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  • Rimbaud, le vrAI du faux

    Qui était vraiment Rimbaud ? Que reste-t-il de lui ? Quelques (vraies) photos, une correspondance et surtout une œuvre brève (Une saison en enfer et Les Illuminations, sans compter de nombreux poèmes en vrac). Pour autant, son importance et son influence sur la littérature est exceptionnelle. Précurseur de la poésie moderne, Arthur Rimbaud a produit une œuvre révolutionnaire avant ses 20 ans. Il abandonne définitivement la poésie en 1875, jusqu’à son décès en 1891 à l’âge de 37 ans.

    C’est sur les années 1870-1875 que se concentre la biographie de Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant (éd. Gallimard), c’est-à-dire de son premier séjour à Paris – qui se termine en prison – jusqu’au décès de Vitalie, la jeune sœur de Rimbaud. Ce deuil marque aussi la fin de sa carrière littéraire.

    Cinq années dans une vie. C’est peu et suffisant pour parler de l’œuvre de Rimbaud. L’auteur consacre cependant une préface pour évoquer les années d’enfance d’un garçon vivant pauvrement à Charleville-Mézières, surdoué à l’école et se distinguant en latin et en rhétorique, sans compter ses talents en poésie qui impressionnent un de ses professeurs, Georges Izambard. Rimbaud veut devenir journaliste et poète. Mieux, il veut y apporter un souffle nouveau. Ce ne sera pas sans mal. 

    Le lecteur sera effaré de découvrir un Rimbaud déjà globe-trotteur, alors qu’il n’est même pas majeur : l’Ardennais ne se contente pas de chercher l’aventure et la réussite à Paris où il n’a, au départ, aucun contact personnel. Ses pas le mènent de la Belgique à Londres, en passant par Stuttgart ou Milan, avec toujours un pied de chute chez sa famille à Charleville-Mézières. Sa mère, femme dure et exigeante, se montrera à plusieurs reprises bienveillante pour son fils volontiers frondeur – et le mot est faible.

    En réalité, Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre. L’histoire d’amour entre Rimbaud et Verlaine est connue et elle fait l’objet ici de nombreuses pages. Ce que l’on sait moins c’est à quel point le tout jeune homme fait tourner la tête du poète, de dix ans son aîné. Le lecteur découvre un Rimbaud insupportable, tapageur, bagarreur, insultant, un "monstre" qui obsède l’auteur des Fêtes galantes. À l’époque, Paul Verlaine est marié. L’histoire d’amour (un "drôle de ménage") entre les deux hommes est triste et moche. Rimbaud a une forte influence sur son amant et le pousse à délaisser sa femme, tout en le soudoyant à plusieurs reprises afin de profiter des pécules du ménage.

    Luc Loiseaux ne ménage pas le poète dont il admire l’œuvre

    Peut-on parler de Rimbaud comme d’un pervers narcissique ? Impossible de se prononcer définitivement mais beaucoup d'éléments le laissent à croire. En tout cas, Verlaine, tout en admirant le génie de son ami (c’est à lui que l’on doit la premier publication des Illuminations en 1886) perd pied à plusieurs reprises. Il le suit dans sa soûlographie – à l’absinthe notamment – et part même du jour au lendemain le suivre en Belgique alors qu’il allait acheter des médicaments pour sa femme souffrante. Nous sommes en juillet 1872. Il finit par complètement vriller un an plus tard, à Bruxelles, en tirant sur Rimbaud. Le jeune homme s’en sort avec une vilaine blessure, Verlaine écope d'une peine de prison d’un peu plus de deux ans. Le coup de revolver marque la fin d’une relation tumultueuse entre les deux poètes mais aussi le début de la légende. 

    Luc Loiseaux enrichit son essai de poèmes mais aussi d’extraits de correspondance. L’œuvre de Rimbaud éclaire certains passages de son existence et ce n’est pas le moindre intérêt de l’ouvrage. Le Rimbaud visionnaire et parfois obscur devient un jeune homme torturé, par exemple lorsqu’il parle d’une histoire de cœur déçue dans Les Déserts de l’amour. Citons aussi cette jeune fille de notables de Charleville-Mézières qui a rejeté le jeune poète ou encore cette "fille aux yeux violets qui l’a suivi dans [une] fugue" ("O l’Oméga, rayon violet de Ses yeux", écrit-il pour une personne qui l'a longtemps obsédé. Le célèbre "Je est un autre" pourrait tout aussi bien être, pour l’auteur, autant une interrogation sur son identité et son homosexualité qu’un rappel d’un épisode traumatisant durant la Commune de Paris. C’est un Rimbaud sans fard qui nous est dévoilé, un poète hypersensible, insupportable, génial, odieux, précurseur et égoïste.

