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Bla Bla Blog - Page 27

  • Adieu, Tintin ?

    Il a souvent été question de Tintin dans Bla Bla Blog. Ce personnage de bande dessinée, invention géniale du dessinateur belge Hergé, n’en a pas terminé de susciter commentaires, exégèses et études (près de 600 essais depuis la mort d’Hergé en 1983). Voilà ici un nouvel avatar de cette passion incroyable. Il s’agit d’un recueil d’interviews de Renaud Nuttiez. Demain Tintin ?, sous-titré Entretiens avec "7 fils de Tintin" (éd. 1000 Sabords).

    L’auteur a interrogé sept passionnés du journaliste à la houppette. Le plus connu est Albert Algoud. Il y a aussi Jean-Marie Apostolidès, le biographe Pierre Assouline, les moins connus Philippe Goddin et Jacques Langlois, et enfin les références en la matière que sont Benoît Peeters et Numa Sadoul, auteur d’une série d’entrevues avec Hergé devenues essentielles pour connaître l’auteur de BD. L’ouvrage est précédé d’une préface d’un tintinophile célèbre, Hubert Védrine. Que des hommes, donc. Ce qui met déjà en avant un premier point faible de taille dans l'œuvre d'Herge : la quasi absence de femmes passionnées, et même de personnages féminins importants parmi la galerie tournant autour de Tintin – hormis la Castafiore "castratrice".

    Aucun album original et des produits dérivés hors de prix

    L’un des points forts de l’ouvrage est d’interroger ces sept "fils de Tintin" avec des questions identiques : Comment ont-ils découvert Tintin ? Peut-on apprécier Tintin à plus de 40 ans ? Faut-il contextualiser des albums d’Hergé, à l’instar de Tintin au Congo ? Quelle pérennité Tintin peut-il avoir dans quelques dizaines d’années ? S’ajoutent des questions sur la jeunesse d’Hergé, sur des rumeurs concernant sa jeunesse, sans oublier un sujet des plus débattu, celui des droits du dessinateur belge et de l’absence d’albums depuis la mort de ce dernier en 1983.

    Les fans d’Hergé ne manqueront surtout pas se procurer cet ouvrage à la fois nostalgique, vibrant chant d’amour pour un personnage et une œuvre majeure, et en même temps constat que Tintin est devenu un personnage mythique mais aussi figé (nous n'utiliserons pas le terme de "poussiéreux") qui n’a pas su renouveler son public. Les interviewés avouent presque tous qu’il est difficile d’être captés par Tintin passé quarante ans. Faute de nouvelles aventures du reporter belge, les enfants et les adolescents actuels ne sont plus réceptifs à ces livres maintenant datés de plus de 50 ans.

    Pire, les ayant droits ont tellement verrouillés juridiquement une création juteuse, avec aucun album original et des produits dérivés hors de prix, qu’il paraît difficile que Tintin ne devienne autre chose qu’un grand classique de la littérature, sans nouvelle aventure, au contraire de Spirou ou Blake et Mortimer. Il reste peut-être quelques raisons d’espérer : le film Le Secret de la Licorne en motion-capture de Steven Spielberg – certes imparfait – ou les expositions immersives proposées par la Fondation Culturespaces et Tintinimaginatio. Quant à un futur album, seul Numa Sadoul y est favorable et voit une leur d’espoir de ce côté. Espérons qu’il ait raison car il est temps sans doute qu'un nouveau dessinateur prenne la suite d'Hergé pour faire revivre le célèbre reporter belge.   

    Renaud Nattiez, Demain Tintin ?, éd. 1000 Sabords, 2024, 184 p.
    https://www.editions-1000-sabords.fr

    Voir aussi : "Exégèse tintinesque"

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  • Gnôle, mômes et mots

    Voilà une passionnante BD consacrée à l’une des figures les plus marquantes de la littérature contemporaine. Michele Bonton pour le scénario et Letizia Cadonici au dessin proposent en ce début d’année une bande dessinée consacrée au poète et romancier américain Charles Bukowski (Bukowski, De liqueur et d'encre, éd. Petit à Petit). Martin Boujol le complète avec un dossier documentaire.

