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classique

  • Bouquets de Fauré

    Pour terminer cette année 2024, quoi de mieux que de le faire avec Gabriel Fauré dont nous fêtons les 100 ans de sa mort. Une "Année Fauré", donc, et qui mérite ce Florilège proposé par Indésens. Les enregistrements proposés sur 2 CD s’étalent sur 50 ans, de 1974 à 2024.  

    La première partie de l’album est constituée du Quatuor pour piano et cordes n°2 op. 45 et de la première Sonate pour violon op. 13. Ces œuvres ont été enregistrées entre 2017 et 2024.

    Gabriel Fauré, dont la musique est parfois considérée à tort comme mièvre et trop classique, surprend par sa franche énergie et son audace romantique dans le Quatuor op. 45. L’ensemble constitué par Lauriane Corneille (piano), Hugues Borsarello (violon), Arnaud Thorette (alto) et Raphaël Perraud (violoncelle) restituent de concert la densité de cette pièce de 1886, en particulier l’Allegro molto moderato. La jeunesse, la vivacité et l’audace de l’Allegro molto frappent aux oreilles. On peut aussi parler d’efficacité du langage comme du sens mélodique du compositeur français. Ringard et dépassé, Fauré ? Sûrement pas à l’écoute du troisième mouvement Adagio ma non troppo, mystérieux, raffiné, élégant mais aussi doué d’une singulière modernité avec son piano central dans le quatuor (le jeu inspiré de Lauriane Corneille fait particulièrement merveille). Le finale Allegro molto achève de nous convaincre de l’importance de cette pièce à la fois puissante et lyrique.

    Le premier CD est complété par la Sonate pour violon n°1 op. 13. Elle est jouée ici au violon par Tatiana Samouil, avec David Lively au piano. La gestation de l’œuvre a duré deux ans, de 1875 à 1877, avant de trouver sa forme définitive qui a immédiatement conquis le public. Fauré impose son style fait de recherches mélodiques, d’élégance mais aussi de virtuosité (Allegro molto). Il y a cette délicatesse et cette onctuosité propre à la musique française durant la Belle Époque (le léger et espiègle Andante). Fauré insuffle tout autant une fraîcheur bienvenue dans l’avant-dernier mouvement Allegro vivo avant un finale Allegro quasi presto, enlevé, joyeux et que le duo Tatiana Samouil-David Lively mène avec éclat.  

    De véritables tubes classiques

    La seconde partie de ce double-album de Gabriel Fauré est consacré à des pièces brèves, et pour certaines archi-célèbres. Mettons de côté le Chant funéraire op. 117, tardif (il a été composé en 1921), seul opus religieux de l’album et dont la retenue méditative renvoie à son chef d’œuvre qu’est le Requiem. Le Chant funéraire est ici proposé dans une version  de l’Orchestre d’harmonie des Gardiens de la paix, dirigé par Désiré Dondeyne. Mélodies et Romances dominent ce programme, dans des enregistrements s’étalant sur 50 ans. La harpiste Marie-Pierre Langlament et le violoncelliste Martin Löhr sont les interprètes majoritairement représentés.

    Le terme angliciste de best-of n’est pas galvaudé pour ce qui est un choix de musique de chambre, à telle enseigne que les curieux et curieuses désirant mieux connaître Gabriel Fauré seront bien inspirés de se précipiter sur ce double album, et en particulier sur le second CD passionnant.

    On image l’embarras pour ne pas dire le déchirement des programmateurs dans le choix des pièces. Remarquons cependant que la première Mélodie, op. 7 (Après un rêve), est proposée dans deux versions, l’une avec harpe et violoncelle (Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr), l’autre, plus éclatante, avec trompette et piano (Eric Aubier et Pascal Gallet).

    De véritables tubes classiques sont évidemment présents, que ce soit la troisième Romance sans paroles op. 17, avec Alexandre Gattet au hautbois et le pianiste Laurent Wagschal – que les fidèles de Bla Bla Blog connaissent bien maintenant. Autre pièce majeure, La Sicilienne op. 78, toujours avec Marie-Pierre Langlament à la harpe et Martin Löhr au violoncelle. Citons aussi le léger et gracieux Papillon op. 77. Cette pièce revient plus loin dans une étonnante version pour euphonium (Lilian Meurin) et piano (Victor Metral). N’oublions pas non plus la Fantaisie op. 79 aux allures de danse fantasmagorique, avec Vincent Luca à la flûte et Emmanuel Strosser au piano ou la Romance op. 69 – romantique et mélodieuse à souhait.

    Des Huit pièces brèves op. 84, cinq ont été choisies. Laura Bennett Cameron au basson accompagnée de Roger Boutry au piano en proposent deux, le Caprocioso de la n°1 et l’Improvisation de la n°5, adaptés pour cet instrument à vent séduisant et de plus en plus en vogue. Absolument immanquable ! Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr sont de retour pour la délicate Sérénade op. 98. L’Élégie op. 24 ne pouvait pas ne pas figurer sur l’album. Elle est proposée dans une version pour harpe et violon.

    Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr – encore eux – viennent conclure ce programme avec de nouveau les Romances sans paroles op. 17. Outre le retour de la 3e Romance, Andante moderato, figurent la 1ère Andante quasi allegretto et la 2e Allegro molto. Tout l’esprit de Fauré est là : lignes mélodiques irrésistibles et expressivité tout en retenue.