    Pour le rendre plus actuel, Luc Loiseaux a choisi les nouvelles technologies. Une première photo – celle de la couverture – a fait le buzz en 2023 sur les réseaux sociaux. On y voyait un jeune homme déambulant dans les rues de Paris, un soir pluvieux. Le cliché est net – sans doute trop ! – et beaucoup d’internautes ont cru à la découverte d’une photo inédite. Luc Loiseaux, artiste aux multiples talents – écrivain, musicien, graphiste, photographe, conférencier –, a poursuivi sur cette voie en proposant de fausses photos vieillies pour illustrer les chapitres de cette biographie. Gageons que les éditions Gallimard ont d’abord été sensibles à cette utilisation – certes critiquable – de l’IA. En réalité, ne nous trompons pas : le vrai apport de ce livre réside dans les cinq années capitales d’Arthur Rimbaud grâce au passionnant texte de Luc Loiseaux.   

    Luc Loiseaux, Rimbaud est vivant, éd. Gallimard, 2024, 272 p.
    https://www.facebook.com/luc.santiago 
    https://www.gallimard.fr/catalogue/rimbaud-est-vivant/9782073081759 

    Voir aussi : "À fleur de Poe"
    "Rimbaud, sors de ce corps"
    "C’est le plus dandy des albums"
    "Sonnets pour ce siècle"

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  • La croisière (militaire) s’amuse

    Coups de roulis, l’opérette en trois actes d’André Messager (1853-1929), nous entraîne dans un univers bien éloigné des intérieurs bourgeois parisiens des ces œuvres classiques des premières années du XXe siècle. Coups de roulis a été créée au théâtre Marigny en septembre 1928. Se basant sur un livret d’Albert Willemetz et Maurice Larrouy, le compositeur français situe son théâtre lyrique sur un croiseur de guerre, Le Montesquieu, à quelques jours de Noël.

    Les marins se réjouissent déjà de leur future permission et de ce qu’ils vont bien faire (l’entrée en la matière C’est Noël dans quelques jours…). La famille et surtout les fiancées et les filles de passage sont leurs principales préoccupations mais les projets sont anéanties à cause d'une visite impromptue : celle du haut-fonctionnaire Puy-Pradal ("Adieu, veau, vaches et cochons") venu enquêter sur le mauvais état de la marine française. La colère des militaires est réelle et ils entendent bien ne pas se laisser faire ("C’est lui qui paiera, Qui écopera / On lui apprendra / On lui montrera / Qu’on n’a pas le droit de faire / À des pauvr’s Permissionnair’s / Un’ blague aussi sévèr’ que ça !").

    Une femme arrive dans ce jeu de quille masculin : il s’agit ni plus ni moins que la fille du parlementaire, Béatrice, qui est aussi secrétaire "de son papa", Puy-Pradal himself. Alors que l’inspection de cet incapable commence, non sans les protestations de l’équipage lésé (Quand on n’a pas le pied marin, Acte 1), la sémillante secrétaire est courtisée par Gerville, le commandant du Montesquieu, mais aussi par le lieutenant Kermao qui ne la laisse pas insensible (le troublant et chavirant Duo du roulis).

    Évidemment, la romance (Ce n’est pas la première fois, Acte II) ne peut aller qu’en couacs, coups de roulis et arêtes coincés au fond du gosier, à commencer par la disparition impromptue du commissaire politique tombé dans la cave du navire (Finale de l’Acte I). Kermao voit également le commandant lui griller la politesse et entreprendre la jeune fille. 

    Une histoire de romances, de militaires contrariés et de coups de roulis politico-sentimentaux

    La suite de l’histoire passe par l’Égypte et voit l’arrivée de l’actrice Sola Myrrhis, ancienne maîtresse de Gerville, bien décidée à une conclure une union avec le politique Puy-Pradal afin de mener à bien ses projets artistiques à la Comédie Française. Fine tacticienne, elle compte sur l’aide de son ex-amant. Pendant ce temps, Béatrice continue à être courtisée par les deux officiers, Kermao et Gerville, ce dernier obtenant la bénédiction du père de la jeune fille. Tout ce petit monde va s’affronter, se séparer et finalement se réconcilier dans le troisième et dernier court acte, non sans voir la politique mettre un point final à ces amourettes et autres entregents.  

