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harpe

  • Anaëlle Tourret : "Il me tient toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux"

    Dans la foulée de son deuxième album Perspectives concertantes, tout entier consacré à la harpe, Anaëlle Tourret a bien voulu répondre à nos questions. Découverte d’une artiste rare, passionnée et ambitieuse. 

    Bla Bla Blog – Bonjour Anaëlle. Vous sortez en ce moment votre deuxième album, Perspectives concertantes, consacré à des œuvres pour harpes, votre instrument fétiche. Pouvez-vous nous raconter le lien que vous avez avec cet instrument à la fois très ancien et souvent mal connu ?
    Anaëlle Tourret – La harpe est un instrument qui suscite toutes les curiosités : parmi les plus anciens instruments qui aient jamais existé, sa facture n'a eu de cesse d'évoluer au fil du temps, pour trouver son apogée au début du XXe siècle. Parallèlement, ses facettes sont multiples et d'une richesse insoupçonnée. On la retrouve au sein d'un orchestre, en partenaire chambriste, en récital soliste ou en concerto avec orchestre. Cette richesse des possibles est très certainement l'énergie qui m'anime le plus lorsque je songe à mon instrument. 

    BBB – Avec la harpe, on pouvait s’attendre à des compositeurs classiques. Or, c’est le XXe siècle qui a votre préférence. C’est une envie de dépoussiérer le répertoire pour cet instrument ?
    AT – Le XXe siècle a été le théâtre de toutes les plus grandes créations artistiques et musicales. L'instrument harpe en est également le miroir, suscitant par sa facture nouvelle l'intérêt de nombre de compositeurs qui, à la façon des musiciens les ayant précédés durant la période classique, ont su proposer des perspectives nouvelles sur le regard porté sur cet instrument et son répertoire.  Associée parfois à cette image de salon ou d'instrument féerique, celui des anges, il serait toutefois injuste de dénigrer ces symboles, partie intégrante de notre identité musicale.  Il me tient en revanche toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux dans les lectures qui nous sont amenées, et à la façon de ces maîtres du XXème qui ont su s'affranchir des ordres établis pour accéder à un autre ordre de réalité, il m'est apparu comme une évidence de rendre hommage à ce siècle de découvertes et innovations. 

    BBB – Outre Debussy, vous avez choisi de vous intéresser à deux compositeurs du XXe siècle peu connus, Reinhold Glière et Ernst von Dohnányi. Pourquoi ceux-là ?
    AT – Claude Debussy a été le réel précurseur pour la harpe moderne telle que connue aujourd'hui, avec ses Danses sacrée et profane qui constituent à présent un jalon de notre répertoire. Tout comme le Concerto pour harpe de Reinhold Glière, œuvre phare du répertoire concertant injustement méconnu ; le catalogue musical de Glière dépasse l'entendement par sa profusion et sa qualité. C'est l'exactitude de son propos sur l'écriture pour harpe qui m'a particulièrement touchée, exactitude ressentie à mon sens dans toute son œuvre compositionnelle et surtout dans son désir de transmission qui ne l'a jamais quitté - professeur de composition à Kiev puis Moscou durant toute son existence, il a formé et accompagné les plus grands compositeurs de cette époque. Le Concertino d'Ernst Von Dohnányi est le fruit d'un partage autour d'une amitié, celle avec la cheffe d'orchestre Bar Avni. C'est elle qui me fit découvrir cette pièce, que nous avons donnée une première fois il y a plus d'un an, et que nous avons associée aux Danses de Debussy. La connexion musicale entre ces deux œuvres apparut alors comme une évidence, et tout prit sens de façon extrêmement naturelle : Dohnányi n'eut de cesse durant toute son existence de repousser les limites compositionnelles pour les instruments, et la harpe ne fit pas exception. C'est le rôle de l'instrument concertiste qui est ici revisité, et un théâtre se jouant en deux tableaux : une virtuosité technique exigée pour l’interprétation avec des rythmiques très novatrices, mais également le rôle de l'orchestre qui s'avère presque soliste par endroits, accompagné par la harpe qui se fait tapis pour soutenir. Cet alliage à travers les siècles de ces trois compositeurs qui, chacun à leur façon, ont rebattu les cartes de l'écriture pour harpe, est absolument fascinant. 