    Beaucoup se souviennent certainement d’un numéro de l’émission littéraire Apostrophe en 1978. L’auteur américain est invité par Bernard Pivot dans cette émission culturelle très prisée. L’écrivain américain, alcoolique notoire, vient y parler de son dernier roman, Women. Au bout de trois bouteilles, Bukowski déraille, bafouille et soulève la robe de sa voisine avant d’être éjecté en direct par l’animateur. Succès médiatique – et de librairie – assuré dès le lendemain.

    Cette anecdote est pourtant très réductrice, tant l'œuvre et la vie de l'écrivain américain n'est pas uniquement à résumer à ces termes : alcool et sexe. Voilà une excellente idée de proposer ce roman graphique en hommage à cet homme qui aurait 102 ans cette année.

    Une œuvre incroyable, saluée partout et étudiée jusque dans les universités

    Charles Bukowski est une personnalité hors-norme, comme le prouve la formidable BD de Michele et Letizia Cadonici. Porté sur la bouteille, homme à femmes, instable et artiste maudit, pour ne pas dire marginal, Bukowski a pourtant laissé une place déterminante dans la littérature américaine.

    Battu par son père, mal-aimé par sa mère, le futur auteur des Contes de la Folie ordinaire commence son existence rejeté. De petits boulots en bars, Bukowski ne trouve un peu de consolation qu’entre les bras de femmes aussi paumées que lui, dont des prostituées. Letizia Cadonici ne cache pas quelques scènes bien épicées, dont sa première relation sexuelle avec une femme qu’il a draguée dans un bar – bien sûr... On laissera le lecteur savourer une scène des plus savoureuses.

    Au scénario, Michele Bouton ne va pas par quatre chemin pour faire le portrait d’un homme peu amène avec ses conquêtes, même s’il nouera une relation de 10 ans avec Jane, se mariera Barbara Frye, éditrice fortunée chez Harlequin et aura même un enfant et une vie (presque) normale avec Frances Smith avec qui il aura d’ailleurs une petite fille.

    Écrivain écorché vif, Bukowski est découvert sur le tard par l’éditeur John Martin qui lui propose un contrat en or et publie son œuvre. Nous sommes en 1966. La suite, c’est une histoire de succès littéraires, jusqu’à Hollywood. L’homme trouve par la suite le bonheur dans les bras de sa dernière compagne, Linda Lee Beighe.

    Il reste aujourd’hui une œuvre incroyable, saluée partout et étudiée jusque dans les universités. Une sacrée revanche pour un artiste qui avait connu la misère, le rejet, les jobs mal payés et la marginalité. "Ses travaux s’adressent aux solitaires, aux déchets de la société, à tous ceux qui ont perdu espoir" lit-on dans un des nombreux focus.    

    Michele Bonton, Martin Boujol et Letizia Cadonici, Bukowski De liqueur et d'encre,
    éd. Petit à Petit, 2024, 160 p. 

    https://www.petitapetit.fr/produit/bukowski
    http://charlesbukowski.free.fr
    https://bukowski.net

    Voir aussi : "Charles Bukowski, affreux de la création"
    "Ivre de vers et d’alcool"

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  • Hors Saison

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Hors Saison. Il sera visible du 3 au 9 avril 2024. Soirée débat le mardi 9 avril à 20 heures 30.

    Mathieu habite Paris, Alice vit dans une petite cité balnéaire dans l’ouest de la France. Il caresse la cinquantaine, c’est un acteur connu. Elle a dépassé la quarantaine, elle est professeure de piano. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps est passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Quand Mathieu vient diluer sa mélancolie dans les bains à remous d’une thalasso, il retrouve Alice par hasard.

    Hors Saison, mélo français de Stéphane Brizé
    avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher et Sharif Andoura, 2024, 115 mn 

    scénario : Stéphane Brizé et Marie Drucker 
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1435
    https://www.unifrance.org/film/57229/hors-saison

    Voir aussi : "Un été afghan"

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  • Un été afghan

    Les Cramés de la  Bobine présentent à l'Alticiné de Montargis le film Un été afghan. Il sera visible du 3 au 9 avril 2024. Soirée débat le lundi 8 avril à 20 heures 30.