    Cette opérette, remise au goût du jour, est riche de ces airs que l’auditeur n’est pas prêt d’oublier, à commencer par le joyau qu’est Quand on a les femmes (Acte II), à la misogynie certes datée mais tellement irrésistible ("On peut être un très grand marin / Et manœuvrer un grand navire, / C’est bien plus dur, / J’ose le dire / De manœuvrer et de conduire / Un tout petit cœur féminin", Acte III). Parlons aussi de cet émouvant chant d’un officier déjà âgé constatant le temps qui passe (La quarantaine, Acte III).

    Pour cette opérette endiablée et peu connue, la représentation au Théâtre de l’Athénée en mars 2023 s’est malicieusement enrichie d’une voix off qui guide le récit, non sans la parsemer d’humour.  

    Il faut aussi saluer des interprètes (Jean-Baptiste Dumora, Philippe Brocard et la délicieuse Irina de Bachy dans le rôle de Béatrice) prenant à bras le corps l’opérette de Messager, insufflant dans cette histoire de romances, de militaires contrariés et de coups de roulis maritimo-politico-sentimentaux un mélange de légèreté et de convictions (le superbe air de Béatrice "Tous les deux me plaisent").

    Disons-le, il fallait une sacré audace pour proposer un enregistrement de cette œuvre lyrique beaucoup moins à l’eau de rose que ne le laisse suggérer l’histoire qui égratigne autant les hommes (Rondeau de l’Acte III) que les politiciens (Finale de l’Acte III). Il n’y avait sans doute qu’un seul compositeur français capable de proposer un théâtre lyrique mêlant facture offenbachienne (Finale de l’Acte II, Ensemble dans l’Acte III), musique naturaliste ("Voilà que je roule… je roule ci. Je roule là…", Acte I) et influences orientalisantes (Chœurs et couplets en ouverture de l’Acte II). Une sacrée découverte, récréative et pleine de légèreté. 

    Coups de roulis, opérette d’André Messager,
    livret d’Albert Willemetz et Maurice Larrouy, b•records, coll. Les Frivolités parisiennes, 2024

    Avec Jean-Baptiste Dumora, Philippe Brocard, Christophe Gay (baryton), Irina de Bachy, Clarisse Dalles (contralto), Orchestre et Chœur des Frivolités Parisiennes, direction Alexandra Cravero
    https://www.b-records.fr/coups-de-roulis
    https://www.facebook.com/B.recordsParis
    https://www.instagram.com/b.records 

    Voir aussi : "Beethoven, Intégrale, Première"
    "Oui, je suis la sorcière"

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  • Nos existences abîmées

    C’est par la Fantasy qu’a commencé la carrière de Mélissa Perrot-Marquez, plus précisément le premier tome d’Aëlys, L’éveil d’une indocile (éd. Le Lys Bleu), sorti il y a deux ans. On pouvait s’attendre donc à un autre opus, sinon de cette facture, du moins versant dans le fantastique. Or, même si le fantastique est bien présent dans La demeure des oubliés, il l’est d’une manière singulière.

    L’auteure situe son récit 20 ans en arrière, en 2003. Une époque qui nous paraît lointaine. L’Internet n’était pas encore généralisé, les plateformes télé n’existaient pas et les portables n’étaient pas encore ses smartphones multi-usages. Par contre, la misère sociale était déjà réelle et c’est justement le sujet du roman s’apparentant à du fantastique social.  

    Mathilde et Benoît forment un jeune couple amoureux mais aussi paumé. Sans travail, vivotant comme ils le peuvent grâce à un petit trafic de drogue, ils trouvent leur salut grâce à une maison que leur prête en plein hiver les services sociaux d’une petite ville du sud. C’est une demeure délabrée sur plusieurs étages qui leur suffit, au moins provisoirement. Jusqu’au jour où d’étranges bruits se font entendre. Aucun doute : la demeure est hantée. 

    Maison abîmée et habitée

    Sur un peu plus de 180 pages, c’est une lente descente aux enfers que propose Mélissa Perrot-Marquez. La maison abîmée et habitée est bien entendu une allégorie de l’existence de ces deux marginaux totalement paumés. L’auteure a su parfaitement rendre l’ambiance poisseuse, d’autant plus que, rapidement, c’est dans le huis-clos de la demeure que se terre Mathilde, la véritable personnage principale du livre.