    "Je me garderais de tout conseil car chaque chemin est beau car par essence unique"

    BBB – Face à un orchestre symphonique, est-il plus difficile à une harpe de "dialoguer" que pour un instrument aux sonorités plus puissantes, tels que le piano ou le violon ?
    AT – C'est ici je crois que toute la richesse de mon instrument intervient : car la harpe se fait au sein d'un orchestre l'interlocuteur idéal pour terminer la phrase d'une flûte, soutenir la voix d'un violon soliste ou adoucir des tessiture plus graves dans de grandes symphonies, elle se nourrit de toutes ces richesses pour irradier lorsqu'un concerto lui est dédié et fourmiller de tous les champs des possibles. 

    BBB – Comment s’est fait le choix de travailler avec Vasily Petrenko et le NDR Elbphilharmonie Orchestra ?
    AT – Lorsque le désir d'enregistrer ces œuvres se concrétisa, il m'est apparu extrêmement naturel d'envisager l'aventure en partie avec "mon" orchestre, phalange dont j'ai la joie d'être harpiste soliste depuis quelques années déjà. Le concerto de Glière s'avérait le choix idéal au sein de la programmation de la merveilleuse Elbphilharmonie, qui constitua en cela une première mondiale. Vasily Petrenko a répondu avec le plus grand des enthousiasmes à cette proposition de programme, et je n'aurais pu souhaiter meilleur partenaire artistique pour ce projet, tant son engagement et sa sensibilité pour ce répertoire furent sincères et exaltés.

    BBB – Que diriez-vous à un ou une enfant pour l’encourager à découvrir la harpe et, pourquoi pas, en faire son métier ?
    AT – Je me garderais de tout conseil car chaque chemin est beau car par essence unique. Plus largement, il s'agirait de toujours repousser plus loin et plus larges les horizons possibles, toujours permettre à de nouvelles perspectives de s'établir, et de mesurer le cadeau pour un enfant de nos jours que celui de pouvoir aller au théâtre, au concert, à l'opéra, au ballet, au musée ou dans un gymnase, pour toujours s'inspirer de grandes figures artistiques qui ont su vibrer de leur passion par leur exigence et leur lumière. 

    BBB – Quels sont vos projets pour 2025 et pour après ? Des concerts ? Des festivals ? Un autre album ?
    AT – L'année s'annonce à l'image de la richesse permise par mon instrument : multiple, plurielle et à la croisée de plusieurs chemins artistiques. Des récitals solistes et chambristes me réjouissent, auprès de partenaires musicaux qui me font la joie de partager leur lumière : au Konzerthaus de Berlin avec le violoniste Brieuc Vourch, en soliste au Château d'Azay-le-Rideau pour les Concerts de Poche, en musique de chambre cet été pour les Festivals de Salon de Provence avec Éric Le Sage, Paul Meyer, Emmanuel Pahud ou le Festival la Clef de Voûte, pour le Printemps de Heidelberg, à Lausanne, à l'Elbphilharmonie de Hamburg...  Joie également de donner des pages de répertoire concertant au Brésil à l'automne prochain (Rio de Janeiro, Belo Horizonte) ainsi qu'en Allemagne la saison prochaine. Année enfin riche en symphonies, à Hamburg tout comme auprès d'orchestres qui me font la joie de partenariats privilégiés,- je pense à Paavo Järvi en Estonie, Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris, Andris Nelsons...