    Voilà un double-album capital pour découvrir ou redécouvrir la musique de chambre d’un compositeur capital. 

    Gabriel Fauré, Florilèges, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Bonnes chansons de Fauré"
    "Élégies pour Fauré"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • Compositrices entre classicisme et romantisme

    Le pianoforte est un instrument étonnant, gracieux, peu connu, et qui est a découvrir pour beaucoup dans cet étonnant album au nom pas moins singulier, Les dentelles à l’échafaud.

    Lucie de Saint Vincent propose dans cet opus un programme s’intéressant à deux compositrices oubliées (c’est la politique du label Présence Compositrices), à savoir Hélène de Montgeroult (1764-1836) et Marie Bigot de Morogues (1786-1820). Ces deux femmes ont vécu durant la période révolutionnaire, époque charnière à tout point de vue, notamment artistique et musical, ce qu’illustre le titre frappant et bien choisi de l’album.

    Une histoire raconte que, sous la Terreur, la compositrice et aristocrate Hélène de Montgeroult aurait sauvé sa tête de la guillotine en improvisant au pianoforte La Marseillaise devant ses juges. Vraisemblablement vraie, quoique enjolivée, cette anecdote illustre le caractère d’une femme courageuse et pugnace qui a su traverser les régimes, jusqu’à la Monarchie de Juillet. Musicalement, Hélène de Montgeroult s’appuie sur le classicisme du XVIIIe siècle, tout en un ayant un pas vers le romantisme.

    Bonne improvisatrice (ce qu'illustre l’épisode de sa Marseillaise face aux juges de la Terreur), Hélène de Montgeroult est présente dans l’album avec la Sonate en fa mineur, op. 1. Le Maestoso con Expressione et l’Allegro agitado permettent de découvrir une compositrice importante. Le jeu de la pianofortiste en rend l’élégance comme la gravité. La nostalgie d’une époque disparue transparaît dans le Maestoso con Expressione. Plus sombre et aventureux, l’Allegro agitado semble déjà entrer dans le romantisme. Lucie de Saint Vincent rend grâce à une musicienne sachant allier la douceur et la force, la tempérance et la passion, la délicatesse et la virtuosité. La Fantaisie en sol mineur op. 7 marque les esprits par la variété de ses thèmes : retenue, agitation, mélancolie, passion, sans oublier un travail mélodique qui rend cette œuvre rare si attachante.  

    Hélène de Montgeroult aurait sauvé sa tête de la guillotine en improvisant au pianoforte La Marseillaise

    Dans Les dentelles à l’échafaud, une seconde compositrice a les honneurs de Lucie de Saint Vincent. Elle a pour professeure Hélène de Montgeroult, ce qui rend pertinent leur présence dans le même album.

    Marie Bigot, moins connue que son aînée, a une vie et une carrière plus courte en raison de sa santé fragile. Née en 1786 en Alsace, elle décède à l’âge de 36 ans en 1820. Entre-temps, elle aura connu Haydn, Salieri et Beethoven. Elle est d’ailleurs l’une des premières interprètes de sa Sonate "Appasionata", interprétation qui impressionnera Beethoven lui-même ("Ce n’est pas moi tout à fait, c’est mieux que moi", se serait-il écrié). Lucie de Saint Vincent fait découvrir une Marie Bigot compositrice grâce d’abord à ses six Études.

    On peut remercie Lucie Saint Vincent d’avoir déniché ces œuvres frappantes de jeunesse et de passion (Étude n°1 en do mineur). Marie Bigot avait la réputation de posséder un excellent jeu pianistique, ce que Beethoven lui-même avait reconnu avec admiration. Lucie Saint Vincent y fait honneur grâce à son interprétation délicate autant que virtuose des 2e et 3e Études. Parlons de nouveau de la facture romantique de plusieurs Études, dont la n° 5 en ré majeur. La pianofortiste déploie ces morceaux avec un bel enthousiasme – et une réelle virtuosité.

    L’Andante varié en si bémol majeur op. 2 de Marie Bigot est le tout premier enregistrement de ce titre. Lucie Saint Vincent a découvert le manuscrit de l’œuvre en Allemagne. Là encore, la virtuosité du morceau frappe. L’Andante est chatoyant, joueur, mélodique et d’une harmonie toute mozartienne.

    Dernière découverte, la Sonate op. 1 en si bémol majeur. Sa composition s’étale sur 12 ans (1806-1818). Après un court Adagio en forme d’ouverture, les lignes mélodiques de Marie Bigot se déploient avec élégance dans un Allegro expressivo qui semble presque familier dès la première écoute – une sacrée découverte pour les couleurs de ce deuxième mouvement ! On retiendra la retenue de l’Andantino, tout comme ses décrochages légers. Place à la sérénité ici, avant un Rondeau d’autant plus plaisant qu’il s’inscrit dans le mouvement classique très XVIIIe siècle.  

    Décédée au printemps de sa vie, Marie Bigot ne peut que laisser d’immenses regrets. Son œuvre colorée et attrayante ne peut que laisser imaginer ce que la compositrice aurait pu produire avec le temps. On la découvre ici grâce au travail d’instrumentiste autant que de musicologue de Lucie Saint Vincent. Gros big up pour elle !   