    Les chapitres s'égrainent au fil des journées, des semaines et des mois interminables – mais qui devront bien s’achever un jour où l’autre car les locataires devront rendre les clés au printemps. Soit trois mois dans une ambiance terrifiante. Entre débrouillardise, recherche de quelques euros pour affronter la dèche, gestion de leur petit business de dope, l’existence de ces "oubliés" devient vite un cauchemar. Les manifestations surnaturelles viennent se rappeler à leurs bons souvenirs. On en saura guère plus sur ces esprits, sinon que deux hommes sont morts dans la maison quelques temps plus tôt.

    Là n’est pas l’essentiel, dit en substance Mélissa Perrot-Marquez qui porte avant tout son attention sur deux pauvres hères, parfois agaçants mais souvent attachants, aussi perdus et oubliés que les fantômes dont ils partagent les murs.    

    Mélissa Perrot-Marquez, La demeure des oubliés, autoédition, 2024, 181 p.
    https://www.amazon.fr/Demeure-oubli%C3%A9s-M%C3%A9lissa-Perrot-Marquez/dp/B0D6851VB9/ref=sr_1₁
    https://www.facebook.com/melissaperrotmarquez
    https://mperrotmarquez.wordpress.com
    https://www.instagram.com/melissapm_autrice

    Voir aussi : "Une disparue encombrante"

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  • Timbre Astérix

    Le 14 octobre 2024, La Poste a émis un collector de quatre timbres à l’occasion du 65e anniversaire de la création d’Astérix par le scénariste René Goscinny et le dessinateur Albert Uderzo.

    Rusé et facétieux, Astérix déploie d’album en album des trésors d’énergie face aux Romains installés non loin de ce petit village d’Armorique qui résiste encore et toujours à l’envahisseur (ils sont fous, ces Romains !).

    Depuis 1959, des millions de lecteurs se sont plongés dans les aventures d’Astérix et Obélix (sans oublier le chien Idéfix). Les très nombreux clins d’œil à l’histoire nous projettent en 50 avant J.-C. pour mieux nous faire comprendre le monde contemporain et ses petits travers… mais toujours avec esprit et bienveillance.

    Héros d’une œuvre majeure créée par les géniaux René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix est intemporel, et la Potion magique (dont le druide Panoramix a le secret) opère encore et toujours.

    En vente depuis le 14 octobre. 

    Timbre Astérix – Édition anniversaire 65 ans
    Format du collector : 148 x 210 mm Format des timbres : 37 x 45 mm
    Présentation : collector de 4 timbres
    Tirage : 25 000 exemplaires
    Valeur faciale de chaque timbre : 1,29 € Lettre Verte
    Prix de vente : 6,50 €
    https://www.laposte.fr/boutique
    https://www.lecarredencre.fr 

    Voir aussi : "Miniature hommage à Agnès Varda"

    ASTÉRIX ® OBÉLIX ® IDÉFIX ® / © 2024 Les Éditions Albert René / Goscinny-Uderzo

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  • Un pied dans la porte pour le manipulé

    La manipulation. Voilà un sujet particulièrement rebattu, partout, que ce soit dans les conversations privées, sur les réseaux sociaux. Pour tout dire, dans cette époque obsédée par le complotisme et la liberté en danger, la manipulation devient un sujet à la fois épineux et source de fantasme. Voilà qui rend d’autant plus pertinent l’essai des chercheurs en psychologie sociale, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois (décédé en 2020), Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens (éd. PUG).

    Il s’agit en réalité de la réédition de leur best-seller, déjà vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Cette nouvelle édition est augmentée de près de 50 pages et 16 nouvelles techniques de manipulation. Le lecteur y trouvera matière à réfléchir sur la manière dont ses gestes quotidiens peuvent se trouver influencer par une ou plusieurs tierce personne, et cela sans qu’il s’en rende compte.

    Pas besoin d’être expert en psychologie ou en sciences sociales pour dévorer ce passionnant livre, si l’on excepte un chapitre plus technique, justement nommé "Un peu de théorie". Par ailleurs, l’essai est enrichi de citations d’études, d’enquêtes et d’ouvrages sérieux. Pour le reste, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois optent pour la vulgarisation qui explique en grande partie l’énorme succès de leur essai. Il y a aussi l’ensemble de mises en situation en la personne de Madame O vivant dans le pays imaginaire de Dolmatie – mais qui pourrait être aussi bien la France, le Canada, l’Italie ou les États-Unis. Que cette femme – anonymisée – existe ou non est moins important que les faits quotidiens et anodins qu’elle vit : une après-midi de farniente, des courses au supermarché, une journée de shopping dans sa ville, des appels téléphoniques de commerciaux ou de militants associatifs ou encore une soirée seule chez elle en l’absence de son mari, soirée au cours de laquelle elle ne fait l’objet d’aucune interaction ni manipulation extérieure – en apparence seulement.

