno Romier, Comédie Angoulême du 18 au 28 mai

  • Femmes de papier

    12795462_1715771775362931_4402653180996076033_n.jpgL’auteur de bandes dessinées Alex Varenne est l’invité des Écrits Polissons, ateliers d’écriture ludiques organisé par Flore Cherry, le 11 mai 2016 au 153, rue Saint-Martin, à Paris.

    Alex Varenne, auteur mythique des séries Ardeur (1980-1987), Erma Jaguar (1988-1992) et des romans graphiques Angoisse et Colère (1988) ou Gully Traver (1993) ou, plus récemment, La Molécule du Désir (2014) viendra présenter ses splendides femmes de papier, qu’elles soient aventurières, dominatrices, aimantes ou prudes.

    Cette rencontre avec un auteur mythique ayant participé à Charlie Mensuel et l’Écho des Savanes sera au centre d’une soirée d’ateliers d’écritures, de dessins, de nouvelles, de concours et de travail en groupe. Le tout sous les yeux d’un maître averti.

    Flore Cherry pour plus d'informations
    Cherry Erotic Corner

    Les Écrits polissons, mercredi 13 avril
    au 153, rue Saint-Martin - 75003 Paris
    (Métro - Les Halles ou Rambuteau)
    19H30 à 21H30
    Entrée : 10 € (boissons non comprises)

  • Nos oiseaux, nos frères

    portillo,tzigane,roman,oiseauC'est un voyage dans une culture que nous connaissons si mal que nous propose Chantal Portillo: celui des tziganes. Son roman, Tsigane-Oiseau, commence par un combat de coqs, une lutte à mort symbolisant les relations conflictuelles entre trois frères, le Zébré, le Rouquin – des jumeaux aux dissemblances qui finiront par se faire jour – et le narrateur, l'Oiseau. Après son refus de devenir oiseleur comme ses frères, son oncle Tchirklo prend sous ses ailes le garçon de 10 ans. Il le charge de s'occuper d'un chardonneret, un tzigane-oiseau, Danseuse, et de la dresser à chanter.

    C'est une autre voie qu'ont choisie les jumeaux : coqueleurs et duettistes via des bêtes de combats réputées, les Géants des Flandres. Chantal Portillo propose d'intéressantes pages sur cette tradition aussi fascinante que cruelle et machiste: "Le monde des coqs c’est le monde des mecs, et c’est un monde de vrai. Le vrai monde. Tu dois accepter que tu vas faire mourir un coq que t’aimes et que t’aimes si fort, parce que c’est comme ça la vie, y’a toujours un gagnant et un perdant. Et qu’on ne peut pas faire autrement que de vouloir être le plus fort. C’est l’épreuve du sang qui fait devenir un homme."

    Un combat de coq entre ces deux frères va faire de l'Oiseau l'épicentre d'un conflit cruel entre les deux frères, jusqu'à la tragédie finale qui cueille à froid le lecteur mais qui, à bien y réfléchir, était inéluctable : "Le destin va bientôt nous frapper Qu’il vienne / Cela n’a pas d’importance / Qui peut nous empêcher d’aller sur les chemins."

    Tsigane-Oiseau est un hymne mélancolique à la liberté autant qu'un roman tragique à la sourde tension. Il s'agit également d'un véritable chant d'amour, sans dialogue, pour un peuple mal aimé : "Nous étions Sintis ou Manouches, Gitans, Roms, peu importait nous étions Tsiganes et nous étions La Musique...L'esprit tzigane est partout dans ce roman : dans les traditions, dans la religion (avec le Père Yoska, alias André Barthélémy à qui est dédié ce livre), dans les voyages, dans la mauvaise réputation des "voleurs de poules", dans la vie difficile des camps tziganes, dans la culture, la musique et les danses, dans la solidarité de clan tzigane, dans la fierté des hommes et dans l'effacement des femmes.

    Un effacement tout relatif avec ces deux personnages féminins centraux que sont la figure tutélaire de Chaga la Pithie ainsi que la Mariée, femme fatale que l'on croirait sortie d'une tragédie grecque.