    Marie Bigot & Hélène de Montgeroult, Les dentelles à l’échafaud,
    Lucie de Saint Vincent (pianoforte), Présence Compositrices, 2024
    https://www.presencecompositrices.com 
    https://luciedesaintvincent.com
    https://www.facebook.com/collectiftrytone
    https://www.instagram.com/luciedesaintvincent
    https://www.youtube.com/@LuciedeSaintVincent

    Voir aussi : "Rita Strohl en robe de chambre"

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  • Prières pour l’Ukraine

    L’Ukraine, martyrisée et en partie occuper par la Russie, méritait bien cet album à la fois artistique et humaniste, hommage aux victimes ukrainiennes de ce pays et appel à la liberté.

    Prayer for Ukraine (Phenotypic Recordings) a été imaginé par l’ensemble ukrainien Vivere String Quartet (avec Anna Bura et Dmytro Lysko au violon, Ustym Zhuk à l’alto et Dmytro Nikolayev au violoncelle) qui entendent bien défendre la musique classique ukrainienne ainsi que les compositeurs actuels de ce pays.

    Ajoutons que l’expression "Prayer for Ukraine" fait référence à son hymne national composé en 1885 par Mykola Lysenko sur un texte d’Oleksandr Konysky. Pour cet opus, les quatre musiciens et musicienne ont œuvré en dépit des dangers, des bombes, des exils forcés et des séparations avec leurs proches. Le résultat est ce cri en faveur de la liberté : "La liberté n'est pas acquise ; elle se mérite grâce aux efforts inlassables de ceux qui osent rêver d'un avenir meilleur ou, du moins, d'un « lendemain ». La poursuite de la liberté exige notre force et notre solidarité collectives".    

    Maria’s City (Mariupol) est un chant funèbre déchirant composé en 2022 par Zoltan Almashi, né en 1975. Ce titre fait référence à la cité ukrainienne détruite par l’armée russe après des mois de siège. Le titre lui-même a été composé à Kiev sous les bombes. Un autre titre de Zoltan Almashi est proposé : Carpathian Song, datant de 2019. Cette pièce a été écrite pour un Ukrainien en exil. L’âme de ce pays transparaît dans ce morceau mélancolique qui évoque le mal du pays. Zoltan Almashi fait se mêler le contemporain et la musiques folklorique, non sans l’influence du classicisme.  

    Victime directe de l’agression russe contre l’Ukraine

    Le quartet propose deux œuvres de Vasyl Barvinsky (1888-1963). Son style néo-romantique a été inspiré par ses voyages européens et en particulier à Prague. Sa carrière prestigieuse a été, hélas, stoppée net par la dictature soviétique, ce qui n’empêcha pas le musicien de préserver ses compositions dont beaucoup ont, hélas, disparu. Prayer, écrit en 1912 est le deuxième des deux mouvements nous restant de son Quintette pour piano et violon.

    Tout aussi classique, le String Quartet, datant de 1935 et complet, lui, puise dans des mélodies ukrainiennes. Le Largo séduit grâce à ses riches variations, ses couleurs et ses instants méditatifs grâce à un quartet uni comme jamais. Pour le bref Scherzo, Vasyl Barvinsky s’est inspiré de danses de son pays. L’Andante, court lui aussi (1 minute 46), se veut élégiaque, comme s’il y avait une urgence. "Dépêchons-nous de vivre" semble nous dire à l’oreille le compositeur. L’Allegro moderato vient conclure l’opus avec des danses folkloriques, dans une élégante facture néo-romantique.   

    Hanna Havrylets (1858-2022) a une place particulière dans ce programme. Elle est une victime directe de l’agression russe contre l’Ukraine car elle mourut au 3e jour de la guerre. Le Vivere String Quartet propose son bouleversant morceau To Mary qui a été composé en 2019. Impossible de ne pas rester insensible à ce qui est sans doute le plus beau titre de l’album. Un second morceau d’Hanna Havrylets, Expressions, vient conclure l’enregistrement. Écrit en 2004, de facture plus moderne et minimaliste, Expressions étire sur plus de 9 minutes quelques notes répétées, avec des accélérations, des suspensions, donnant à ce singulier titre une tension palpable.

    Grâce à ce passionnant et riche album, le Vivere String Quartet propose l’un des plus beaux hommages à un pays qui a bien besoin de l’art et de la musique pour défendre sa culture et son âme. Bravo !

    Vivere String Quartet, Prayer for Ukraine, Phenotypic Recordings, 2024
    https://www.facebook.com/viverequartet
    https://www.phenotypicrecordings.com/vivere-string-quartet

    Voir aussi : "Bach, suites"
    "Guerres et paix"

    Crédit photo © Eric Cheng

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  • Bonnes chansons de Fauré

    En cette année Fauré (le compositeur français est mort en novembre 1924), pour quelques jours encore, il n’est pas trop tard pour s’intéresser à un délicat album du duo formé par Jacques Herbillon, décédé en 2023, et Théodore Paraskivesco. Le regretté baryton et le pianiste franco-roumain proposent un programme de mélodies et de chansons, complétées par L’Horizon chimérique op. 118.

    Ne nous arrêtons pas, dit en substance le livret du disque, sur l’allure bonhomme de Gabriel Fauré et de ses œuvres d’une simplicité parfois austère. En réalité, le caractère bien trempé de l’auteur du célèbre Requiem était notable. Quant à ses mélodies, elles étaient goûtées et chantées avec bonheur dans l’Europe entière, y compris en Belgique, en Allemagne ou Angleterre où l’on s’en délectait particulièrement.