    À partir de ces saynètes, les auteurs nous parlent de pratiques et de méthodes qui permettent à un interlocuteur ou interlocutrice de faire faire à quelqu’un une chose sans contrainte ou force, et même en lui laissant une illusion de liberté. "Pas besoin, en effet, d’être séduisant ou d’occuper une place de pouvoir pour obtenir d’autrui ce qu’on attend de lui ; pas besoin non plus d’être un petit génie de la persuasion. Il suffit de connaître ces techniques".

    Donner "aux manipulés potentiels quelques clés pour mieux se défendre"

    Les auteurs ne cessent, à grands coups d’humour, de dédramatiser ces manipulations et de les rendre visibles et explicables. "La manipulation reste (…) l’ultime recours dont disposent ceux qui sont dépourvus de pouvoir ou de moyen de pression", disent-ils. Quels sont au juste ces moyens ? Les exemples de Madame O. permettent à Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois d’examiner les comportements de leur "cobaye", insistant à plusieurs reprises le concept de "soumission librement consentie". Les auteurs montrent que "le lien entre motivation et comportement, et a fortiori entre attitude et comportement, n’est pas direct". Ils en viennent à parler de la "notion d’effet de gel".

    Des exemples en entreprise, essentiellement dans le management, introduit d’autres concepts, à l’instar de "la dépense gâchée". Les faits historiques et politiques, comme l’escalade de la guerre du Vietnam, parlent également de ces "escalades d’engagement" qui peuvent nous conduire à des impasses, parfois en toute bonne foi.

    Les auteurs étudient plusieurs méthodes de manipulation, souvent utilisées dans les contextes commerciaux : l’amorçage, le leurre, les techniques du "pied-dans-la-porte", celle de la "porte-au-nez", le "pied‑dans‑la‑bouche", le "pied‑dans‑la‑mémoire", notamment. Sans compter ces 16 autres méthodes : le "donner‑un‑peu‑pour‑recevoir‑beaucoup", "l’acquiescement répété", "l’indisponibilité présumée", le "nous‑avons‑un‑point‑commun", le mimétisme, le "j’ai‑besoin‑de‑personnes‑comme‑vous", l’activation normative, le "juste‑une‑personne‑de‑plus", le "vous‑allez‑probablement‑refuser", le "pied‑dans‑la‑main", le "dites‑moi‑si‑ma‑demande‑vous‑paraît‑déplacée", le "je‑ne‑vous‑demanderai‑rien‑d’autre", le "piquer‑la‑curiosité", le "décadrer‑recadrer", le "pourriez‑vous‑me‑rendre‑un‑service ?" et le "j’espère‑que‑je‑ne‑vous‑dérange‑pas".

    L’essai rengorge d’exemples, d’études, de mises en situation, de faits réels mais aussi d’analyses. L’objectif est que chaque lecteur et lectrice devienne un citoyen et une citoyenne capable de réfléchir sur sa vie en société. Le maître mot n’est pas de donner des armes de manipulation  à des personnes mal intentionnées – que les auteurs condamnent, mais plutôt de donner "aux manipulés potentiels quelques clés pour mieux se défendre".

    Bref, voilà un ouvrage passionnant et d’utilité publique. 

    Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens,
    éd. PUG, 2024, 368 p.

    https://www.pug.fr

    Voir aussi : "Enquêtes pour de faux"

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  • Sombres papillons

    La prestigieuse maison Gallimard lance cet automne sa nouvelle collection Papillon Noir et, comme il fallait s’y attendre, le vénérable éditeur n’a pas fait dans la demi-mesure avec un projet ambitieux. À la tête de cette collection, il y a Benjamin Lacombe qui entend bien remettre au goût du jour la tradition du beau livre illustré, celle qui avait court avec des artistes comme Gustave Doré ou Odilon Redon.

    Parce que le monde de l’édition subit de plein fouet la crise économique et numérique, Gallimard a fait le pari de la qualité, de la créativité et de l’illustration. Là, on applaudit des deux mains.