    En 1960, le cinéaste James Ivory s’est rendu en Afghanistan pour tourner des scènes destinées à un film documentaire. Le film n’a jamais été réalisé, et les images sont restées enfermées dans une malle pendant 60 ans. En 2022, à l’âge de 94 ans, il a décidé de se plonger dans ce matériel unique pour se remémorer sa jeunesse et comprendre ainsi comment ce voyage improbable loin de sa petite ville américaine de l’Oregon a contribué à former le célèbre cinéaste qu’il est devenu.

    Un été afghan, documentaire américain de James Ivory, 2024, 72 mn
    Titre original : A Cooler Climate
    https://www.cramesdelabobine.org/spip.php?rubrique1438
    https://carlottafilms.com/films/un-ete-afghan

    Voir aussi : "Nuit noire en Anatolie"

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  • 5 femmes

    L'album Filiations du label Présences Compositrices est consacré à trois compositrices. La plus connue, Nadia Boulanger (1887-1979), côtoie Elsa Barraine (1910-1999) et Henriette Puig-Roget (1910-1992). En dépit de leurs états de service – compositrices, instrumentistes hors pair, pédagogues et toutes trois Prix de Rome – c’est le silence ou, au mieux, le dédain poli qui ont fait écho à leur carrière. Injuste ! Une injustice que proposent de réparer deux autres femmes, la soprano Clarisse Dalles et la pianiste Anne Le Bozec. Elles interprètent un choix de chansons et d’airs de ces trois musiciennes du XXe siècle que beaucoup d’entre nous découvrons ici. Il était temps.  

    La première compositrice qui a l’honneur de cet album est Nadia Boulanger. Sa sœur Lili Boulanger a certes eu droit à la postérité grâce à ses mélodies régulièrement jouées. Ce n’est pas le cas pour Nadia. Clarisse Dalles et Anne Le Bozec sortent de l’ombre trois chansons à la facture très musique française du début du XXe siècle. Nadia Boulanger a mis en musique deux poèmes de Camille Mauclair (le cruel et romantique "Elle a vendu mon cœur", "Le couteau") et des textes de Verlaine ("Soleil couchants"), Georges Delaquys ("Les lilas sont en folie") et un "Cantique" de Maurice Maetelinck. L’auditeur s’arrêtera sans doute sur ce dernier titre à la fois mélodieux délicat et d’un fort mysticisme ("A toute âme qui pleure / A tout péché qui passe / J’ouvre au sein des étoiles / Mes mains pleines de grâce"), puisqu’il est tiré de Sainte Béatrice, écrit en 1900 par l’écrivain belge. Cette chanson lumineuse est contrebalancée par le sombre "Couteau" ("J’ai un couteau dans l’cœur / - Une belle, une belle l’a planté").

    Passons à Elsa Barraine qui est la première grande découverte de cet album de Présences Compositrices. Il faudrait une chronique entière sur elle pour parler de son parcours : élève de Dukas, Prix de Rome à 19 ans pour une cantate consacrée à Jeanne d’Arc (La Vierge guerrière), elle devient une instrumentiste demandée et chef de chœur, en même temps qu’elle s’engage pour la culture populaire en pleine période du Front Populaire. Communiste, elle s’engage dans la Résistance en pleine seconde guerre mondiale. Après la Libération, son engagement est intact alors qu’elle devient une compositrice de musiques de film et de pièces de théâtre (ses commanditaires se nomment Jean Grémillon, Jacques Demy, Charles Dullin ou encore Jean-Louis Barrault). 

    Sacrée découverte !