    BBB – Pour Bla Bla Bog, pouvez-vous nous donner vos derniers coups de cœur, en musique classique ou contemporaine, bien entendu, mais aussi en cinéma, série, livre ou exposition ?
    AT – La lecture récente des Entretiens de Pierre Boulez avec Michel Archimbaud fut marquante, tout comme l'approfondissement de la découverte de l'œuvre de Romain Gary (sa dernière œuvre en particulier, Les Cerfs-volants). Une récente grande émotion artistique fut offerte par le corps de ballet de l'Opéra de Paris lors de leur production automnale du Lac des Cygnes de Tchaïkovski par Rudolf Noureev. 

    BBB – Merci, Anaëlle. 

    Anaëlle Tourret, Perspectives concertantes, Es-Dur, C2, 2024
    https://www.anaelletourret.com 
    https://www.instagram.com/anaelle_tourret/reel/DFXKDlgCWbK 
    https://www.c2hamburg.de/shop/de/ALL/Perspectives-Concertantes.html

    Voir aussi : "Perspectives de la harpe"

    © Harald Hoffmann

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  • Perspectives de la harpe

    Instrument rare et attachant, la harpe est mise à l’honneur par Anaëlle Tourret dans son deuxième album, Perspectives concertantes. Après un premier opus de pièces pour instrument seul, c’est donc le concerto qui a les faveurs de la harpiste.

    Pour trouver des œuvres pour cet instrument, il faut se tourner vers des compositeurs relativement peu connus du grand public – ici, Reinhold Glière et Ernst von Dohnányi – ou à des pièces peu célèbres de compositeurs renommés, à l’instar des Deux danses pour harpes de Debussy.

    Reinhold Glière (1874-1956) est un compositeur russe du XXe siècle catalogué de post-romantique. Il fait partie de ces artistes adoubés par le pouvoir soviétique – une gageure dans cette dictature redoutable. Professeur de Prokofiev, Glière a su puiser ses influences dans la musique folklorique des peuples soviétiques. Anaëlle Tourret s’attaque au Concerto pour harpe et orchestre op. 74, accompagnée de l’orchestre symphonique NDR Elbphilharmonie Orchester dirigé par Vasily Petrenko. L’Allegro moderato se déploie avec une belle majesté, renvoyant aux vagues denses et romantiques d’un Rachmaninov dans ses concertos pour piano. La harpe ne se laisse pas étouffer par l’orchestre. Elle l’accompagne avec un mélange de douceur et de fermeté. Succède à ce mouvement un Terna con variazioni tout en délicatesse, tel un dialogue amoureux, dense, riche et passionnant. Le troisième mouvement Allegro giocoso de ce concerto de Glière s’apparente à une suite de danses folkloriques menées par un orchestre enthousiaste et une harpiste qui n’a pas froid aux yeux. 

    Une harpiste qui n’a pas froid aux yeux

    Le deuxième compositeur à l’honneur est Ernst von Dohnányi (1877-1960). Comme pour Glière, sa carrière est indissociable des tourments du XXe siècle. Né en plein cœur de l’Empire austro-hongrois, figure de la culture hongroise, opposé au nazisme – deux de ses fils, antinazis comme lui, perdent la vie durant le conflit. Réfugié aux États-Unis, la Hongrie communiste lui tourne le dos après la seconde guerre mondiale. L’écriture d’Ernst von Dohnányi ne prêche pour aucune école. Elle puise ses sources dans le romantisme, notamment son compatriote Brahms mais aussi dans le folklore magyar et la modernité. D’où la composition subtile de son tardif et méconnu Concertino pour harpe et orchestre de chambre op. 45 qu’Anaëlle Tourret rend avec toute sa complexité et son hyper sensibilité. On est happés par l’onirisme romantique de l’Andante. La harpiste s’empare du technique deuxième mouvement Allegro vivace avec une solide audace, rendant au compositeur hongrois toute sa modernité, avant une dernière partie Adagio non troppo, paisible et teintée de nostalgie et de mélancolie, celle d’un vieux compositeur au crépuscule de sa vie, loin de son pays natal.