    Voilà pourquoi cet album proposé par  Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco est essentiel. Les deux musiciens mettent un point d’honneur à sortir de dessous les fagots des chansons et des mélodies à la facture musique française bien assumée.

    Le compositeur s’appuie sur les textes d’écrivains parfois connus (Victor Hugo, Paul Verlaine, Théophile Gauthier, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle Adam), parfois moins (Raymond Bussine, Paul de Choudens, Armand Sylvestre, Victor Wilder, Jean Richepin, Jean de la Ville de Mirmont).

    Les compositions de Fauré et les interprétations de Jacques Herbillon et Théodore Paraskivesco laissent à entendre le raffinement, y compris dans les poèmes les plus sombres (le poignant Au cimetière) et romantiques. Que l’on pense à L’Absent de Victor Hugo ("— Sentiers où l'herbe se balance, / Vallons, coteaux, bois chevelus, / Pourquoi ce deuil et ce silence ? / — Celui qui venait ne vient plus...").

    Le post-romantisme finissant est à l’œuvre dans ces chansons souvent brèves (elles dépassent rarement les trois minutes) et aux titres évocateurs : Aubade, Tristesse, Sylvie, Chanson d’amour. Fauré est un compositeur dont le travail harmonique a pu sembler décalé à la fin de sa vie, avec le surgissement du modernisme en musique. Une considération vite oubliée, tant le travail sur les mélodies continue à impressionner (Après un rêve ou le somptueux Noël). 

    Le travail de Gabriel Fauré sur les mélodies continue à impressionner

    L’auditeur s’arrêtera sur le mystérieux et parnassien poème de Sully Prudhomme, Ici-bas ("Ici-bas tous les hommes pleurent / Leurs amitiés ou leurs amours / Je rêve aux bonheurs qui demeurent / Toujours..."). Fauré le met en musique avec le tact artistique dont il est habitué, sans ostentation. On peut aussi parler de légèreté dans certains morceaux (Chanson d’amour), voire d’onirisme – et parnassien (La Fée aux chansons, Aurore, Le pays des rêves). N’oublions pas non plus l’orientalisme du poème Les Roses d’Ispahan ("Les roses d'Ispahan dans leur gaîne de mousse, / Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger / Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce, / O blanche Leïlah ! que ton souffle léger...").

    L’un des morceaux phares de ce programme est la mise en musique du Clair de lune de Verlaine, tiré des Fêtes galantes ("Votre âme est un paysage choisi / Que vont charmant masques et bergamasques / Jouant du luth et dansant et quasi / Tristes sous leurs déguisements fantasques..."). Fauré s’approprie les vers du poète français avec la délicatesse, la grâce et la simplicité qu’on lui connaît. Le piano de Thédore Paraskivesco déroule avec la même discrétion, tandis que Jacques Herbillon s’interdit toute effusion et choisit la pudeur et la retenue. Verlaine est encore présent dans ces Mélodies de Fauré avec son fameux Spleen ("Les roses étaient toutes rouges / Et les lierres étaient tout noirs. / Chère, pour peu que tu ne bouges, / Renaissent tous mes désespoirs. / Le ciel était trop bleu, trop tendre, / La mer trop verte et l'air trop doux. / Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre ! / Quelque fuite atroce de vous. / Du houx à la feuille vernie / Et du luisant buis je suis las, / Et de la campagne infinie / Et de tout, fors de vous, hélas !").

    Encore et surtout Verlaine avec La Bonne Chanson. Du recueil éponyme du poète parnassien, Fauré en a tiré neuf mélodies. Là encore, les chansons sont courtes (la plus longue fait un peu plus de trois minutes). Le compositeur français a dédié son œuvre à sa maîtresse Emma Bardac. Il est vrai que l’esprit romantique plane sur ces morceaux délicats mais non moins torturés ("J'allais par des chemins perfides, / Douloureusement incertain. / Vos chères mains furent mes guides").

    L’Horizon chimérique op. 118 vient clore cet album émouvant. Émouvant car, en plus d’être un hommage à Gabriel Fauré, il constitue un testament musical de Jacques Herbillon. Ce  cycle de mélodies est constitué de quatre mélodies écrites à la fin de sa vie, sur des poèmes de Jean de la Ville de Mirmont. Fauré fait ici de touchants adieux, avec toujours cette économie de moyens (Je me suis embarqué, Vaisseaux, nous vous aurons aimés). 

    Gabriel Fauré, Mélodies, Jacques Herbillon (baryton) & Thédore Paraskivesco (piano),
    Indésens Calliope, 2024

    https://indesenscalliope.com/boutique/faure-melodies

    Voir aussi : "Élégies pour Fauré"

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  • La croisière (militaire) s’amuse

    Coups de roulis, l’opérette en trois actes d’André Messager (1853-1929), nous entraîne dans un univers bien éloigné des intérieurs bourgeois parisiens des ces œuvres classiques des premières années du XXe siècle. Coups de roulis a été créée au théâtre Marigny en septembre 1928. Se basant sur un livret d’Albert Willemetz et Maurice Larrouy, le compositeur français situe son théâtre lyrique sur un croiseur de guerre, Le Montesquieu, à quelques jours de Noël.

