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Titre énigmatique, Derrière Les Paupières se présente comme un envoûtant, magnétique et étonnant album de jazz proposé par le trio Rouge. Madeleine Cazenave, à la composition et au piano, est accompagnée de Sylvain Didou à la contrebasse et Boris Louvet à la batterie.
Le jazz de Derrière Les Paupières, composé de seulement six titres de 6 à 9 minutes, se déploie avec un luxe de couleurs et de densité, tel le premier morceau, "Petit jour". Faussement simple, il commence sur la pointe des pieds avant de se déployer dans des vagues mélodiques et orientales.
Ces accents orientaux sont plus présents encore dans "Étincelles", dans une fusion entre jazz cool et musique world et métissée traversée par un mouvement nostalgique absolument bouleversant.
Une invitation au dépaysement
C’est une invitation au dépaysement que propose le trio Rouge, à l’instar du morceau de près de 8 minutes, "Abysses". Ce titre, toujours dominé par le piano de Madeleine Cazenave, peut s’écouter comme un voyage vers nulle part. L’auditeur est invité à s’aventurer dans des contrées musicales mêlant jazz, électro et contemporain, avec ce je ne sais quoi de sons zen dominés par la contrebasse proprement métaphysique de Sylvain Didou. Elle est la véritable héroïne de cette piste passionnante et envoûtante.
Derrière Les Paupières n’est pas sans rappeler l’album Music for Egon Schiele qu’avait sorti le groupe Rachel’s en 1996. Il y a à la fois du lyrisme et de la modernité dans cette manière d’aborder le jazz ("Brumaire"). Le trio ne le quitte cependant jamais complètement, à l’exemple de "4 %", qui nous ramène à un son plus familier. Ce jazz cool est impeccablement servi par des interprètes à l’unisson, non sans des décrochages mélodiques au piano.
"Cavale", le morceau qui clôt l’album, avance doucement avant de s’élancer, mais non sans une forme de mélancolie comme s’il y avait encore beaucoup à dire et à partager.
Nous attendions avec curiosité le nouvel album de Carole Masseport, En Équilibre. Après la sortie d’un premier single, "On se remet de tout", la chanteuse confirme tout le bien que l’on pensait d’elle, grâce à un album écrit et produit avec soin, avec entre autres Albin de la Simone et JP Nataf, le chanteur des Innocents.
Carole Masseport chante en équilibre dans un opus tout en finesse ("À ma place"). Le thème de l’amour est bel et bien là même s’il s’agit d’amours cabossés mais revivifiés par de nouvelles rencontres : "une seconde chance n’a rien de ridicule… Je suis là, hélas, et lasse / Je suis là à ma place".
Sur des textes faussement légers ("On se remet de tout"), la chanteuse assume la simplicité de textes et de mélodies parlant de la vie à deux ("Rien n’y fera"), de la recherche de l’autre ("Si elle m’aime"). L’attachement, les confessions, les trahisons et les doutes : Carole Masseport les exprime de sa voix fragile à la Enzo Enzo, avec une économie de moyens.
Faussement légers
Tout cela est fait avec grâce, y compris lorsque la musicienne s’engage et aborde le problème des migrants ("Calais"), avec un regard plein d’acuité et presque avec légèreté ("Garavan").
Il faut aussi parler de "Cœur de dentelle", une jolie balade folk avec guitare et voix sur la fin implacable d’une relation, en raison d’un homme "qui tire sur la corde… le loup qui dévore c’est toi". Cette histoire d’un échec amoureux est chantée avec une retenue bienvenue, ce qui n'empêche pas des moments de confession : "Dans mon lit c’est Hiroshima / J’y ai cru toi et moi / Tu m’as crue je ne joue pas".
Toujours pop-folk, l’album se termine par une étonnante reprise de "Hors-saison", le tube de Francis Cabrel. Et s’il fallait chercher là les influences de Carole Masseport ?