    Les deux premiers ouvrages de la collection Papillon Noir sont un ouvrage classique, Le Portrait de Dorian Gray par Oscar Wilde, illustré par Benjamin Lacombe lui-même (postface de Merlin Holland) et une création actuelle, Les Sorcières de Venise de Sébastien Perez, illustré par Marco Mazzoni.  

    Pour le chef d’œuvre d’Oscar Wilde, le choix a été fait par Benjamin Lacombe d’une version non-censurée, l’ouvrage ayant entraîné de nombreux et lourds déboires à Oscar Wilde en raison de l’évocation de l’homosexualité, à la fois "dite" et "voilée". Pour illustrer le roman, et en particulier le bel éphèbe blond et androgyne Dorian Gray, Benjamin Lacombe s’est inspiré de Lord Alfred Douglas, l’amant d’Oscar Wilde qui a entraîné un retentissant procès et la condamnation à la prison de l’auteur anglais.

    Des portraits du fascinant personnage, souvent entouré de fleurs, ponctuent l’ouvrage. Le lecteur pourra tout aussi bien s’arrêter sur le portrait de Lady Henry, semblant tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Signalons aussi la double page (pp. 72-73), avec une onirique Lady Henry flottant au milieu d’un océan sous l’orage.

    Nous parlions de ces papillons noirs, choisis pour l’identité de la nouvelle collection. Ils apparaissent à plusieurs reprises sous le pinceau de Benjamin Lacombe, sur une scène de théâtre, dans des portraits au fusain ou dans un cabinet de curiosité. 

    Le talent de Marco Mazzoni explose dans ces somptueuses planches

    Parlons justement de ces fameux lépidoptères. Pour Les Sorcières de Venise, l’autre nouveauté proposée par Gallimard, ces animaux sont au cœur du récit proposé par Sébastien Perez. Ce roman inédit, illustré par Marco Mazzoni, est à la croisée de plusieurs genres. Conte fantastique, roman historique et science-fiction post-apocalyptique (nous sommes en Italie, en 2045), Les Sorcières de Venise a aussi une résonance très moderne puisque le récit commence par une pandémie.

    Une mystérieuse maladie, surnommée "le virus du papillon", a touché la terre et provoqué un véritable cataclysme. Les deux tiers de la population mondiale ont disparu. Heureusement, un sérum a été trouvé, ce qui a pour conséquence d'établir une ségrégation sociale entre, d’un côté les personnes non-infectés et de l’autre les malades soignés. Cela suscite également beaucoup de fantasmes et d'idées reçues. Simone, qui a vécu de très près sa mère médecin mobilisée, se lance dans un jeu fou et dangereux avec ses jeunes amis : rencontrer des "papilloneurs". Le but ? Essayer un nouveau trip en se faisant mordre pour ressentir les "sensations extraordinaires du virus. Mais c’est sans compter les "viventisti", des chasseurs de "zombie". Bientôt, Simone, accompagné de Manuele, un nouvel ami qui a été infecté, fuie vers Venise, à la rencontre de sorcières. Le virus y aurait été créé là-bas.   

    Marco Mazzoni s’est chargé des illustrations du texte de Sébastien Perez. Le dessinateur italien a fait le choix de l’onirisme dans ce conte moderne s’étalant sur plusieurs centaines d’années. Saynètes contemporaines (rues dévastées, intérieurs angoissants, véhicules au pastel, compositions surréalistes) côtoient des tableaux somptueux, entre rêves et cauchemars, à l’instar de ces visages couverts de papillons ou le portrait de la sœur de Manuele, véritable piéta médiévale. À ce sujet, l’illustrateur devient un véritable copiste lorsqu’il reproduit un (faux) manuscrit de 1463. Le talent de Marco Mazzoni explose dans ces somptueuses planches. Un magnifique ouvrage.    

    Ajoutons que ces derniers jours, la collection Papillon Noir s’est enrichie d’un troisième ouvrage, un classique de la littérature française, Carmen de Prosper Mérimée, illustré par Benjamin Lacombe.

    Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, ill. Benjamin Lacombe,
    éd. Gallimard, coll. Papillon noir, 2024, 248 p. 