    Les marins se réjouissent déjà de leur future permission et de ce qu’ils vont bien faire (l’entrée en la matière C’est Noël dans quelques jours…). La famille et surtout les fiancées et les filles de passage sont leurs principales préoccupations mais les projets sont anéanties à cause d'une visite impromptue : celle du haut-fonctionnaire Puy-Pradal ("Adieu, veau, vaches et cochons") venu enquêter sur le mauvais état de la marine française. La colère des militaires est réelle et ils entendent bien ne pas se laisser faire ("C’est lui qui paiera, Qui écopera / On lui apprendra / On lui montrera / Qu’on n’a pas le droit de faire / À des pauvr’s Permissionnair’s / Un’ blague aussi sévèr’ que ça !").

    Une femme arrive dans ce jeu de quille masculin : il s’agit ni plus ni moins que la fille du parlementaire, Béatrice, qui est aussi secrétaire "de son papa", Puy-Pradal himself. Alors que l’inspection de cet incapable commence, non sans les protestations de l’équipage lésé (Quand on n’a pas le pied marin, Acte 1), la sémillante secrétaire est courtisée par Gerville, le commandant du Montesquieu, mais aussi par le lieutenant Kermao qui ne la laisse pas insensible (le troublant et chavirant Duo du roulis).

    Évidemment, la romance (Ce n’est pas la première fois, Acte II) ne peut aller qu’en couacs, coups de roulis et arêtes coincés au fond du gosier, à commencer par la disparition impromptue du commissaire politique tombé dans la cave du navire (Finale de l’Acte I). Kermao voit également le commandant lui griller la politesse et entreprendre la jeune fille. 

    Une histoire de romances, de militaires contrariés et de coups de roulis politico-sentimentaux

    La suite de l’histoire passe par l’Égypte et voit l’arrivée de l’actrice Sola Myrrhis, ancienne maîtresse de Gerville, bien décidée à une conclure une union avec le politique Puy-Pradal afin de mener à bien ses projets artistiques à la Comédie Française. Fine tacticienne, elle compte sur l’aide de son ex-amant. Pendant ce temps, Béatrice continue à être courtisée par les deux officiers, Kermao et Gerville, ce dernier obtenant la bénédiction du père de la jeune fille. Tout ce petit monde va s’affronter, se séparer et finalement se réconcilier dans le troisième et dernier court acte, non sans voir la politique mettre un point final à ces amourettes et autres entregents.  

    Cette opérette, remise au goût du jour, est riche de ces airs que l’auditeur n’est pas prêt d’oublier, à commencer par le joyau qu’est Quand on a les femmes (Acte II), à la misogynie certes datée mais tellement irrésistible ("On peut être un très grand marin / Et manœuvrer un grand navire, / C’est bien plus dur, / J’ose le dire / De manœuvrer et de conduire / Un tout petit cœur féminin", Acte III). Parlons aussi de cet émouvant chant d’un officier déjà âgé constatant le temps qui passe (La quarantaine, Acte III).

    Pour cette opérette endiablée et peu connue, la représentation au Théâtre de l’Athénée en mars 2023 s’est malicieusement enrichie d’une voix off qui guide le récit, non sans la parsemer d’humour.  

    Il faut aussi saluer des interprètes (Jean-Baptiste Dumora, Philippe Brocard et la délicieuse Irina de Bachy dans le rôle de Béatrice) prenant à bras le corps l’opérette de Messager, insufflant dans cette histoire de romances, de militaires contrariés et de coups de roulis maritimo-politico-sentimentaux un mélange de légèreté et de convictions (le superbe air de Béatrice "Tous les deux me plaisent").

    Disons-le, il fallait une sacré audace pour proposer un enregistrement de cette œuvre lyrique beaucoup moins à l’eau de rose que ne le laisse suggérer l’histoire qui égratigne autant les hommes (Rondeau de l’Acte III) que les politiciens (Finale de l’Acte III). Il n’y avait sans doute qu’un seul compositeur français capable de proposer un théâtre lyrique mêlant facture offenbachienne (Finale de l’Acte II, Ensemble dans l’Acte III), musique naturaliste ("Voilà que je roule… je roule ci. Je roule là…", Acte I) et influences orientalisantes (Chœurs et couplets en ouverture de l’Acte II). Une sacrée découverte, récréative et pleine de légèreté. 

    Coups de roulis, opérette d’André Messager,
    livret d’Albert Willemetz et Maurice Larrouy, b•records, coll. Les Frivolités parisiennes, 2024

    Avec Jean-Baptiste Dumora, Philippe Brocard, Christophe Gay (baryton), Irina de Bachy, Clarisse Dalles (contralto), Orchestre et Chœur des Frivolités Parisiennes, direction Alexandra Cravero
    https://www.b-records.fr/coups-de-roulis
    https://www.facebook.com/B.recordsParis
    https://www.instagram.com/b.records 

    Voir aussi : "Beethoven, Intégrale, Première"
    "Oui, je suis la sorcière"

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  • Beethoven, Intégrale, Première

    Après une série de chroniques tour à tour sur un opéra contemporain âpre, tragique et terrible (Les Bienveillantes d'Hèctor Parra), puis sur du théâtre lyrique XXe siècle tombé dans l’oubli (La Sorcière de Camille Erlanger) et des pièces contemporaines italiennes des XXe et XXIe siècle (le formidable programme de Claudia Chan, Toccare), place cette fois à du classique de chez classique, en l’occurrence Ludwig van Beethoven et trois de ses Symphonies, la 1ère, la 2e et la 4e. Elles nous sont proposées par l’Orchestre Consuelo dirigé par Victor Julien-Laferrière à la baguette.