    Tsigane-Oiseau séduit par ses tableaux picaresques : les combats de coqs, bien sûr, mais aussi le mariage aux Saintes-Marie-de-la-Mer, le dressage et les chants de Danseuse, les jeux d'enfants dans l'église Saint-Jean-le-Vieux de Perpignan, la vie autour des décharges ou les errances imposées : "Nous pouvions laisser humiliations, cris, menaces, et partir sur le chemin. Étions-nous Gitans, Yéniches, Manouches ou Sintis, nous étions Voyageurs. Nos pères avaient été marchands, brocanteurs, saisonniers, peintres ou maçons, artistes. Mais avant tout ils étaient Voyageurs."

    Il s'agit d'un roman sur les vaincus de la terre, les oubliés, les rejetés, que ce soit L'Oiseau le narrateur, le chardonneret Danseuse ou le coq Dark Vador : "Le chemin miroite à ceux qui n’ont rien" dit le narrateur.

    Chantal Portillo, Tsigane-Oiseau, Arcadia Éditions, 2016, 155 p.

  • Gainsbourg, un enfant de la chance

    Dans la littérature gainsbourienne, il y a bien sûr la biographie de référence de Gilles Verlant, Gainsbourg (Albin Michel, 2000). En cette année de commémoration des 25 ans de la mort du chanteur, un autre ouvrage sort indéniablement du lot : Gainsbourg, le Génie sinon Rien de Christophe Marchand-Kiss (éd. Textuel, 2015), préfacé par Laurent Balandras que j’ai chroniqué il y a peu pour son essai sur Gainsbourg et La Marseillaise.

    C’est d’abord un très bel objet qui est proposé, à savoir 239 pages consacrées à l’artiste, à sa carrière, avec des illustrations en nombre : des photographies rares (celle de sa première femme Elisabeth Levitsky, une photo de groupe de 1959 avec Serge Gainsbourg, Jacques Dufilho, Denise Benoît et Marcel Amont lors d’une remise de prix de l’Académie Charles-Cros ou des clichés pris avec Jane Birkin à la fin des années 60), des reproductions de textes et de compositions de la main de Serge Gainsbourg, des documents administratifs et privés (des relevés de notes du petit Lucien Ginsburg, une carte d’alimentation de 1949 ou une fiche professionnelle de la SACD), des clichés intimes avec Jane Birkin, Bambou et Charlotte Gainsbourg, des témoignages de ses proches (un émouvant dessin de Charlotte représentant son père "avec les rastas") et des centaines d'autres souvenirs de la carrière exceptionnelle de l’homme à tête de chou, des Trois Baudets au Palace en passant par la Jamaïque. Sans oublier la littérature et le cinéma où Gainsbourg a été prolifique comme acteur (quoique sous-employé, dit l’auteur), réalisateur et surtout auteur d’innombrables bandes originales de films.

    L’essai illustré de Christophe Marchand-Kiss retrace plus de 35 années d’une carrière chaotique marquée par la recherche musicale permanente, une ambition artistique sans faille, un génie incandescent et une rigueur indéniable qui a pu être cachée par un personnage cynique et excessif vers la fin de sa vie.

    Une biographie de plus sur un musicien que l’on aime ou que l’on aime détester ? Bien plus : il s’agit d’une passionnante plongée dans la vie comme dans l’œuvre de Serge Gainsbourg, car "toute vie est digne d’intérêt – même la plus intime" dit l'auteur en préambule. 

    Une cinquantaine de pages de l’ouvrage sont consacrées au petit Lucien Ginsburg, fils d’immigrés juifs russes. Avec un père pianiste, ayant joué notamment dans une boîte intitulée Les Enfants de la Chance (Gainsbourg saura s’en souvenir en 1987 pour l'une de ses dernières chansons), le destin semblait tout tracé pour cet enfant de la balle. Ce sera sans compter les coups durs, la seconde guerre mondiale, et aussi la part de chance qui permettra au petit Lucien ainsi qu’à sa famille – d’origine juive – d’échapper aux rafles allemandes.