Il est probable que le fait divers rapporté et étudié par Alain Denizet (Le roman vrai du curé de Châtenay, Ella Edition) ne vous dise rien. Il a pourtant défrayé la chronique dans les premières années du XXe siècle avant de tomber dans l’oubli. Tout l’intérêt de cet essai historique est de faire remonter à la surface une affaire qui a suscité l’émoi en France, bien des années avant l’arrivée de nos réseaux sociaux. Et à l’époque, c’est la presse écrite, qu’elle soit de gauche ou de droite, engagée ou non, qui a utilisé cette histoire peu banale à des fins politiques, morales, religieuses ou tout simplement mercantiles.
L’histoire commence le 24 juillet 1906 à Châtenay, un modeste village d’Eure-et-Loire, à quelques kilomètres de Chartres. Joseph Delarue, un enfant du cru passé par un séminaire de la région, y est prêtre depuis 1898. Ce jeune curé y est apprécié pour son engagement, son "modernisme" et sa piété, allant jusqu’à s’investir pour créer une école privée, un projet qui ne sera pas sans conséquence pour la suite. À l’époque, la France est secouée par des luttes entre religieux et laïcs. En 1905, un an avant qu’éclate l’affaire, la Loi de séparation des Églises et de l'État a été votée dans un climat de division. De plus, comme le précise l'auteur Alain Denizet, "les églises se vident, il faut aller au-devant des âmes, s’extraire de la routine, mettre en œuvre des actions visibles, combattre la propagande anticléricale en développant un réseau associatif et en maintenant, coûte que coûte, les écoles privées".
C’est dans ce climat tendu que se déclenche l’affaire : le 24 juillet 1906, après un court séjour à Paris, le prêtre disparaît subitement. Il devait revenir dans sa région où il est attendu, notamment par sa sœur qui s’occupe du presbytère. Le village puis la région s’en émeuvent et un juge est nommé pour enquêter sur sa disparition mystérieuse du prêtre de 35 ans. La presse lui emboîte le pas et le fait divers devient national : "Journaux parisiens et journaux provinciaux tirent quotidiennement à près de dix millions d’exemplaires, l’humble curé de campagne devient au fil du temps une célébrité."
L’humble curé de campagne devient au fil du temps une célébrité
Une célébrité dont on se serait bien passé en vérité, car ce que montre Alain Denizet, au-delà de l’affaire rocambolesque, ce sont les tiraillements au sein de la société. À la question de savoir ce qui s’est passé, si le prêtre est mort, s’il a été assassiné ou s'il a fuit, les journaux en viennent à gloser : l’histoire du curé de Châtenay est-elle un complot politique ? S’agit-il d’une disparition orchestrée par les autorités religieuses ? Les journaux, dont Le Matin, orchestrent de véritables enquêtes, proposent une prime et vont jusqu’à faire venir des occultistes, un mage hindou et même... une hyène. L’affaire rebondit quelques mois plus tard, cette fois en Belgique, avec la participation inattendue de Théodore Botrel, l'auteur-compositeur breton.
Cette passionnante affaire est relatée avec précision par Alain Denizet. Jour après jour, on suit les rebondissements ahurissants de cette histoire de disparition qui a fait les choux gras de la presse de l’époque qui n’a pas hésité à échafauder des interprétations et des histoires de complots, sans hésiter à déverser leur fiel. Ça ne vous rappelle rien ?
Le roman vrai du curé de Châtenay est intelligemment mis en perspective avec les mentalités et les événements de la France de la Belle Époque, quelques années après l'affaire Dreyfus et avant le déclenchement de la première guerre mondiale, un conflit qui, paradoxalement, va avoir ce rôle dans l’aplanissement de ce fait divers à la fois ordinaire et hors du commun.
L'essai d'Alain Denizet, qui devrait passionner les amoureux de l'histoire et des faits divers, liront avec grand intérêt cette enquête qui vient nous rappeler que la propagation de rumeurs, d'insultes et de complots ne date pas de nos moyens modernes de communication. Il faut enfin noter que l’émission de France Inter Le vif de l’histoire a récemment fait une chronique sur cette affaire.