    Avec ce premier coffret, c’est une intégrale des Symphonies du génie allemand qui se construit, certes pas avec ses œuvres les plus célèbres. Mais n’est-ce pas un moyen de les redécouvrir – voire de les découvrir ? B.records, qui a fait du live sa spécialité, nous propose une captation impeccable à l’Abbatiale Saint-Robert lors du Festival de la Chaise-Dieu les 22 et 213 août 2023.

    En deux CD, nous voilà au cœur de ces monuments musicaux que Beethoven a commencé à composer finalement assez tardivement. À 30 ans, date de l’écriture de la première symphonie, il a déjà derrière lui quelques chefs d’œuvres de musique de chambre, dont ses trois premiers concertos pour piano. C’est un musicien aguerri qui voit en 1800 sa Symphonie n°1 op. 21, écrite un an plus tôt, être jouée en grande pompe à Vienne. La fougue mozartienne (sans compter le mouvement Menuetto, si caractéristique du XVIIIe siècle), l’influence de son maître Haydn, la virtuosité, la densité et les riches couleurs frappent aux oreille. À l’époque de l’écriture de la Symphonie n°1, le compositeur a les yeux tournés vers la France de Napoléon, personnage qui le fascinera longtemps avant qu’il ne lui tourne définitivement le dos.  

    Fougue mozartienne

    La Symphonie n°2 est composée un an plus tard. Le musicien est atteint des premiers symptômes de sa surdité, ce qui ne l’empêche pas d’écrire, et même d’écrire vite. Après la découverte mémorable de la première symphonie, celle-ci surprend moins. Enlevée, rythmée et tonique, elle reste paradoxalement peu jouée – sinon dans le cadre d’intégrales.

    On imagine les auditeurs de l’époque secoués malgré tout par le dynamisme de cette construction musicale menée par un Orchestre Consuelo franchement emballant. La direction de Victor Julien-Laferrière ne s’embarrasse pas de temps morts ou d’une revisite qui aurait été vaine. Cette 2e Symphonie est à écouter pour le deuxième mouvement Larghetto. Ample et mélodieuse, cette partie est le gros point fort d’une symphonie souvent poliment écoutée et encore fortement influencée par Mozart et Haydn, même si Beethoven commence déjà à s’en détacher. Il n’y a cependant pas encore ce souffle héroïque (le bref mouvement Allegretto) et romantique (Allegro Molto) que l’on trouvera dans la symphonie suivante, la 3e, "Héroïque", justement.

    Sombre majesté

    Le 2e CD est consacré à une seule symphonie, la 4e en si bémol majeur op. 60. C’est sur des notes funèbres que commence cet opus, plus long mais aussi plus mystérieux. Il y a une sombre majesté planant sur cette symphonie débutant singulièrement par un Adagio, un mouvement lent, certes, mais complété par un Allegro vivace, enjoué.

    Composée entre la Symphonie Héroïque – la 3e – et l’incroyable 5e (les fameux et populaires "pom pom pom pom" d’introduction), celle-ci semble se chercher. Marchant là encore sur les traces de ses brillants aînés – Mozart et Haydn – Beethoven l’écrit en 1806 sur une commande du comte Franz von Oppersdorff. Le compositeur propose là une œuvre de qualité, certes, mais n’ayant pas pour ambition de renverser la table. L’auditeur sera charmé par l’écriture subtile et mélodieuse, avec un deuxième mouvement Adagio paisible et plein de noblesse.

    Victor Julien-Laferrière conduit l’Orchestre Consuelo avec ardeur et sans se poser de questions sur cette Quatrième mal-aimée (car) coincée entre les deux monuments que sont la Troisième et la Cinquième. Saluons la technicité et la maîtrise du chef dans l’appréhension d’un troisième mouvement aux indications aussi précises que Allegro molto e vivace – Un poco meno allegro – Tempo primo ! Et si la "révolution Beethoven" était déjà en marche dans ces "symphonies paires", déroulant une cadence infernale et construites comme des machineries à la fois redoutables et profondément humaines ? Le dernier mouvement Allegro ma non troppo séduit par sa tonicité et sa puissance dramatique pour ne pas dire romantique.

    Voilà un premier volume passionnant, augurant une Intégrale alléchante.

    Beethoven : Intégrale des Symphonies, vol.1 – Symphonies N° 1, 2 & 4,
    Orchestre Consuelo, direction Victor Julien-Laferrière, b•records, coll Festival de la Chaise-Dieu, 2024
    https://www.b-records.fr/beethoven-symphonies-vol1
    https://www.orchestreconsuelo.com
    https://www.victorjulien-laferriere.com

    Voir aussi : "L’indicible en musique"
    "Oui, je suis la sorcière"
    "Touchés !"

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  • Bak et la Belle Époque 

    Un compositeur et une compositrice ont été choisis par le pianiste Louis-Victor Bak pour son nouvel album solo, sobrement intitulé Œuvres pour piano. Le premier est Claude Debussy, avec le cycle Images, en deux livres et composé en 1905. Louis-Victor Bak s’aventure sur une œuvre très représentative de Debussy, le compositeur qui a su le mieux mettre en musique l’impressionnisme.