    Au milieu des années 40, le jeune homme se voit artiste peintre. Il étudie à l’académie Montmartre, est influencé par les l’impressionnisme mais la musique reste une option qu’il finira par adopter au point d’avoir détruit presque toutes ses œuvres picturales. À ce sujet le lecteur pourra découvrir dans le livre de Christophe Marchand-Kiss un autoportrait de Lucien Ginsburg. Une rareté.

    L’intérêt principal de cette biographie réside dans l’auscultation d’un musicien ayant connu mille et une mues : chanteur de cabaret à ses débuts côtoyant Boris Vian, Juliette Gréco ou Guy Béart, parolier hors-pair (Le "Poinçonneur des Lilas", "L’Eau à la Bouche" ou "Mes Petites Odalisques"), expérimentateur pugnace durant les années 60 lorsqu’il s’inspire du jazz américain ("Black Trombonne"), qu'il utilise des percussions africaines ("New York USA") ou lorsqu'il adopte les courants easy listening ou le yé-yé ("Chez les yé-yé").

    En 1962 sort La Javanaise. C’est l’occasion pour Christophe Marchand-Kiss de s’arrêter sur cette chanson mythique, pas si anodine que cela. Il en fait une étude de texte brillante et d’une rare pertinence : "La Javanaise est une dilution brutale, presque instantanée, de l’amour… d’une grande violence… Il y a aussi sa déroute et le suicide, simplement suggéré…" C'est une analyse remarquable d'une des plus belles chansons du répertoire français qui vaut à elle seule la lecture de cette biographie !

    L’auteur ne passe pas sous silence les relations passionnées qu’il a entretenues avec quelques unes de ses muses, dont Brigitte Bardot. Sa relation brève mais passionnée lui inspira "Initials B.B.", "Bonnie and Clyde" et surtout "Je t’aime moi non plus" que le chanteur avait composé pour elle. Christophe Marchand-Kiss évoque les autres interprètes féminines des chansons de Gainsbourg : de Françoise Hardy à Isabelle Adjani, en passant par Régine et Bambou.

    Deux longues parties du livre sont consacrées à la femme qui a partagé sa vie et qui lui a permis d’écrire quelques-unes de ses plus belles chansons : Jane Birkin. Dans le chapitre consacré au titre Jane B., Christophe Marchand-Kiss s’empare des paroles – "Signalement : / Yeux bleus / Cheveux châtains, Jane B / Anglaise / De sexe / Féminin" – pour les revisiter et écrire une magnifique déclaration d’amour.

    Christophe Marchand-Kiss déniche un autre exemple des talents d’auteur de Gainsbourg. Il s’arrête sur "Ford Mustang", écrite en 1968 après un très long travail à la fois linguistique et sonore autour du français et de l’anglais : "Ce qu’obtient Gainsbourg n’est pas une autre langue : il même deux langues sans les confondre… Ce n’est pas non plus tout à fait du franglais, car le jargon que que ce mot prétend recouvrir n’existe pas. Des mots depuis le Moyen Âge passent d’une langue à une autre, voilà tout." Le livre reproduit un dépliant en anglais sur la Ford Mustang, dépliant que l’artiste a annoté, traduit et transcrit en sonorités, avant d’écrire les paroles d’une chanson plus expérimentale qu’il n’y paraît.

    Le Gainsbourg explorateur musical se confirme durant les années 70 et 80, avec quelques concepts marquants. "Histoire de Meldy Nelson" (1971) est "une hallucination. Un égarement dans les méandres complexes du fantasme", véritable "poème symphonique de l’âge pop". Rock round the Bunker, sorti quatre ans plus tard, est la revanche de l’ancien petit Lucien pourchassé par les cohortes nazies et par l’État français : un album noir, sarcastique et vengeur. "Reste l’étoile jaune. La Yellow Star... Distanciation. Retour sur soir."