    L’enregistrement se termine avec Claude Debussy (1862-1918) et ses deux Danses pour harpe avec accompagnement d’orchestre. Qui d’autre que Debussy pouvait magnifier la harpe, ses harmonies, ses teintes et sa fluidité ? Les Danses sacrée et profane font partie des œuvres incontournables, délicates, mystérieuses et impressionnistes. Anaëlle Tourret s’y fond avec un plaisir évident.

    Et si la harpe avait trouvé l’une de ses ambassadrices les plus douées ?

    Anaëlle Tourret, Perspectives concertantes
    NDR Elbphilharmonie Orchester Stuttgarter Kammerorchester dirigé par Vasily Petrenko,
    Es-Dur, C2, 2024
    https://www.anaelletourret.com
    https://www.instagram.com/anaelle_tourret/reel/DFXKDlgCWbK
    https://www.c2hamburg.de/shop/de/ALL/Perspectives-Concertantes.html

    Voir aussi : "Liszt amoureux"
    "Compositrices entre classicisme et romantisme"

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  • Bowie, Paganini, Scarlatti et compagnie

    Il est absolument impossible d’être insensible au formidable dernier album d’Alexander Boldachev. Il s’agit du second volume de son projet musical Pop Meets Classical. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une rencontre entre deux genres souvent considérés comme irréconciliables. D’un côté une musique populaire et souvent commerciale et de l’autre le classique, trop boudé et à tort considéré comme élitiste.

    Alexander Boldachev propose de les faire se rejoindre grâce à la harpe, son instrument fétiche. Son premier volume avait permis de mettre dans un même album Scorpions et Debussy, Red Hot Chili Peppers et Bach ou Nirvana et Rossini. Culotté. Voilà que le harpiste helvético-russe récidive avec un second volume pas moins audacieux et séduisant ! Simplement séduisant ? Non, enthousiasmant ! Au menu de ce programme, les Beatles, Sting, David Bowie, Queen et Michael Jackson mais aussi Scarlatti, Paganini, Brahms et Piazzolla. 

    C’est peu de dire que ces revisites sont des redécouvertes habillées d’un classicisme qui semble sans âge. Yesterday des Beatles a ainsi une facture Renaissance. Pour Shape of My Heart de Sting, Alexander Boldachev insuffle à ce titre mélancolique des percussions. L’auditeur reconnaîtra le fameux Space Oddity, moins interstellaire que mystérieux et onirique – au passage, le harpiste n’oublie pas le fameux compte à rebours. 

    Simplement séduisant ? Non, enthousiasmant !

    Plus que pour cette adaptation de David Bowie, on sera en droit de préférer la version originale du fameux Bohemian Rhapsody, moins rock-baroque que romantique.

    Parlons maintenant de la version harpe d’Earth Song de Michael Jackson. C’est là que l’on constate le génie de composition du "Roi de la Pop". Alexander Boldachev respecte les lignes mélodiques de ce morceau vieux déjà de 30 ans mais toujours actuel dans son message.

    Les compositeurs plus anciens ne sont pas en reste dans ce très joli album, prouvant que le harpiste connaît ses classiques. À côté de la délicate Sonate K466 de Dominico Scarlatti, véritable appel à l’amour, il y a ce véritable tube de Paganini, le Caprice n°24. Mais la vraie bonne idée de cet enregistrement c’est d’avoir ressorti le Recuerdos de la Alhambra de Francisco Tárrega que Mike Oldfield avait adapté au synthétiseur dans les années 80 pour la BO du film La déchirure (Étude).

    Outre le très bel Intermezzo n°2 de Brahms, on trouvera Astor Piazzolla et son Libertango. Alexander Boldachev respecte à la lettre le rythme et l’esprit de ce tango entré dans l’histoire de la musique et de cette danse.  