    Pas d’esbroufe chez Bak mais un jeu tout en transparence (Reflets sur l’eau) et en délicatesse, même pour les moments plus sombres (le renversant Hommage à Rameau). L’auditeur sera tout autant séduit par les attaques du pianiste sur Mouvement, la troisième partie du Livre 1 d’Images dont la modernité frappe immédiatement aux oreilles.

    Le Livre 2 d'Images commence par une page de naturalisme, devenant onirisme sous les doigts du pianiste (Cloches à travers les feuilles, ou les fuyants et joueurs Poissons d’or). Impossible de ne pas s’arrêter sur ces moments où l’écoute devient méditation (Et la lune descend sur le temple qui fut). Il y a du zen dans ces Images au fort parfum exotique qui rend ce Debussy si intemporel et si universel.  

    En cette période de découverte de grandes compositrices oubliées, Louis-Victor Bak apporte sa pierre à l’édifice

    L’autre artiste à l’honneur est une quasi inconnue que Louis-Victor Bak entend réhabiliter. Pour autant, de son vivant, la compositrice et interprète Cécile Chaminade (1857-1944) était une célébrité mondialement connue. À l’égal de Debussy, elle a fait connaître le répertoire français jusqu’aux États-Unis. La Sonate pour piano en do mineur, op. 21, est représentative de son style classique et post-romantique. L’Allegro appassionato lorgne autant du côté de Bach que de Chopin ou des grands romantiques du XIXe, alliant fougue et virtuosité. En cette période de découverte de grandes compositrices oubliées, Louis-Victor Bak apporte sa pierre à l’édifice.

    Là où Debussy faisait entrer doucement mais sûrement la musique française vers le modernisme, Cécile Chaminade nous renvoie vers la grande tradition classique. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec un grand plaisir sur le joyau à la fois tendre et mélancolique qu’est l’Andante de la sonate pour piano. Les doigts de Bak glissent onctueusement, avec une passion poignante, telle une déclaration d’amour... enveloppée dans une marche funèbre. Rien à voir avec le court et vibrant Allegro, demandant au pianiste une virtuosité et une technique imparables.

    L’album se termine par une dernière pièce de Cécile Chaminade, un Impromptu tiré de ses Six Études de concert opus 35. Nous voilà de nouveau dans le courant post-romantique, délicat et sans ostentation. Une autre belle découverte par un pianiste qui a intelligemment fait le parti d’un programme alliant des classiques d’un artiste archi-joué et d’une compositrice gagnant à être découverte.       

    Louis-Victor Bak, Œuvres pour piano, Debussy & Chaminade, Indésens Calliope, 2024
    https://louisvictorbak.com/recordings-fr
    https://indesenscalliope.com/boutique/debussy-chaminade

    Voir aussi : "Élégies pour Fauré"
    "Guitare et classique by Roxane Elfasci"

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  • Élégies pour Fauré

    Pour les 100 ans de sa mort, Gabriel Fauré méritait au moins cette splendide intégrale des œuvres pour piano solo. Laurent Wagschal s’est collé à ce monument qui est proposé en coffret chez Indésens. La maison de disques vient ainsi marquer – et combien ! – l’événement classique de cette année, après un essentiel des œuvres pour piano par Laurent Wagshall et l’intégrale des œuvres de Fauré pour piano et violoncelle avec Pauline Bartissol et toujours Laurent Wagschal.

    Grâce à des captations lumineuses, le pianiste français met à l’honneur un compositeur trop souvent restreint à son Requiem, certes magnifique. Les œuvres pour piano solo sont présentées en 4 CD par ordre chronologique de composition, un choix intelligent.  

    L’auditeur découvre ou redécouvre la virtuosité et la fraîcheur d’un maître en musique de chambre, avec d’abord sa rare Sonate en fa majeur n°5 mêlant classicisme mozartien (Allegro ma non troppo et Menuet) et romantisme très XIXe siècle (Final). Dans le livret, Laurent Wagschal cite Beethoven et Haydn. À l’époque, Gabriel Fauré a tout juste 18 ans.

    Le premier CD offre un bel aperçu des œuvres de jeunesse du compositeur, très influencé par ses pairs, que ce soit Chopin (Mazurka N 8), Bach (Prélude et Fugue en mi mineur) ou Schubert (les Impromptus op. 25 et op. 31), avec cependant, déjà, un solide tempérament, à l’instar de l’imagée et virtuose Gavotte N 14. L’auditeur retrouvera tout l’esprit de la musique française de la fin du XIXe siècle, avec en particulier la délicate et irrésistible Romance n° 3 ou encore la Ballade op.19 exceptionnellement longue – près de 14 minutes, alors que la quasi-totalité de ses pièces ne dépasse pas 7 minutes.

    Une première Barcarolle, celle en mi bémol majeur op 25, certes pas la plus connue, vient ponctuer le premier CD de l’Intégrale, balayant les années d’apprentissage et de jeunesse de Fauré qui parvient vite à imposer son style : romantisme tout en retenue, fluidité des compositions et fausse légèreté que l’on retrouve aussi bien dans le 2e Impromptu op.31 que la pathétique 1ère Nocturne op. 33.

    Le style "faurien" s’épanouit dans le deuxième disque du coffret de cette intégrale mémorable. Nocturnes et Barcarolles se taillent la part du lion. Peu avare en virtuosité gratuite comme le souligne le livret de présentation, le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse, sans sacrifier le sens de la mélodie ni la mélancolie affleurant à chaque note, à l’instar de la poignante 5e Nocturne op. 37. La deuxième Valse-Caprice en ré bémol majeur vient apporter de la fraîcheur toute romantique, mais non sans ombres tristes. 