    Ce retour à l’actualité et à l’autobiographie c’est un autre concept-album, L’Homme à Tête de Chou ("Marilou sous la Neige", "Variations sur Marilou"), sorti en 1976.

    Gainsbourg a emprunté des chemins musicaux aussi variés que la chanson française traditionnelle, la pop anglaise, le rock, les rythmes latinos ou les percussions africaines. Le voilà qui s’aventure en 1979 avec le reggae et son album qui marque un virage dans sa carrière. J’avais parlé sur ce blog du scandale de La Marseillaise jamaïcaine, Aux Armes et caetera. C’est peu de dire que cet album a été un véritable coup de tonnerre médiatique. Devenu immensément populaire, Gainsbourg voit aussi sa vie privée chamboulée : divorce avec Jane Birkin, dépression, création de son personnage Gainsbarre, fumeur, buveur et provocateur. L’homme fascine autant qu’il exaspère. Ses prestations télévisées avec Catherine Ringer, Whitney Houston ("I want to fuck you") ou ce célèbre billet de 500 francs brûlé devant les caméras deviennent mythiques.

    Trois disques viendront clôturer une carrière exceptionnelle : Mauvaises Nouvelles des Etoiles et surtout Love on the Beat (voir l’article qui est consacré "Il n’y a pas que la beat dans la vie") et You’re under Arrest, deux albums funks montrant qu’à 60 ans l’artiste n’a pas fini d’arpenter de nouveaux univers musicaux. L'artiste se permet encore de faire chanter et danser la jeunesse de son pays sur Mon Légionnaire et sur Aux Enfants de la Chance, "réminiscence d’un nom de cabaret où son père travailla avant guerre."

    Avant de mourir le 2 mars 1991, l’homme aura pu éditer une intégrale de ses chansons (1989) et entrer dans le Larousse encyclopédique : "Doué d’un humour grinçant et subtil, il a su imposer au public un personnage de désinvolte désenchanté et sardonique qui cache une très vive sensibilité." Un artiste qui a accompagné et la société et la culture française sans renier ses exigences. Un enfant de la chance.

    Christophe Marchand-Kiss, Gainsbourg, le Génie sinon rien,
    préfacé par Laurent Balandras, éd. Textuel, 2015, 239 p.

    "Aux armes citoyens... et cætera"
    "Il n'a pas que la beat dans la vie"

  • Roman-feuilleton 3.0 sur un air de tango

    lcntdr-cover-ch1.jpgDans la grande tradition des romans-feuilletons du XIXe siècle, Céline Guarneri propose de renouveler ce genre sur le web grâce à un polar disponible gratuitement sur son site.

    Le Ciel ne te doit rien, dont les premiers chapitres sont en ligne ici, peut être qualifié de roman-feuilleton 3.0 et de "work in progess" dont l’ambition artistique mérite que l’on s’y arrête.

    La démarche de l’auteure est au départ de s’émanciper des moyens de publications classiques, que l’artiste elle-même juge "très décevants". L’Internet offre à cet égard de multiples avantages : universalité, gratuité et facilité d’utilisation.

    Depuis la mi-février, Céline Guarneri propose chaque semaine un chapitre supplémentaire de son polar Le Ciel ne te doit rien. Pour une fois, le bloggueur parlera d’un roman qu’il n’a pas terminé – et pour cause : la publication est en cours et va s’étaler sur plusieurs mois, en attendant une publication à la demande.

    Le roman a pour cadre Lyon, une ville que connaît bien l’auteure et qui, dit-elle, "se prête bien aux enquêtes policières". L’histoire – dont on devine qu’elle naviguera entre Lyon et l’Argentine – commence par un attentat et l’enlèvement non moins mystérieux d’une femme. Tony Hujarova, un capitaine de police désabusé est témoin de l’événement, tout comme Amélie, une femme qu’il a houspillée quelques minutes plus tôt. Au même moment, dans un hôpital psychiatrique, Camille, une jeune patiente atteinte d’une lourde dépression et d’amnésie, défie les psychiatres. Lorsqu’elle croise par hasard Estefan Belén, un danseur de tango, un déclic s’opère chez la jeune femme. La suite, le lecteur le découvrira tout au long des semaines qui verront la mise en ligne des chapitres de ce roman mené tambour battant.