    Alexander Boldachev, Pop Meets Classical vol 2, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com/boutique/pop-meets-classical-vol-2
    https://alexanderboldachev.com

    Voir aussi : "Haydnissimo !"
    "Guitare et classique by Roxane Elfasci"

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  • Bouquets de Fauré

    Pour terminer cette année 2024, quoi de mieux que de le faire avec Gabriel Fauré dont nous fêtons les 100 ans de sa mort. Une "Année Fauré", donc, et qui mérite ce Florilège proposé par Indésens. Les enregistrements proposés sur 2 CD s’étalent sur 50 ans, de 1974 à 2024.  

    La première partie de l’album est constituée du Quatuor pour piano et cordes n°2 op. 45 et de la première Sonate pour violon op. 13. Ces œuvres ont été enregistrées entre 2017 et 2024.

    Gabriel Fauré, dont la musique est parfois considérée à tort comme mièvre et trop classique, surprend par sa franche énergie et son audace romantique dans le Quatuor op. 45. L’ensemble constitué par Lauriane Corneille (piano), Hugues Borsarello (violon), Arnaud Thorette (alto) et Raphaël Perraud (violoncelle) restituent de concert la densité de cette pièce de 1886, en particulier l’Allegro molto moderato. La jeunesse, la vivacité et l’audace de l’Allegro molto frappent aux oreilles. On peut aussi parler d’efficacité du langage comme du sens mélodique du compositeur français. Ringard et dépassé, Fauré ? Sûrement pas à l’écoute du troisième mouvement Adagio ma non troppo, mystérieux, raffiné, élégant mais aussi doué d’une singulière modernité avec son piano central dans le quatuor (le jeu inspiré de Lauriane Corneille fait particulièrement merveille). Le finale Allegro molto achève de nous convaincre de l’importance de cette pièce à la fois puissante et lyrique.

    Le premier CD est complété par la Sonate pour violon n°1 op. 13. Elle est jouée ici au violon par Tatiana Samouil, avec David Lively au piano. La gestation de l’œuvre a duré deux ans, de 1875 à 1877, avant de trouver sa forme définitive qui a immédiatement conquis le public. Fauré impose son style fait de recherches mélodiques, d’élégance mais aussi de virtuosité (Allegro molto). Il y a cette délicatesse et cette onctuosité propre à la musique française durant la Belle Époque (le léger et espiègle Andante). Fauré insuffle tout autant une fraîcheur bienvenue dans l’avant-dernier mouvement Allegro vivo avant un finale Allegro quasi presto, enlevé, joyeux et que le duo Tatiana Samouil-David Lively mène avec éclat.  

    De véritables tubes classiques

    La seconde partie de ce double-album de Gabriel Fauré est consacré à des pièces brèves, et pour certaines archi-célèbres. Mettons de côté le Chant funéraire op. 117, tardif (il a été composé en 1921), seul opus religieux de l’album et dont la retenue méditative renvoie à son chef d’œuvre qu’est le Requiem. Le Chant funéraire est ici proposé dans une version  de l’Orchestre d’harmonie des Gardiens de la paix, dirigé par Désiré Dondeyne. Mélodies et Romances dominent ce programme, dans des enregistrements s’étalant sur 50 ans. La harpiste Marie-Pierre Langlament et le violoncelliste Martin Löhr sont les interprètes majoritairement représentés.

    Le terme angliciste de best-of n’est pas galvaudé pour ce qui est un choix de musique de chambre, à telle enseigne que les curieux et curieuses désirant mieux connaître Gabriel Fauré seront bien inspirés de se précipiter sur ce double album, et en particulier sur le second CD passionnant.

    On image l’embarras pour ne pas dire le déchirement des programmateurs dans le choix des pièces. Remarquons cependant que la première Mélodie, op. 7 (Après un rêve), est proposée dans deux versions, l’une avec harpe et violoncelle (Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr), l’autre, plus éclatante, avec trompette et piano (Eric Aubier et Pascal Gallet).