    Qui dit Barcarolles dit Fauré. Le deuxième disque en propose trois, à savoir les 2e, 3e et 4e, respectivement op. 41, 42 et 44. Fauré excelle dans le sens de la mélodie comme dans ses compositions fluides, servies par les doigts gracieux de Laurent Wagschal mais aussi avec ce sens de la rondeur. L’auditeur ne pourra rester indifférent à sa poignante interprétation de la célèbre Pavane op. 50. Une vraie belle redécouverte.

    Le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse

    Le troisième CD du coffret s’intéresse aux années fastes de Fauré. Dans ces années 1890, il est dans la plénitude de son art, reconnu comme musicien important et peut se consacrer à ses compositions plus librement, mais aussi à de prestigieuses responsabilités comme directeur du Conservatoire de Paris. Laurent Wagschal se penche sur sa 4e Valse-Caprice au piano en la bémol majeur op. 62. Derrière le romantisme, on sent aussi poindre la modernité dans cette pièce ambitieuse. Ce disque propose également des Nocturnes – dont l’ample n°6 et la sombre n°7 –, les magnétiques Barcarolles op. 66 et op. 70, mais aussi les Pièces brèves op. 84 et des Thèmes et Variations op. 73. Les 11 variations et son thème solennel frappent par leur concision (de 40 secondes à moins de 2 minutes) et par leur précision – pour ne pas dire efficacité. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec émotion sur les VIIIe et IXe Variations toutes en délicatesse. Dans ce 3e CD, impossible de ne pas passer à côté de la transcription pour piano de deux moments de son opéra Pelléas et Mélisandre (Prélude, la fameuse Sicilienne et la lugubre Mort de Mélisandre). C’est un compositeur nourri par le Symbolisme qui s’exprime à travers ces trois mouvements où l’onirisme le dispute à la mélancolie. Amour, mort, nature et immortalité se fondent dans une œuvre incroyable. Le troisième album du coffret se termine par ses Huit Pièces brèves op. 84. Guère plus de deux minutes pour ces charmantes compositions au classicisme très musique française. Le sens de la mélodie est là. La délicatesse (Capriccio) et le romantisme aussi (Adagietto, Allégresse). On voit entend même le vénérable compositeur faire œuvre de jeunesse et de fantaisie (l’Improvisation à la fraîcheur intacte ou la bien nommée Fantaisie, justement). Il propose également un hommage à Bach dans deux fugues ressemblant autant à des exercices pour piano qu’à des… pastiches.

    Le quatrième et dernier CD s’intéresse aux dernières compositions de Fauré alors que ce dernier, à l’instar de Beethoven, perd progressivement l’audition. Barcarolles et Nocturnes dominent cette dernière partie. Fauré s’y épanouit en majesté (7e Barcarolle op. 90), mais la modernité surgit aussi, ce qui vient contredire l’image d’un compositeur réduit à une musique française néo-classique – et pour certains vaguement ennuyeuse. Que l’on pense à cette Impromptu n°4 en ré bémol majeur op. 91, aux volutes rêveuses et mélancoliques ou à la 8e Barcarolle op. 96 à la fois virtuose et gaillarde dans sa jeunesse et que Laurent Wagschal vienne servir avec la même fraîcheur. Modernité aussi dans cette étonnante et joueuse 5e Impromptu op. 102 ou cette sinueuse 10e Barcarolle. C’est dans les Nocturnes que la mélancolie du vieux Maître transparaît le plus (9e 10e et 11e Nocturne) mais aussi dans la somptueuse 9e Barcarolle op. 101.  

    On a souligné la brièveté des pièces brèves de Gabriel Fauré. En voici un nouvel exemple avec ces Neuf Préludes op. 103, dont la plus longue dépasse tout juste les trois minutes. Laurent Wagschal propose un jeu tout en contrastes : raffinement et clarté debussyenne dans le Prélude n°1, fantaisie dans le n°2, élégance retenue dans le n°3 en sol mineur ou délicatesse mélodieuse dans la n°4. Dans ces Préludes, l’ombre de Bach ne pouvait pas être absente. On la retrouve dans la n°6 en mi bémol mineur. 
    Fauré nous devient familier et proches grâce à ces Préludes aux mille accents, surprenant l’auditeur par leur variété et parfois leur fausse nonchalance (la 8e en ut mineur) ou au contraire leur touchante pudeur (la 9e en mi mineur qui vient clore ces Neuf Préludes).

    Le coffret se termine sur des œuvres crépusculaires, singulièrement plus longues (12e et 13e Nocturnes). Ces Nocturnes et Barcarolles tardives sont celles d’un compositeur toujours inventif, ne tournant jamais le dos au modernisme.

    Avec ce magnifique coffret, à offrir pour les fêtes, Laurent Wagschal offre un des plus beaux hommages à Gabriel Fauré dont nous fêtons cette année les 100 ans de la mort. 

    Laurent Wagschal, Fauré – Complete Works, Laurent Wagschal (piano), Indésens Calliope, 2024
    https://laurentwagschal.com
    https://www.facebook.com/laurentwagschal
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Fauré, cent ans après toujours jeune"
    "Fauré 2024"

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