Les Part-Time Friends sont des artistes que l’on a plaisir à suivre, en raison de leur électro-pop sans chichi, admirablement bien produite et qui vous caresse doucement les tympans.
Ils sortent ce printemps leur troisième album, Weddings & Funerals et continuent de tracer leur sillon. Le single phare de leur opus est "Paris en août", un titre qui n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, une déambulation dans la capitale en plein été mais, comme ils le disent eux-mêmes, "une allégorie naïve du sentiment que l'on ressent quand on trouve le ou la bonne personne. Quand la ville se vide de son monde, sous un soleil radieux, et que le quotidien s'en retrouve sublime et sublimé."
Rencontrer la bonne personne, partager avec elle sa vie et ses passions : voilà qui doit forcément parler à Pauline et Florent, inséparables depuis 10 ans, et qui proposent avec "Weddings & funerals" un album personnel, attachant et au son acidulé. Ils le disent autrement : "Nos chansons sont des petits pansements pour l’âme. Nos textes parlent d’amour, de nos espoirs et de nos peurs… tous ces sujets qui comptent pour nous. Nous essayons de les exprimer avec des mots simples".
Inséparables depuis 10 ans
Dans un opus principalement en anglais et qui prouve les affinités des deux artistes avec la britpop ("Cold Hearts", "Looking Forward"), les Part-Time Friends chantent en français dans le morceau "Même si", qui peut se comprend autant comme une déclaration d’amour que comme un hymne du groupe : "Et si on est deux amis / Avec le temps on s’est compris..."
"Leave It All Behind" se présente comme une électro-pop enlevée et au son sophistiqué (on pense aussi à cet autre piste, "Sacrifice") et que l’on peut comparer avec le minimalisme bricolé de "2 AM" ou "Next Big Thing". C’est simple : il semble que nous nous baladions par moment dans la lo-fi des années 90, à l’instar du bien nommé "Sober".
À la recherche de nouveaux terrains de jeu, le groupe ose la ballade folk avec le délicat "Dad" mais aussi l’électro-world avec un texte espagnol ("Mariposas").
Les Part-Time Friends savent surprendre mais aussi séduire grâce à leur électro-pop séduisante et rafraîchissante.
Il y a des découvertes comme ça qui sont à la fois bienvenues et de véritables plaisirs.
Renée Vivien (1877-1909) sera sans doute une étonnante révélation pour beaucoup. Femme de lettres de la fin du XIXe et du XXe siècle, elle a laissé l’image d’une artiste en marge, poétesse, féministe et figure du saphisme. Elle fut entre autres amante de Natalie Barney et proche amie de Colette ou de Pierre Louÿs. Il faut lire, et en l’occurrence écouter dans la version musicale de Pauline Paris, le poème "Avril" pour comprendre pourquoi la redécouverte de cette poétesse est indispensable.
L’enregistrement de Pauline Paris, sobrement intitulé Treize poèmes de Renée Vivien, est un excellent moyen de découvrir cette formidable femme de lettres de la Belle Époque, victime d’une "dépression suicidaire" à l’âge de 32 ans. Nicole G. Albert souligne dans le texte de présentation que Renée Vivien se disait mauvaise musicienne, ajoutant aussitôt que "chaque grand poète est un musicien". Voilà qui rend pertinent l’opus présenté par Pauline Paris.
Dans les 13 titres de l’album, la Parisienne a choisi avec soin des textes exprimant tous à leur manière le désir, dans une langue baudelairienne et parnassienne ("La pleureuse"). Hélène Hazera commente ainsi : "À l’écoute, on remarque à quel point la versification de Renée Vivien est parfaite. Vers de huit ou douze pieds, alternance de rimes féminines et de rimes masculines".