    De véritables tubes classiques sont évidemment présents, que ce soit la troisième Romance sans paroles op. 17, avec Alexandre Gattet au hautbois et le pianiste Laurent Wagschal – que les fidèles de Bla Bla Blog connaissent bien maintenant. Autre pièce majeure, La Sicilienne op. 78, toujours avec Marie-Pierre Langlament à la harpe et Martin Löhr au violoncelle. Citons aussi le léger et gracieux Papillon op. 77. Cette pièce revient plus loin dans une étonnante version pour euphonium (Lilian Meurin) et piano (Victor Metral). N’oublions pas non plus la Fantaisie op. 79 aux allures de danse fantasmagorique, avec Vincent Luca à la flûte et Emmanuel Strosser au piano ou la Romance op. 69 – romantique et mélodieuse à souhait.

    Des Huit pièces brèves op. 84, cinq ont été choisies. Laura Bennett Cameron au basson accompagnée de Roger Boutry au piano en proposent deux, le Caprocioso de la n°1 et l’Improvisation de la n°5, adaptés pour cet instrument à vent séduisant et de plus en plus en vogue. Absolument immanquable ! Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr sont de retour pour la délicate Sérénade op. 98. L’Élégie op. 24 ne pouvait pas ne pas figurer sur l’album. Elle est proposée dans une version pour harpe et violon.

    Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr – encore eux – viennent conclure ce programme avec de nouveau les Romances sans paroles op. 17. Outre le retour de la 3e Romance, Andante moderato, figurent la 1ère Andante quasi allegretto et la 2e Allegro molto. Tout l’esprit de Fauré est là : lignes mélodiques irrésistibles et expressivité tout en retenue.

    Voilà un double-album capital pour découvrir ou redécouvrir la musique de chambre d’un compositeur capital. 

    Gabriel Fauré, Florilèges, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Bonnes chansons de Fauré"
    "Élégies pour Fauré"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • Suis ta propre voie

    Tiphanie Doucet revient ce printemps avec un titre en anglais, My Own Way. Son talent et sa couleur vocale unique ont été remarqués lors de l'émission canadienne The Voice ("La Voix"), en 2020 où elle a été coachée par Garou, non sans laisser une empreinte indélébile sur le public. On se souvient aussi de sa reprise de "Jo le Taxi".

    "My Own Way", son dernier titre pop, à la facture nineties, s’écoute comme la confession d’une artiste reconnue et admirée mais qui entend bien suivre sa propre voie. "Je pense que tout le monde a un moment dans sa vie où il arrête simplement d'écouter tout le monde et choisit de prendre ses propres décisions", confie la musicienne.

    L’indépendance, la liberté, le refus de suivre des injonctions et la découverte de soi toucheront d’autant plus l’auditeur que Tiphanie Doucet y apporte un art musical qui ne peuvent pas laisser indifférente : sa voix – bien sûr – mais aussi  sa performance envoûtante à la harpe.

    Son prochain album est attendu pour ce mois de septembre 2024. Nul doute qu’il sera tout autant captivant que ce premier single.

    Tiphanie Doucet, My Own Way, 2024
    https://behindthecurtainsmedia.com
    https://www.facebook.com/tiphaniedoucet
    https://www.instagram.com/tiphaniedoucet
    https://www.youtube.com/@tiphaniedoucetoff

    Voir aussi : "Tout le monde aime l’amour"
    "Vas-y Joe, vas-y fonce"

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  • Harpe et Basson au rooftop

    Avec l’album Harp and Bassoon "On the Roof", c’est une plongée dans une tradition musicale multimillénaire qui nous est proposée, en même temps qu’un ensemble de créations contemporaines de la compositrice israélienne Anna Segal. Cet enregistrement propose ainsi le premier enregistrement mondial du Concerto Judaica pour harpe et basson.