    Ce sont ici cinq chansons d'Elsa Barraine qui sont proposées. On est frappé par la diversité des influences. À une mise en musique très classique du premier Nobel de Littérature Sully Prudhomme ("Ne jamais la voir") succède un poème d’Armand Foucher ("Pastourelle"). On entre ici dans la modernité et, musicalement, Erik Satie dans la retenue et Olivier Messiaen dans la composition moderne, ne sont pas loin dans ce texte bucolique et régionaliste : "Paissez mes moutons dans la plaine, / La bonne herbe de la Lorraine, / Mes beaux moutons blancs".  Plus étonnant, c’est l’auteur chinois du VIIIe siècle Xuanzong qui a les honneurs de la compositrice avec un "Chant des marionnettes". Dans cette chanson courte (moins de deux minutes), Elsa Barraine s’amuse du rythme syncopé, à la fois hommage à la culture chinoise et plongée dans la musique contemporaine dans ces années de composition bouillonnantes (1934 et 1935). Autre audace moderne encore avec cette fois une mise en chanson à la facture musique française du XXe siècle de deux textes… de l’écrivain, poète et musicien indien Rabindranath Tagore. Ce sont les délicieux airs "Je suis ici pour te chanter des chansons" (Tagore n°15) et "Je ne réclamerai rien de toi" (Tagore n°54). Les couleurs, les nuances, les rythmes et la voix claire de Clarisse Dalles montrent l’audace d’Elsa Barraine, compositrice hardie, passionnante, romantique et même romanesque. Une sacrée découverte !    

    Henriette Puig-Roget a les honneurs de la seconde moitié de l’album avec un inédit, le cycle Le temps de la solitude, publié à la SACEM en 1942. La compositrice a mise en musique douze mélodies sur L’Offrande lyrique de Rabindranath Tagore – de nouveau –, poèmes qui avaient été traduits par André Gide. On navigue dans ces chansons mystérieuses où la nature omniprésente reflète les tourments exprimés par Clarisse Dalles et Anne Le Bozec. Ce sont les saisons éphémères, les "vagues bruyantes" ("Absence", Tanagore n°21), les lourds nuages et la plage déserte ("Plante", Tanagore n°18), les nuits d’orage et la "menaçante forêt" ("Orage", Tanagore n°23) ou "la pluvieuse obscurité de Juillet" ("Séparation", Tanagore n°84). On peut bien parler de naturalisme musical dans cette œuvre singulière qui sert de pont entre un classique de la littérature indienne et la musique française moderne. Clarisse Dalles au chant et Anne Le Bozec au piano choisissent la simplicité dans cette œuvre aux mille couleurs. La modernité de Henriette Puig-Roget est évidente dans cet opus que l’on découvre, à la fois d’une contemporanéité réelle et aux vagues mélodiques touchantes (le délicieux "Promesse", Tanagore n°44).

    Audacieuse, Henriette Puig-Roget l’est tout autant dans l’étonnant "Éveille-toi". Elle s'inspire là encore du poète indien Rabindranath Tagore (Tanagore n°55). Elle en fait un titre énergique, insistant, rythmé, typique de cette période de composition à la fois sombre (nous sommes en 1942) et riche de ses recherches musicales. Il semble contrebalancé plus loin par l’onirique et debussyen "Sommeil" (Tanagore n°47). On invitera l’auditeur à se procurer l’album dans sa version physique afin de découvrir les textes poétiques du Prix Nobel de Littérature indien. On peut penser à ce texte tiré de la chanson "Là-bas", Tanagore n°63 : "Tu m’as fait connaître à des amis que je ne connaissais pas. Tu m’as fait asseoir à des foyers qui n’étaient pas le mien. Celui qui était loin, tu m’as ramené proche et tu as fait un frère de l’étranger."

    L’altruisme, la générosité et l’amour (le vibrant et joyeux "Toi seul", Tanagore n°38). Tels sont les thèmes centraux de ce cycle. L’ambition littéraire de ces poèmes mis en musique est évidente, que ce soit dans "Le Bien véritable", Tanagore n°17 ou le sobre hommage à un "intime" ("Lui", Tanagore n° 72). L’œuvre d’Henriette Puig-Roger – ainsi que l’album – se termine avec la chanson "Évasion" (Tanagore n°42). C’est une invitation au voyage que propose le génie indien et la compositrice française en touches impressionnistes. Cette ode à la nature et à la liberté est aussi un bouleversant chant sur notre mort inéluctable : "N’est-il pas temps de lever l’ancre ? Que notre barque avec la dernière lueur du couchant s’évanouisse enfin dans la nuit".