Odes amoureuses, chants de ruptures, déclarations enflammées : Pauline Paris s’approprie des textes mélancoliques, voire sombres, pour en faire des adaptations délicates ("Sans fleurs à votre front"), légères ("Fraîcheur éteinte") ou gourmandes ("Violettes d’automne"), comme autant de bouquets de renoncules. Pour autant, l’opus est traversé de vagues sombres ("Mon ombre suit comme un reproche… comme un remords", "Chanson pour mon ombre"). Pour faire vivre les Treize poèmes de Renée Vivien, Pauline Paris n’hésite pas à utiliser la pop-folk ("Sans fleurs à votre front"), le rock ("À l’amie"), le talk-over ("Chanson pour mon ombre"), le jazz ("Lassitude") et même la pop tahitienne ("L’éternelle tentatrice").
Surnommée "Sapho 1900", Renée Vivien propose des textes saphiques à la sophistication parnassienne : "Je t’aime d’être, ô sœur des reines de jadis, / Exilée au milieu des splendeurs de jadis, / Plus blanche qu’un reflet de lune sur un lys…"
"Car j’osai concevoir / Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme, / Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir"
"Parle-moi", à la facture parisienne période début XXe siècle, voit surgir des épines derrière un splendide texte au désespoir naissant et inéluctable : "Parle-moi, de ta voix pareille à l’eau courante, / Lorsque s’est ralenti le souffle des aveux. / Dis-moi des mots railleurs et cruels si tu veux, / Mais berce-moi de la mélopée enivrante."
Dans "À l’amie", c’est une ode à une amante dont il est question, cette fois sur un rythme rock : "Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres. / Je te dirai des mots de passion, et toi, / Le rêve ailleurs, longtemps, de tes vagues yeux tendres, / Tu suivras ton passé de souffrance et d’effroi."
"Sans fleurs à votre front", l’un des plus brillants titre de cet album, se comprend autant comme le regret d’une amoureuse éconduite que comme une revendication assumée pour les amours saphiques : "Je ne suis point de ceux que la foule renomme, / Mais de ceux qu’elle hait… Car j’osai concevoir / Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme, / Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir".
Née à Londres en 1877 (Pauline Mary Tarn dans le civil), Renée Vivien a proposé un poème en anglais, "The Fjord Undine" : Pauline Paris s’empare courageusement de ce conte gothique et romantique consacré à une ondine, dans un esprit très fin de siècle : "By one far-off autumn evening, beheld I the long-dreamed-of water-maiden, Undine..."
Tout aussi lyrique et parnassienne, "Prolonge la nuit" est proposée par Pauline Paris dans une interprétation scandée, sombre et très contemporaine : "Prolonge la nuit, Déesse qui nous brûles ! / Éloigne de nous l'aube aux sandales d'or ! / Déjà, sur la mer, les premiers crépuscules / Ont pris leur essor".
Impossible enfin de ne pas parler de l’album de Pauline Paris sans parler de ce très bel objet littéraire, éditorial, musical et graphique, car ces "Treize poèmes" se présentent comme une œuvre totale mêlant le CD de la chanteuse française, les textes de Renée Vivien, des textes de présentation et les magnifiques dessins à l’encre d’Élisa Frantz. Pour ce très bel album, Pauline Paris s’est vue décernée le Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros 2020. Voilà qui est mérité.
Revoilà le norvégien Bjørn Berge dans ses nouvelles aventures blues, avec son dernier album, Heavy Gauge. Une jolie surprise pour cet un opus de neuf titres relativement court (45 mn environ).
Bjørn Berge, au micro et à la guitare, a fait le choix d’une orchestration brute, ramassée et efficace. Le grand blond norvégien est accompagné de Kjetil Ulland à la basse et Kim Christer Hylland au clavier et aux percussions. "The Wrangler Man" est un blues porté par la voix rocailleuse et inimitable du chanteur venu du nord et adulé bien au-delà de son pays.
C’est à Haugesund, ville de la côte ouest de la Norvège dont il est originaire qu’il a commencé à jouer de la guitare vers l'âge de 13 ans. Après avoir joué du bluegrass pendant plusieurs années, la révélation a lieu lorsqu'il découvre Robert Johnson, Elmore James, Leo Kottke et John Hammond Jr. qui seront ses influences majeures.