    Quelle audace ! Une œuvre contemporaine est en soi une gageure, mais alors que dire lorsque sont mis à l’honneur la harpe et surtout le basson – instrument injustement incompris, sinon mal aimé… Anna Segal fait surtout bien plus que cela. Elle s’appuie sur la longue tradition culturelle et musicale juive pour proposer de réconcilier des univers que l’on dirait a priori irréconciliables.

    L’auditeur saluera la densité comme la richesse de ce concerto, mené par l’orchestre Israel Strings Ensemble dirigé par Doron Salomon. Anna Segal a composé une œuvre faisant un large pont entre sons immémoriaux venant de ce côté de la Méditerranée et inventions musicales à base de ruptures de rythmes et de musique atonale. L’Orient est l’univers où baigne ce concerto éminemment moderne mais refusant de tourner le dos au passé. Que l’on écoute les lignes orientales de harpe au milieu de concerto – en un seul mouvement – pour s’en rendre compte. Il y a aussi de la joie, de la vie et de l’allant dans l’opus de la compositrice israélienne, dont le tour de force de mettre le basson en vedette n’est pas le moindre de ses coups de force. 

    Chants revivifiés

    À côté du Concerto Judaica, l’auditeur découvrira des créations contemporaines plus courtes, s’inspirant elles aussi largement des traditions juives. La délicatesse et la sensualité de "Désir" sont évidents dans ce qui peut s’apparenter à un vrai chant d’amour mélodieux.

    Les neuf chansons qui suivent sont inspirées de la tradition biblique. Il s’agit d’une "Mosaïque biblique pour Basson et Harpe" comme l’annonce l’album. Au mystérieux "Samson et les Renards", vient répondre des lectures musicales des personnages de Jaël (Livre des Juges), Jonas ("Jonas et la baleine"), "Yudan le prêtre", Déborah (Livre des Juges), "Les Lions" (Daniel), sans oublier "L’Arche de Noé". Anna Segal. La composition de la musicienne fait la part belle aux inspirations et aux couleurs orientales ("Yudan le prêtre"). La modernité et même l’humour ("Jonas et la baleine") viennent se mettre au service de chants revivifiés.

    Ce n’est pas à proprement parlé du sacré dont il s’agit ici, en dépit des thèmes adoptés par la compositrice, mais bien de chants profanes multimillénaires inspirés de la Bible, et qu’Anna Segal, en se basant sur des thèmes hébraïques traditionnels, parvient à rendre modernes.

    Avec le chant consacré à l’Arche de Noé, Anna Segal prend le parti d’un titre court et à la facture contemporaine. Deux autres chants sont à signaler : "Les oiseaux" et "Amen pour toujours". Le premier est court d’un peu plus d’une minute, se joue d’une mélodie entêtante, avant de se terminer par quelques percussions. Le second se déploie avec mélancolie. La fin, douce et pleine d’espoir, se laisse deviner, appuyée par la harpe de Rachel Talitman et le basson de Mavroudes Troullos.

    Trois chansons viennent clôturer cet enregistrement passionnant et d’une grande volupté. Ce sont des airs folkloriques ("La caravane, "Le Pardon – Prière" et le délicat "Chanson d'amour yéménite") qu’Anna Segal revisite en réconciliant, de nouveau, traditions musicales ancestrales et inventions sonores contemporaines.

    Du très, très bel ouvrage.

    Anna Segal, Harp and Bassoon "On the Roof", Rachel Talitman (harpe) et Mavroudes Troullos (basson), Israel Strings Ensemble dirigé par Doron Salomon, Harpe & Co, 2023
    https://www.prestomusic.com/classical/products/9541289--harp-and-bassoon-on-the-roof-music-by-anna-segal
    https://annasegal.musicaneo.com

    Voir aussi : "Rui Lopes, le basson peut lui dire merci"

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  • Laura Perrudin en perspective

    Dès l’ouverture de Perspectives & Avatars, le 3e album de Laura Perrudin , l’auditeur sait que la musicienne va nous entraîner dans un chemin rarement emprunté.  "The W World", qui introduit le 3e opus de l’artiste rennaise annonce une pop inventive, alliant jazz, chanson et musique électronique, parfois survitaminée ("Major Allegory Of Norm").