    Dans les premières lignes de cet article, il était question de work in progress. Nous pourrions préciser : "work in progress augmenté". Céline Guarneri se lance en effet dans une aventure artistique inédite qui entend dépasser le strict cadre du roman policier : "Le but... est d'inviter d'autres artistes (photographes, dessinateurs, danseurs) à interagir avec le texte et à créer une autre matière à partir de l'histoire. La co-création sera ainsi au cœur de ce nouveau projet", explique l’auteure. Son pedigree lui offre d’ailleurs de sérieux atouts pour une telle démarche car, non contente d’avoir publié de manière traditionnelle romans, théâtre, contes pour enfants et d’avoir été remarquée pour plusieurs nouvelles (lauréate en 2000 du concours "Lire en fête" pour son texte Les femmes et le XXème siècle et primée pour Le héros en littérature dans le cadre de l'émission littéraire "Vol de Nuit" animée par Patrick Poivre d'Arvor), Céline Guarneri est une artiste dotée de multiples facettes : comédienne, réalisatrice, danseuse de tango (le tango tient d’ailleurs une place importante dans Le Ciel ne te doit rien), journaliste ou community manageuse.

    Umberto Eco avait traité d’œuvre ouverte dans un de ses premiers essais (L'Oeuvre ouverte, 1965). C’est également d’une œuvre ouverte dont il est question ici. Céline Guarneri voit ce roman policier, à la facture classique qui ne décevra pas les amateurs du genre, le premier jalon d’une œuvre totale mêlant musiques, photos (par exemple via une ou plusieurs expositions), danses (le tango, toujours), vidéos (un teaser est en ligne) voire – c’est un souhait affirmé de l’auteure – patrimoine historique à travers des visites de la ville de Lyon. Le texte lui-même est appelé à se transformer au fur et à mesure de la publication sur le web grâce au concours des internautes qui souhaitent le faire évoluer dans un sens ou dans un autre. Céline Guarneri "revendique ainsi une démarche éditoriale qui vise à faire bouger les lignes pour montrer qu'édition traditionnelle et autoédition ne sont pas incompatibles, s'enrichissent et se servent l'une l'autre. Une façon de les réconcilier à travers de nouvelles formes de passerelles et de collaborations".

    Ce roman-feuilleton enrichi, work in progress augmenté, n’attend plus que toi, lecteur et internaute, pour vivre et devenir une œuvre totale.

    Le ciel ne te doit rien, web-Feuilleton de Céline Guarneri
    https://www.celineguarneri.fr
    © Tous droits réservés, 2016
    Photo © Heaven Line

  • Aux armes citoyens... et cætera

    "Je suis un insoumis et qui a redonné La Marseillaise son sens initial ! Et je vous demanderai de la chanter avec moi !"

    La scène se passe le 4 janvier 1980 à Strasbourg, dans le cadre d’un concert de Serge Gainsbourg, concert qui, du reste, n’aura jamais lieu. L’essai de Laurent Balandras, La Marseillaise de Serge Gainsbourg, Anatomie d’un Scandale (éd. Textuel) s’ouvre sur ce moment phare de l’histoire de la chanson française, coup de tonnerre médiatique autant que virage artistique dans la carrière de l’homme à tête de chou.

    L’essai de Laurent Balandras est exemplaire à bien des égards. En retraçant le contexte de La Marseillaise version reggae de Gainsbourg (et intitulée Aux Armes et cætera), il ausculte les tenants et les aboutissants d’un scandale qui dépasse largement le simple contexte musical.

