Musique ••• Classique ••• Marie Bigot & Hélène de Montgeroult, Les dentelles à l’échafaud, Lucie de Saint Vincent
La Bohême, la Bohême...
Derrière le titre Deep Forest se cache l’album du Quatuor Akilone consacré à Antonin Dvořák. Les quatre musiciennes ont jeté leur dévolu sur le Quatuor à cordes n°14 en la bémol majeur, B. 193, op. 105 et Les Cyprès B.152, deux œuvres représentatives du compositeur tchèque, en dépit du fait que l’on retienne surtout du compositeur ses célèbres symphonies, dont celle du Nouveau Monde.
Voilà donc un autre champ de découverte. La patte de Dvořák frappe immédiatement aux oreilles : sens de la mélodie, densité et un mélange de subtilité et de fougue.
Avec Dvořák, on ne s’ennuie jamais, et l’on est d’autant plus séduit par le jeu des quatre concertistes (Magdalena Geka et Élise De-Bendelac au violon, Perrine Guillemot-Munck à l’alto et Lucie Mercat au violoncelle) qui sont allées jusqu’en République tchèque pour s’imprégner de l’atmosphère de ce pays magique.
C’est toute l’âme du pays qui transparaît dans le Quatuor à cordes n°14, écrit en 1896 aux États-Unis et pensé comme un voyage dépaysant en Bohême (premier mouvement Adagio ma non troppo – Adagio appasionato). Le compositeur a choisi un tempo rapide (Molto vicace) pour le deuxième mouvement. Puisant ses influences dans la tradition musicale tchèque, l’œuvre s’en détache avec bonheur et un certain enthousiasme.
On ne dira jamais assez que Dvořák a été pour la fin XIXe et le début XXe siècle, un musicien européen phare du classicisme. La preuve avec le troublant et poignant troisième mouvement Lento e molto cantabile, laissant de larges places aux pauses, aux suspensions et aux silences. Le 14e Quatuor se termine par un étrange mouvement, Allegro ma non troppo. Une danse envoûtante, et aussi inquiétante aux entournures (le formidable violoncelle de Lucie Merlat), guide cette dernière partie s’éloignant peu à peu de la nuit pour aller vers l’apaisement, pour ne pas dire la lumière.
Une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse remaniée tout au long de sa vie
La deuxième partie du programme est consacrée à une pièce de jeunesse rare de Dvořák. Les Cyprès (Cypřiše) est une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse de remanier tout au long de sa vie. Les membres du Quatuor Akilone ne cachent pas leur amour pour cette œuvre peu connue et inspirée de poèmes de Gustav Pfleger Moravský. Ceci explique la présence de ces Cyprès dans leur album, inspirant en outre le titre de l'album et ses forêts profondes. Au passage, impossible de ne pas parler de l’engagement environnemental du quatuor. Sensible à ces questions, il est membre du réseau ARVIVA.
Dvořák tire 12 mélodies somptueuses pour lesquelles il a toujours eu un attachement singulier. Dans le livret du disque, Tristan Labouret s’interroge d’ailleurs sur cette œuvre tellement aimée du compositeur : "Pourquoi donc cet éternel retour à ce cycle de jeunesse ?" Ce n’est certainement pas l’idée d’un succès commercial puisque Les Cyprès ne seront jamais publiés du vivant du musicien. Pourquoi pas une histoire d’amour – non-réciproque – avec la belle-sœur du compositeur ? Peut-être si l’on en croit les titres de plusieurs mélodies : "Je sais que mon amour pour toi" (Já vím, že v sladké naději), "Quand tes doux regards tombent sur moi" (V té sladké moci očí tvých) ou encore "L'amour ne nous mènera jamais à cette fin heureuse" (Ó, naší lásce nekvete to vytoužené štěstí). Mais la réponse est sans doute est à la fois plus simple et plus personnelle, dit en substance le texte du livret. Dvořák voyait dans Les Cyprès le retour à son enfance, à l’insouciance et à la liberté.
D’ailleurs, cette légèreté et cette paix est bien transcrite par les quatre musiciennes du quatuor. Le romantisme finissant (Les Cyprès ont été écrits à partir de 1887) donne à ces mélodies une facture immédiatement envoûtante, comme si elles semblaient hors du temps et hors de toute géographie réelle. C’est une forêt transfigurée qui se donne à entendre ("Dans la clairière la plus profonde de la forêt, je me tiens", Zde v lese u potoka). La pureté de ces lignes mélodiques expliquent en même temps qu’elles justifient que Dvořák y ait consacré de longs moments. Le Quatuor Akilone les délivrent avec la même grâce.
C’est d’autant plus somptueux qu’elles ont été aidées par la superbe prise de son de Ken Yoshida lors de l’enregistrement à l’église de Nanteuil-sur-Marne à l’automne 2023.
Dvořák, Deep Forest, Quatuor Akilone, Klarthe, 2024
https://quatuorakilone.com
https://www.klarthe.com
Concerts en France : le 17/12/2024 à Roubaix (59) - Concerts de Poche, le 16/01/2025 à Paris,
Fondation Singer-Polignac (sur invitation) et le 31/01/2025 à Menetou-Râtel (18)
Voir aussi : "Hanni Liang et les voix (féminines) du piano"
"Trio percutant"
"Élise Bertrand, ultra moderne romantique"
Crédit photographique : © Hubert Caldaguès - Photoheart
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