    Filiations, Nadia Boulanger, Elsa Barraine et Henriette Puig-Roget, Filiations, Clarisse Dalles (soprano) et Anne Le Bozec (piano), Présence Compositrices, 2024
    https://www.presencecompositrices.com

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Compositrices et compositeurs, une frise chronologique"

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  • Le dîner

    roman,confrérie,danemark,diner,herman kochDeux couples ont rendez-vous pour un dîner dans un restaurant très sélect d’Amsterdam. Le lecteur apprend très vite que deux de ses convives, Paul et Serge, sont des frères, accompagnés de leurs compagnes respectives, Claire et Babette.

    L’objet de ce dîner nous sera révélé au fur et à mesure des pages. Sans dévoiler l’intrigue (pour avoir la surprise, évitez de lire le résumé en 4ème de couverture !), disons simplement qu’il sera question d’un problème familial et de la manière de le résoudre…

    Un excellent roman néerlandais (et best-seller) qui nous fait entrer avec un ton grinçant dans la vie d’une famille apparemment ordinaire. 

    Herman Koch, Le Dîner, éd. Belfond, 2011, 330 p.
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2012/09/13/25098763.html
    https://www.lisez.com/ebook/le-diner/9782714451217

    Voir aussi : "La meilleure part des hommes"

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  • Traits noirs très, très noirs

    "Quand je vois un Franquin, par exemple, je me dis : « Mais comment peut-on nous comparer ? Lui, c’est un grand artiste, à côté duquel je ne suis qu’un piètre dessinateur »". C’était Hergé qui disait cela au micro de Numa Sadoul, dans les années 70. Une parole sincère et éloquente qui dit beaucoup de l’importance du créateur de Gaston Lagaffe. Nous en avions parlé dans une chronique sur une récente biographie de Bob Garcia.

    Un livre de Franquin a en particulier l’admiration des amoureux et spécialistes de la bande dessinée. Il s’agit des Idées noires que les éditions Fluide Glaciale proposent depuis 2020 dans une version intégrale. À découvrir ou redécouvrir donc.

    Franquin disait dans une interview que ses Idées noires, c’était "du Gaston Lagaffe trempé dans la suie". Voilà qui est joliment dit pour ces planches au noir et blanc contrasté dans lequel les personnages sont réduits à des silhouettes, mais des silhouettes dessinées avec une précision d’horloger. 

    Franquin, artiste aussi doué qu’hypersensible et profondément pessimiste sur la nature humaine, a jeté sur le papier ses tourments

    Au départ de ces saynètes il y a une série de publications dans l’éphémère Trombone illustré. Par la suite, Gotlib propose de reprendre l’aventure artistique en ouvrant les pages du magazine Fluide glacial à ces histoires qui montrent que Franquin n’est pas juste le dessinateur de Gaston ou de Spirou.

    Ces Idées noires parlent de la nature humaine dans toute sa cruauté. Il y est question de violence, de guerres, de la peine de mort, de bêtise cruelle, de fin du monde et des gens de pouvoir. Franquin aiguise son arme favorite qu’est le crayon contre les chasseurs, les militaires, les religieux, les bourreaux ou contre la corrida.  

    Franquin, artiste aussi doué qu’hypersensible et profondément pessimiste sur la nature humaine, a jeté sur le papier ses tourments, pour ne pas dire ses idées dépressives. Cela donne au final un album considéré par certains comme "la meilleure BD de tous les temps". C’est certes un peu exagéré, mais cela n’empêche pas que la lande dessinée proposée ici appartient aux grands opus du genre.

    Franquin, Idées noires - L'intégrale complète, éd. Fluide Glacial, 2020, 80 p.
    https://www.fluideglacial.com/bd/franquin/idees_noires/idees_noires_-_l_integrale_complete

    http://www.franquin.com

    Voir aussi : "Franquin, ce génie méconnu"

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  • Tirer le bon numéro

    Et si finalement la vie ne serait qu’une loterie, du moins essentiellement ça ? Tel est le thème du dernier livre de Delphine Bell, justement nommé Loterieditions du Flair).

    Chroniques, roman, récit autobiographique ou, mieux, autofiction ? Il y a sans doute de tout cela à la fois. L’auteure avait parlé dans ses précédents romans de la mort de son père (Roi et Toi), de sa mère (Dernière Liberté), avant de consacrer un journal sur son année de confinement (Inattendu) où sa famille, encore une fois, avait une place de choix. On n’est pas donc étonné qu’avec son dernier opus, Delphine Bell arpente son destin mais aussi les relations à la fois tendres, complexes et cruelles autour de ses parents, de son frère mais aussi – un peu – de son couple et de ses amis.