    En janvier 1979, Serge Gainsbourg, toujours en quête de renouvellement musical, enregistre en quelques jours à la Jamaïque l'album Aux Armes et cætera. L’auteur d’Initials BB a, par le passé, puisé son inspiration dans le jazz, les percussions africaines, la pop anglaise ou le rock. Cette fois, c’est sur le reggae que Gainsbourg jette son dévolu, convaincu par son directeur artistique Philippe Lerichomme après l’écoute de la première version de Marilou Reggae dans l’album L’Homme à Tête de Chou (1976). Parmi les 12 titres enregistrés figure cette fameuse Marseillaise revisitée dans un style reggae, "un chant révolutionnaire sur une musique révolutionnaire" comme l’expliquera inlassablement le chanteur en pleine tourmente.

    L’album Aux Armes et cætera sort le 13 mars 1979. Le scandale éclate moins de trois mois plus tard lorsque le futur académicien Michel Droit publie dans Le Figaro Magazine une violente tribune contre "l’outrage à l’hymne national" que constitue cette Marseillaise reggae : "un rythme et une maladie vaguement caraïbe… à l’arrière-plan, un chœur de nymphettes émettant des onomatopées totalement inintelligibles… et au ras du micro, d’une voix mourante, exhalant comme on ferait des bulles dans de l’eau sale, des paroles empruntées à celles de … La Marseillaise." L’ancien résistant va plus loin en s’attaquant à l’artiste : "œil chassieux, barbe de trois jours, lippe dégoulinante… débraillé… crado…" La charge de Michel Droit atteint des sommets lorsqu’il considère qu’en adaptant La Marseillaise à des fins mercantiles ("en tirer profit aux guichets de la Sacem"), l’initiative du chanteur porte "un mauvais coup dans le dos de ses coreligionnaires". Autrement dit, par son acte "provocateur" contre l’hymne national, Serge Gainsbourg est accusé de favoriser l’antisémitisme… en raison de ses origines juives. Cet article donne le départ d'un scandale si brutal que Gainsbourg en restera définitivement meurtri.

    Relatant cette affaire, Laurent Balandras ne se contente pas de dresser l’historique de ce qui n’était au départ qu’une adaptation moderne - et exotique - de l’œuvre de Rouget de Lisle. Il retrace aussi en quelques pages l’enfance du petit Lucien Ginsburg, fils d’immigrés russes et de culture juive. Il rappelle que, né en 1926, le futur Serge Gainsbourg a été élevé dans l’amour de la culture française, dans une famille laïque, naturalisée et amoureuse de son pays d’adoption. Musicien très jeune, pianiste classique, il échappe de peu à la déportation comme d’ailleurs ses parents et ses sœurs. Un véritable traumatisme, comme le rappelle Laurent Balandras et qui resurgira en 1979 à la faveur d’un article haineux écrit par l'ancien résistant Michel Droit.

    Cet essai sur La Marseillaise de Gainsbourg abandonne le chanteur le temps d’un chapitre pour s’intéresser à l’histoire de l’hymne national. Il se nommait à l’origine Le Chant de l’Armée du Rhin, et a été composé en avril 1792 à Strasbourg (et oui !) par Claude Joseph Rouget de Lisle, modeste officier et musicien amateur. Un chant révolutionnaire donc, comme le rappellera Serge Gainsbourg deux siècles plus tard. Laurent Balandras rappelle l’histoire tumultueuse de ce chant patriotique qui est devenu un hymne national après pas mal de déboires… et d’adaptations, jusqu'à la version de Gainsbourg, Aux Armes et cætera.

    Au sujet de ce titre, le chanteur rappellera qu’il respecte un manuscrit original de Rouget de Lisle. Laurent Balandras nuance cependant ses propos : "Les paroles reproduites dans le Larousse contiennent cette indication afin de ne pas réécrire sempiternellement le refrain. C’est presque vrai à cette nuance que la mention exacte est Aux armes, citoyens… etc."