Comme dans les plus belles heures du blues
De sa voix caverneuse et sensuelle, Bjørn Berge propose du pop-blues de bon aloi avec des titres languides et à la profonde mélancolie, à l’exemple du titre "A Matter Of Time" ou de "Bottle Floats.
Comme dans les plus belles heures du blues, l’artiste alterne moments menés tambour battant ("Alone Again"), titres plus apaisés sentant la route poussiéreuse de la ceinture dorée ("Coliseum") et morceaux sombres et mélancoliques : "Bound Of Ramble" ou le superbe "Stray Dog".
Pour "I Got It Made", le Norvégien se fait plus rock and blues. Un rock dont Bjørn Berge ne se refuse pas d’arpenter les pentes les plus abruptes et sombres, à l’instar du survitaminé "Rip Off" ou de "Alone Again", plus pop-rock. Rien d’étonnant pour un guitariste avouant son admiration pour des artistes venus d’autres horizons, à l’exemple de Beck ou des Red Hot Chili Peppers.
Et puis, il y a toujours ce timbre viril qui ne peut pas laisser indifférent. Le chanteur s’en sert comme d’un vrai instrument dans l’étonnante dernière piste, "Bottle Float". Le bues se fait alors déchirant de sincérité et d’une indéniable modernité.
Avant de parler musique, il faut absolument parler de l’objet. Avec son dernier opus, Sorcières, Claire Gimatt propose un album incroyable dans sa conception. Outre le CD physique, Sorcières ce sont aussi 10 cartes conçues comme des cartes postales à envoyer à vos proches, votre famille, vos amis ou la personne que vous aimez. Le recto est une photo et au verso, la chanteuse a prévu des QR code pour chaque chanson, accompagnée des paroles.
Même le facteur, s’il est un peu curieux, pourra s’amuser à scanner en loucedé le code et profiter d’une chanson sur son portable. Bref. Faire de chaque chanson un objet et un cadeau à partager : ce n’était pas si sorcier que cela, mais il fallait y penser.
Musicalement, Claire Gimatt a fait le choix d’un album faisant la part belle aux voyages et à la poésie, avec le sens du détail, de la précision mais aussi du rythme ("Tu bats des cils").
L’album a été réalisé en collaboration avec le musicien-arrangeur Arthur Guyard qui mêle sons électroniques et acoustiques (piano, contrebasse, violon, guitare électriques, voix). L’univers de la chanteuse se dévoile par touches de couleur, à l’instar de "Dali", qui est une transcription d’une grande sensibilité de l’art du peintre espagnol: "Oh je saute dans le tableau de Dalí, là où les éléphants sont les reflets des cygnes".
Tout aussi surréaliste, "L’orme" se présente comme une ode pour un arbre aventurier, "la nuit quand le monde dort". L’auteure part à la poursuite de cet arbre insaisissable : "Attends-moi… Je cours derrière le majestueux centenaire. Je courrai jusqu’à perdre haleine pour que le jour jamais ne vienne." Rarement un chant d’hommage à la nature n’aura été aussi poétique et onirique.
Claire Gimatt n’est pas une artiste à se laisser enfermer dans des cases. Elle va puiser jusque dans l’Antiquité ses créations, lorsqu’elle rend hommage à ces femmes oubliées des anciens temps, avec le délicat et comme suspendu "Les pleureuses".
Un album incroyable dans sa conception
C’est la patte féministe de Claire Gimatt, visible également dans "L’aviatrice". La chanson a été écrite en hommage à Amelia Earhart, la première femme à avoir traversé l’Atlantique, et disparue en mer en 1937 à l’âge de 40 ans. Ce titre poignant nous parle aussi d’une aventurière taiseuse et dont l’univers se limitait à une étroite cabine de pilotage.
Aventure encore, cette fois en mer, avec "Marine", dans un texte riche et visuel : "Marine prend le large / Divine sur la houle / L’orage gronde le vent tourne / Mais Marine est barge / Marine borde la grande voile / Elle part à la chasse au monstre / Au kraken, la pieuvre aux naufrages / Qui change les navires en sable".