    En trente-quatre chapitres plus un épilogue, l’écrivaine s’intéresse à des chiffres, celui d’un ticket de loterie qui vient basculer une vie. Elle s’interroge dans le "Pré-prologue" (sic) : "La vie est-elle une loterie ? J’écris sur le sens, l’extraordinaire qui se mêle à l’ordinaire, l’intime à l’universel".

    Le livre commence là, avec des chapitres qui, chacun à sa manière, établissent ces moments de la vie où le hasard vient rythmer notre existence, un hasard que nous devons approprier, pour ne pas dire gérer. L’auteure se base sur sa propre existence, ses origines, sa nationalité, ses rêves d’enfance et d’adolescence, ses ambitions d’auteure, mais sans oublier les drames familiaux. Il y a aussi ces loteries inattendues pour une femme qui revendique ce "livre feel-good". Plusieurs chapitres sont en effet consacrés à la "loterie du bien-être et du zen". La narratrice profite d’une fortune lui tombant du ciel pour aller quelques jours à Cabourg avec son frère. Elle y parle de la "loterie de la thalassothérapie" et du "développement personnel". Delphine Bell se révolte contre des faux mages qui semblent prescrire "une vie avec du bon détergent". Sa réaction est cinglante : "Soyez un robot, un duplicata d’une fausse sérénité qui abrutit et surtout génère une montagne de bénéfices. Une secte de la plénitude établie et très rentable".

    On est reconnaissants à Delphine Bell de n’être pas tombée dans les pièges de la littérature feel-good

    On est reconnaissants à Delphine Bell de n’être pas tombée dans les pièges de la littérature feel-good. Elle n’est jamais aussi convaincante que lorsqu’elle se confie sur ses faiblesses, vraies ou supposée ("trop gentille"), sur ses blessures (la mort de ses parents), les instants qui la font chavirer (les amies) et ses cris de souffrance lorsqu’elle écrit à quel point sa mère lui manque. "La douleur m’a-t-elle fait grandir ?" finit par s’interroger Delphine Bell dans un des derniers chapitres, non sans perplexité d’ailleurs.

    Loterie navigue entre promenade littéraire, passé et présent, rêve et réalité, monologues et conversations autour du "jeu du hasard". Une question est posée : "Qui a la roulette de la chance définitive ?" Cette interrogation  devient cruelle lorsque l’auteure, sans citer son nom, parle de Gaspard Ulliel, un acteur à qui tout réussissait, qui fascinait dès son entrée dans une pièce, un homme comblé et décédé subitement d’un banal accident de ski.

    Femme de lettres, Delphine Bell avoue son mépris des chiffres ("Absurdes, innombrables, presque vulgaires") et la loterie ("Une coterie"). Elle préfère largement se réfugier dans la philosophie ("C’est thérapeutique") mais aussi et surtout l’art, comme le montre la visite du musée de la faïence de Sarreguemines ("La mémoire élargit, et je trouve dans l’art un socle vertigineux. Je fouille, encore et encore"). Elle écrit encore : "Je m’y love avec facilité", même si l’art ne parvient pas à apaiser sa "faim".

    La nostalgie sourd à chaque page de ce joli livre riche de ses digressions et de ses phrases poignantes : "Maman… Attends, j’ai encore des choses à te dire. S’il te plaît, attends…" Une phrase magnifique qui prend à la gorge. On sent Delphine Bell apaisée dans les deux dernières pages de son voyage entre réel et imaginaire. Et si la solution était dans la création, l’art, l’écriture, "l’invention", mais aussi l’humour, le soin aux autres et la tendresse ? "Allez, vous reprendriez peut-être un paquet d’amour, non ?"

    Delphine Bell, Loterie , éd. du Flair, 2024, 191p.
    https://www.editionsduflair.fr/tous-nos-livres/loterie
    http://intelligently-sexy.centerblog.net
    http://intelligently-fashionable.blogspot.com

    Voir aussi : "Bas les masques"
    "Rien n’est écrit d’avance"

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