    L’album reggae de Gainsbourg, vendu à plus d’un million d’exemplaire, est un succès inédit pour le musicien. À 50 ans, l’auteur de La Chanson de Prévert ou de L’Eau à la Bouche devient un artiste populaire, adoré par la jeunesse et considéré avec respect par la profession. Le jour de gloire est arrivé, donc. Cependant, "la fête est brutalement gâchée par l’article scandaleux de Michel Droit." Serge Gainsbourg conservera toute sa vie dans ses archives les pièces qui ont constitué ce scandale de La Marseillaise "jamaïcaine" : lettres d’injures ou de soutiens, coupures de presse, photographies, télégrammes. La reproduction de quelques-unes de ces pièces à conviction constitue l’une des grandes richesses de l’ouvrage de Laurent Balandras. Elles illustrent à elles seules le degré de violence contre l’artiste, empêché à plusieurs reprises de se produire sur scène, ce qui ne l’empêchera pas de partir à la rencontre de son public. Mais c’est un homme blessé qui sort de cette épreuve : "Si les attaques de Michel Droit ont meurtri Gainsbourg, l’affront de Strasbourg l’a anéanti… Certes, il se doutait bien qu’une Marseillaise en reggae allait défriser quelques implants mais de là à menacer physiquement des saltimbanques…"

    À partir de 1980, Serge Gainsbourg endosse un nouveau costume et se mue en Gainsbarre, son "double monstrueux" et provocateur, désinhibé, dépressif et (faussement?) alcoolisé. Sa vie privée est chambardée. Il quitte sa muse Jane Birkin, fréquente un temps Catherine Deneuve, avant de rencontrer sa dernière compagne, Bambou : Ecce homo, comme le dit la chanson phare de son album suivant Mauvaises Nouvelles des Étoiles (1981).

    Mais l’ultime pied de nez de ce scandale, sur fond de patriotisme antisémite, viendra le 13 décembre 1981. Ce jour-là, contre vents et marées, Serge Gainsbourg achète pour 135 000 francs un manuscrit autographe de La Marseillaise rédigée en 1833 par Rouget de Lisle. Il racontera ainsi son retour de la salle des ventes, avec cette pièce historique : "Le retour de Versailles fut grandiose. J’étais accompagné par Phify, garde du corps, videur au Palace, d’origine polonaise. Il y avait Bambou, ma petite amie, une Niak. Moi, je suis russe, juif et la voiture c’était une Chevrolet, une américaine ! Et sur la banquette arrière, y’avait le manuscrit original de La Marseillaise ! Étonnant !"

    Laurent Balandras, La Marseillaise de Serge Gainsbourg,
    Anatomie d’un Scandale
    , éd. Textuel, 159 p.

  • La soumission, ça s’apprend tôt

    la-petite-barbare-pave.jpg"La soumission, ça s’apprend tôt", dit, dans les dernières pages du roman d’Astrid Manfredi, La petite Barbare, celle qui se fait appeler ainsi. Elle n’a ni prénom ni nom. Toutefois, les lecteurs attentifs reconnaîtront derrière ce personnage fictif celui de l’appât ayant conduit Illan Halimi entre les griffes du Gang des Barbares. En 2006, le jeune homme avait péri après trois semaines de captivité et de tortures. Quelques années plus tard, la fille de ce gang avait été au centre d’un autre fait divers : emprisonnée à Versailles, elle aurait fait l’objet d’un traitement de faveur après avoir séduit un gardien de prison puis le propre directeur de la prison !

    S’agit-il d’un roman sur cette double affaire ? Non.

    L’auteure relate la séquestration et le décès dIllan Halimi en quelques pages. Et si les avances sexuelles de la petite barbare sont développées, il s’agit moins de relater un fait divers sordide que mettre en relief les motivations d’une jeune femme paumée.

    Ce dont il est question dans La petite Barbare c’est bien de misère matérielle et intellectuelle ainsi que d’une lutte des classes contre toute forme d’oppression, qu’elle soit économique ou machiste. On sort groggy de ce roman coup de poing, cri de haine d’une fille dont le seul espoir réside dans la violence et le mépris du genre humain – et masculin.

    Astrid Manfredi, La petite Barbare, éd. Belfond, 154 p.
    http://laisseparlerlesfilles.com