    Sébastien Perez, Les Sorcières de Venise, ill. Marco Mazzoni,
    éd. Gallimard, coll. Papillon noir, 2024, 120 p. 

    https://www.gallimard.fr/collections/papillon-noir-gallimard

    Voir aussi : "À Karim Berrouka, la fantasy reconnaissante"

    @lacombebenjamin Aujourd’hui était un jour important pour moi. C’est le jour où j’ai présenté à mes chers libraires un rêve, un projet : une collection de littérature, de livres illustrés, de livres objects et de romans graphiques ou tout cela à la fois. La collection Papillon Noir déploiera ses ailes à l’automne chez les si belles @editions_gallimard avec trois premiers livres dont un par les extraordinaires Sebastien Perez (@plumederossignol) et Marco Mazzoni (@marcomazzoniart)… mais je vous en reparle plus bientôt… #benjaminlacombe #sebastienperez #marcomazzoni #collectionpapillonnoir #papillonnoir #editionsgallimard #gallimard #lessorcieresdevenise #doriangray #leportraitdedoriangray #oscarwilde #prospermerimee #carmen ♬ What Was I Made For? [From The Motion Picture "Barbie"] - Billie Eilish

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  • Loussine In The Sly With Diamonds Of Blues

    Loussine arrive avec son premier album, In The Sky With… Son univers ? Le blues en anglais mais aussi des titres dans la langue de Molière. Rien d’étonnant pour un artiste qui a d’abord écumé les scènes de théâtre, sans pour autant ne jamais délaisser son amour pour la musique. Pour preuve, la musique de Signé Furax, c’est lui. "En même temps que mon métier de comédien au théâtre et au cinéma, qui m'a fait vivre, j'ai toujours fait de la musique" a déclaré l'artiste qui ne se prive pas non plus de chanter son amour pour la musique – et l’amour tout court : "Y’a comme une idée qui me fait rêver / Retrouver cette fille-là pour un duo comme ça" (Au micro d’la dame).

    Chanson, blues et rock viennent se succéder dans cet opus de 12 titres à l’acoustique impeccable. Loussine séduit assurément avec son blues mêlant mélancolie, douceur de vivre, sensibilité à fleur de peau et humour. À la déclaration joliment maladroite en franglais de Chanson en English, vient répondre le blues douloureux La douleur fait moins mal que la fin. Et lorsque l’histoire d’amour finit mal, cela donne le morceau plus rock, Tu disais.

    Loussine est un cœur tendre se cachant derrière sa guitare. Il dévoile deux jolies déclarations, l’une à Frida et l’autre Thelma, ses deux petites-filles dont les portraits illustrent le livre de l’album. Une autre enfant a les honneurs du musicien, Lola, une "petite gosse… qui dansait pour manger parfois". Loussine chante avec émotion cette petite gavroche, une fille de la rue désœuvrée, "trop sauvage pour vivre sous un toit". On se dit que ce titre blues-rock parvient à dresser un portrait touchant qui parle autant de pauvreté que d’espoir et de liberté.   

    Loussine est un cœur tendre se cachant derrière sa guitare

    On le sait, le blues est le genre des personnes opprimées, de celles et ceux qui souffrent, à l’image des esclaves noirs américains, déracinés d’Afrique pour mourir et souffrir loin de chez eux. Loussine en parle justement dans la ballade blues Les gens d’ailleurs : "Dieu qu’ils ont vu de souffrance et de malheur, les gens d’ailleurs / Mais leurs chansons restent si belles, blues éternel".

    Il s’agit du seul titre vraiment engagé de l’album car c’est bien de cœur et d’amour dont parle Gérard Loussine. Il chante le désir et l’attraction irrésistible d’une fille nommée Suzon (J’voulais pas) mais aussi le temps inéluctable qui fane les corps et nous condamne à la solitude (la déchirante ballade Le temps qui passe). Dans Ça roulait pas, le chanteur se met en scène dans un road movie sans but. "J’sais pas c’que j’fous là", chante-t-il, désœuvré et perdu ("J’suis largué j’ai pas le choix"). Finalement, un être nous manque-t-il ? ("Besoin d’elle voilà").

    Chanson pour…, qui vient clôturer l’album, éclaire le titre de l’opus, In The Sky With… (qui est aussi un clin d’œil au chef d’œuvre des Beatles, Lucy In The Sky With Diamonds). Gérard Loussine se dévoile plus encore en pleurant sa douleur suite au décès d’un ami. Le blues-rock colle à merveille à cette oraison parlant de disparition, de souvenirs, de vide, de larmes mais aussi de peur.  