Nous parlions de féminisme à travers le personnage d’Amelia Earhart et, dans une moindre mesure, des pleureuses. Claire Gimatt aborde ce sujet d’une manière étonnante avec le titre "Sorcières" qui donne son nom à l’opus. On sait que les sorcières sont revenus en odeur de sainteté ces dernières années. Symbolisant à la fois la femme libre et persécutée, elles ont une forte portée symboliste féministe. Claire Gimatt prend à bras le corps ce personnage légendaire pour en faire le sujet d’une très belle ode : "Je cherche la sorcière / Des sous-bois / Celle qui enchante l’hiver / Prends-moi dans tes bras / Puissante la sorcière m’a rendu la voix".
Il est encore question d’une femme rejetée dans "La baronne". La chanteuse, de son timbre à la Barbara, y fait le portrait touchant d’une aristocrate "déchue, un fantôme".
L’auditeur sera sans doute étonné par l’avant-dernier titre, "Dans le noir". Cet étrange morceau personnel traite du besoin de rester dans le noir, "tapie dans l’ombre", loin de la lumière, "pour voir hors scène". La chanteuse s'en explique en off : "Je songe parfois combien il me plairait unifiant mes rêves de créer une vie seconde et ininterrompue où je passerais des jours entiers avec des convives imaginaires… Tout obéirait à un rythme de fausseté voluptueuse."
Sorcières se termine avec "Grain de nuit". Dans ce nouveau portrait d’un "joli brun de fille au gilet rouge sombre", Claire Gimatt choisit une facture pop et plus urbaine, mais sans renier son lyrisme. Et tout ça avec un joli brin de voix, fragile comme un souffle de vent d’été finissant.
Évidemment, The Forgotten Memory of the Beaches, le dernier album de Captain Rico & The Ghost Band renvoie aux belles heures des plus célèbres garçons de la plage de l’histoire du rock que sont les Beach Boys. Le premier album du groupe de rock français est composé de 12 titres instrumentaux en hommage à la surf music : normal pour ces trois Basques passionnés par ce sport et cette culture, et vivant non loin de la côte atlantique.
L’opus s’ouvre sur le coloré "The Forgotten Memory Of The Beaches", derrière lequel se lit l’insouciance, la nostalgie, la mélancolie mais aussi une bonne dose de joie de vivre. On pense aussi au morceau "The Giant Turtle Is The Memory Of The Beaches".
Tout l’album n’est qu’hommage à cette période de la fin des années 50 et du début des années 60, bercée par la surf music. Ne manquent ni les guitares fiévreuses, ni les réverbérations, les ni les rythmes endiablés et encore moins la plage et le soleil californien ("Running In The Wind", "Epic Wave").
On trouvera également une brillante inspiration au "Misirlou" de Dick Dale ("Tame The Wave"), que les amateurs de Pulp Fiction auront reconnu dès les premières mesures.
Tout l’album n’est qu’hommage à la surf music
Il y a une étrangeté dans cet album d’une autre époque mais balançant entre les sixties et la première moitié du XXIe siècle, comme si les Captain Rico se faisaient un bon shoot spatio-temporel ("The Drunk Shake"). Mais l'hommage n’empêche pas l’inventivité et l’apport de sons venus de ce siècle-ci afin que l’inspiration ne se transforme pas en pastiche encroûté. C’est l’électronique de "Giant Turtle", le rock progressif de "Hang-Glider"ou les guitares saturées et lo-fi de "V8 Interceptor".
Avec "The Lost Lagoon", nous voilà cette fois dans une voyage au long cours exotique mais aussi étrange sur une île paradisiaque, bien loin de la Californie ou du Nouveau Mexique de "Mexican Road Trip".
Le terme de nostalgie n’est pas galvaudé pour cet étrange album qui nous rappelle que les Beach Boys reste l’un des groupes les plus géniaux de l’histoire du rock et auquel les trois garçons basques de Captain Rico rendent hommage avec un mélange d’aplomb et de regrets ("The Engulfed Monastery").