    L’artiste dit s’appuyer sur un concept d'écriture où chaque chanson est un personnage, un avatar. Elle est accompagnée de featurings qui élèvent d’un niveau supplémentaire son projet musical : Krismen, Mélissa Laveaux, Ian Chang, Clément Lemennicier, Becca Stevens, Emel Mathlouthi, Dylan James, a Low Woodwind Trio, sans oublier Philippe Katerine.

    Dans le droit "Fil" de Camille, Laura Perrudin choisit à la fois l’inventivité et la classe, sachant aussi bien manier l’audace que la délicatesse ("Light Players"), sans mégoter sur des moments planants.

    Elle ose même le trip-hop dans "Follow Stone", qu’elle développe avec la participation décalée et sarcastique de Philippe Katerine ("Push Me"), dans une critique de la société contemporaine avide de notations et de réseaux sociaux : "Grade ? Grade ? Grade ? Give a grade ! Give a grade ! / Push me ! Push me ! Push me ! Push me ! Push !… Un ressenti ? / Une petite note ? / Pousse moi ! / Pousse mon bouton ! / Content ? Mi-content ? / Mi-pas-content ? / Pas content ?"

    Pour "Well, They Lied", Laura Perrudin fait le choix d’une pop-folk planante : "Evil tough blue in the sky / Just to think I'm gonna die /  Under that light that's so tight", alors que "Game Over" fait figure de titre urbain et hip hop (et même trip-hop), cinglant et sombre, grâce au flow endiablé de Krismen et Ian Chang.

    Dans le droit "Fil" de Camille

    Dans "From One Dark Side To Another", nous voilà dans un titre lui aussi planant - et électronique, pour un vrai voyage intergalactique. "Country Townie Bird" est un titre électro folk lui aussi éthéré et léger, porté autant par la voix de Laura Perrudin que par celle de son nouvel invité, Clément Lemennicier.

    Le timbre de voix de Laura Perrudin semble s’enrichir autant que devenir de plus en plus virtuose au fur et à mesure de l’album, avec le bien nommé "MetaSong", dans lequel la Rennaise surfe élégamment sur la vague de Camille. La chanteuse rennaise est en featuring avec Emel Mathlouthi ("Am I supposed to be beautiful? / Am I supposed to mean something? / Am I supposed to be understood? / Or just to be entertaining?").

    "Le refuge de la couleur" est le seul morceau en français. Interprété avec Morgane Houdemont sur un magnifique texte aux teintes parnassiennes : "J'habille le monde et ses confins / Mais chaque nuit j'épargne la lune / Mais me le direz-vous enfin / Une couleur, en suis-je une ?"

    Mais arrêtons-nous deux secondes sur "Something To Lose", avec Dylan James & a Low Woodwind Trio. Ce morceau électro et rap, mâtiné de sons d’un autre monde, est une revisite du conte de La Fontaine "Le Chien et le loup", et une réflexion sur la dialectique de la liberté et de la prospérité : "- So they keep you fastened ? / You can't run where / you want to run ? / - Not always but never mind. / Follow me and unwind / But I was already far / With all my reborn reason / Venerating again / The deep dry greedy taste / Of my sacred freedom".

    "Sacred freedom." "Liberté chérie" : c’est tout le message de ce titre autant que d’un album d’une très belle créativité. 

    Laura Perrudin, Perspectives & Avatars, Laurent Carrier Diffusion, 2020
    https://www.lauraperrudinmusic.com
    https://www.facebook.com/lauraperrudin
    https://ffm.to/perspectives-avatars

    Voir aussi : "Qui connaît Roxane Arnal ?"

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