    Loussine, In The Sky With…, 2024
    https://www.facebook.com/Gerard.Loussine
    https://linktr.ee/loussine

    Voir aussi : "Autour de Nougaro"

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  • Hanni Liang et les voix (féminines) du piano

    Oui, la musique contemporaine sait aller droit au cœur autant qu’à l’esprit. La preuve avec ce somptueux album de la pianiste Hanni Liang, le deuxième de l'instrumentiste, Voices for solo piano. Ce sont des voix de la création moderne et contemporaine que la musicienne propose de découvrir dans un programme dédié à des compositrices des XXe et XXIe siècle, toutes engagées pour leur combat en faveur de l'égalité hommes-femmes, ce qui lui permet de "désinvisibiliser" ces artistes. "Avec tous les défis auxquels nous sommes confrontés dans le monde en ce moment, c'est la nécessité intérieure en moi d'élever ma voix. Ma voix, non seulement en tant que femme pour les femmes mais aussi en tant que citoyenne pour une société libre. C'est ce que symbolise cet album : briser le silence et élever la voix", affirme la pianiste. 

    Commençons par Ethel Smyth (1858-1944), compositrice, cheffe d’orchestre mais aussi suffragette. Féministe engagée, homosexuelle à une époque où la chose était impensable, elle resta amie et sans doute aussi amoureuse de Virginia Woolf jusqu’au suicide de cette dernière. Hanni Liang propose sa Sonate n°2 pour piano encore marquée par le romantisme (elle a été écrite en 1877). On y trouve l’influence de Brahms, de qui elle était proche en plus d’être admirée et soutenue par le maestro allemand. Hanni Liang s’empare de cette œuvre avec une belle aisance, donnant à chaque note sa place et sa dimension. On sent le goût de l’harmonie et de la mélodie d’Ethel Smyth dans ses Thèmes et Variations en ré bémol majeur, déroulés avec élégance (Variation VII Presto). On a beau découvrir la compositrice britannique, il semble néanmoins que ces morceaux nous sont déjà familiers, pour ne pas dire attachants. On pense à la Variation IV (Allegro: à la Phylis), joueuse et enfantine ou à la plus mélancolique et longue Variation V (Andante con moto). Hanni Liang y souligne les tourments d’une femme admirée mais mal en raison des mœurs de son pays.

    Sacrément culottée

    Sautons de quelques décennies et intéressons-nous à une autre compositrice anglaise, Sally Beamish. Toujours en activité, cette musicienne, violoniste et multi-récompensée pour ses travaux, est mise à l’honneur par la pianiste allemande grâce à la pièce Night Dances. Nous voilà dans une œuvre riche de silences, de notes suspendue, lui donnant un fort caractère d’introspection. Les hésitations rendent ce morceau particulièrement humain et proche de nous, mais non sans ce sentiment d’anxiété et d’inquiétude. Le rythme finit par s’emballer dans une danse infernale proche de la folie. Hanni Liang fait preuve là d’une technicité à souligner mais aussi d’une solidité à toute épreuve pour ces "danses de la nuit".

    De la même génération, Errollyn Wallen propose une courte pièce, I Woundn’t Normally Say. La compositrice née au Belize, très demandée et très jouée, a puisé dans le jazz ce qu’il faut de rythme pour une pièce à la fois joyeuse et personnelle.

    Après les Variations d’Ethel Smyth, place à celles de Chan Yi, née en Chine et vivant aujourd’hui aux États-Unis (Variations on "Awariguli"). Le Thème, les neuf Variations et le Coda, de trente secondes à un plus d’un minute, ne tournent pas le dos au classicisme. Chen le revendique au contraire et s’en empare, au service d’un combat moderne : celui des Ouïghours persécutés et de leur culture en train de disparaître. Le Thème est d’ailleurs tiré d’une musique folklorique de cette ethnie. Hanna Liang, née en Allemagne mais dont les racines chinoises restent importantes pour elle, interprète cet opus avec une vibrante intensité et de chaudes couleurs.

    Eleanora Alberga vient clôturer ce programme avec Cwicseolfor. Un bien étrange titre pour une pièce qui ne l’est pas moins. La compositrice jamaïcaine l’a composée en 2021. Les transformations sont le fil conducteur de cet opus aux multiples variations, ne s’interdisant ni des passages rythmées et torturées ni de longues pauses de silence.

    Sacrément culottée, Hanni Liang propose là un passionnant voyage musical à la découverte de compositrices aussi différentes qu’engagées. La pianiste y apporte son lustre et son enthousiasme. Vite, à découvrir !  

    Hanni Liang ,Voices for solo piano, Delphian Recards, 2024
    https://www.delphianrecords.com
    https://hanni-liang.com
    https://www.instagram.com/hanniliang/?hl=fr

    Voir aussi : "Bak et la Belle Époque"

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