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Bla Bla Blog - Page 283

  • Nous, Sapiens

    Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Tel est en résumé le sujet de Sapiens, best-seller de Yuval Noah Harari.

    Cet essai spectaculaire de plus de 500 pages avait tout pour rebuter n’importe quel lecteur ; contre toute attente, il est devenu un phénomène éditorial traduit en une trentaine de langues et vendu à des millions d’exemplaires dans le monde.

    Professeur d’histoire à l’Université Hébraïque de Jérusalem, Harari retrace avec pertinence, érudition, concision et limpidité l’histoire de Sapiens, notre espèce, en vérité le règne le plus étrange du monde animal.

    De l’aube de l’humanité à l’ère actuelle des biotechnologies, en passant par les pyramides d’Égypte, la conquête des Amériques et les premiers pas sur la lune, Harari explique comment ce qui n’était qu’une espèce parmi d’autres est parvenue à s’imposer sur les autres Homo (Homo neanderthalis, Homo erectus, Homo soloensis ou Homo floresiensis) au point de conquérir la surface de la terre, puis soumettre voire annihiler les autres êtres vivants. Étrange paradoxe, nous dit l’auteur, pour un "animal" a priori faible et marginal : "Tout récemment encore, le genre Homo se situait au milieu de la chaîne alimentaire… Voici 400 000 ans seulement que plusieurs espèces d’homme ont commencé à chasser régulièrement le gros gibier ; et 100 000 ans seulement, avec l’essor de l’Homo sapiens, que l’homme s’est hissé au sommet de la chaîne alimentaire."

    Comment cette domination a-t-elle eu lieu ? À l’instar de son tableau général de l’ère préhistorique, il choisit de prendre de la hauteur pour brosser le règne de Sapiens. Ce qui l’intéresse n’est pas l’histoire des conflits, des souverains ou des faits historiques mais les grands mouvements qui ont modelé l’espèce humaine.

    Yuval Noah Harari s’arrête sur les révolutions qui ont jalonné et façonné le règne de Sapiens. La révolution cognitive, tout d’abord, il y a 70 000 à 30 000 ans. Elle a permis de nouveaux moyens de penser et de communiquer : "Homo sapiens a pu dominer la planète grâce au commérage." L’auteur s’arrête longuement sur la plus troublante et fantastique invention de notre espèce : la "construction de réalités imaginaires", ces réalités intersubjectives qui n’existent que parce que tout le monde y croit (religions, nationalismes, États, droits de l’homme, et cetera).

    Harari consacre un long développement à une autre révolution controversée : la révolution agricole, il y a environ 10 000 ans. Bienfait ou désastre ? Harari est sévère, allant jusqu’à comparer la période dangereuse mais insouciante des chasseurs-cueilleurs (les anciens "fourrageurs") avec le "piège" de l’esclavagisme agricole et son corollaire, la domination cruelle du règne animal. "La plus grande escroquerie de l’histoire" juge l’auteur, mais aussi un événement socio-économique ayant posé les bases de la domination humaine sur la nature : sédentarisation, création des premiers villages puis des premières civilisations et empires, réseaux d’échanges, commerce, création des monnaies puis de l’argent, naissance de l’économie puis de l’écriture.

    Harari consacre ensuite une part importante de son essai à la troisième grande révolution de Sapiens : la révolution scientifique, depuis la conquête des Amériques il y a 500 ans jusqu’aux dernières évolutions génétiques, robotiques et informatiques.

    Les grands empires, les religions puis l’argent ont été les principaux socles de l’unification du genre humain, pour le meilleur et pour le pire, dit en substance Yuval Noah Harari. Cette unification lui semble d’ailleurs inéluctable pour les prochains siècles.

    Histoire, philosophie, sciences dures ou psychologie sont mis à profit pour dresser une histoire déroutante et inédite de notre espèce humaine. Grâce à ses talents de vulgarisateur et à son écriture claire, et non sans humour ni parti-pris, Yuval Noah Harari parvient à donner à ce qui avait tout pour être un essai indigeste et confus, une œuvre ambitieuse et exceptionnelle. Non content de se faire historien de Sapiens, l’auteur ouvre également des portes multiples grâce à des questions capitales : le libre-arbitre a-t-il un sens ? Comment expliquer scientifiquement la domination masculine sur les femmes ? Qu’est-ce qu’une religion ? Qu’est-ce que le bonheur ? Comment allier consumérisme et éthique capitaliste ?

    L’essai, passionnant comme un roman, se termine par un questionnement plus que par une prospective sur le devenir de Sapiens, à l’aulne des nouvelles technologies biogénétiques, robotiques ou informatiques. Quels dangers menacent Sapiens en raison de sa soif de domination sur la nature et sur les autres espèces animales ? Se pourrait-il que Sapiens puisse disparaître comme son "frère" Neandertal ? Notre espèce est-elle encore maître de son avenir ? "La seule chose que nous puissions faire, c’est influencer la direction que nous prenons. Mais puisque nous pourrions bien être capables de manipuler nos désirs, la vraie question est non pas : ‘Que voulons-nous devenir ?’ mais : ‘Que voulons-nous vouloir ?’"

    Yuval Noah Harari, Sapiens, Une brève Histoire de l’Humanité,
    éd. Albin Michel, 2015, 501 p.

  • La Française Héloïse Letissier à la une de "Time"

    Derrière le nom d'état civil Héloïse Letissier se cache une des plus grandes figures musicales françaises, Christine and the Queens (qui a fait l'objet d'un billet sur Bla Bla Blog, "La reine Christine").

    C'est aux Etats-Unis que l'artiste se produit en même temps et le moins que l'on puisse dire est que, là-bas, la Française n'a pas laissé indifférente. 

    Cette semaine, le magazine américain Time ne l'honore ni plus ni moins que de sa une, pour illustrer une enquête sur "la nouvelle génération de leaders", ceux "qui refont le monde.

    L'auteure de Christine, des Paradis perdus ou de Saint-Claude est autant consacrée comme figure mondiale de l'électropop que comme une artiste rejetant les barrières du genre.

    Une consécration supplémentaire pour Christine and the Queens, en passe de devenir une icône.  

    Time
    http://www.christineandthequeens.com

    "La reine Christine"

  • Le musée Girodet de Montargis encore sous l’eau

    Les dégâts collatéraux des inondations de juin dernier n’en finissent pas de marquer la ville de Montargis.

    Le musée Girodet, qui était en travaux de réaménagement au moment des crues historiques, a subi de lourds dommages. Le site de FranceInfo, CultureBox, parlait d’un Zurbaran, Saint Jérôme Pénitent, immergé et ayant subi les avanies climatiques.

    Un musée provisoire, Le P’tit musée Girodet, installé rue Dorée dans la principale artère commerçante de la ville, présente en ce moment au public des clichés de ces dégradations mais aussi de l’entreprise de restauration des œuvres. Cette exposition est opportunément appelée : "Après le déluge." Il n’est pas anodin de saluer l’effort de transparence de la part d’un musée public en pleine mue et secoué par un événement naturel exceptionnel.

    La réouverture du musée Girodet, consacré, rappelons-le, à un peintre historique majeur, était prévu jusque-là en 2017. Bien malin qui pourra dire si un report n’aura pas lieu.

    En attendant, le ministère de la culture s’est intéressé au malade convalescent. Un accord-cadre, nous dit Le Journal des Arts (édition du 30 septembre 2016), a entériné le versement de 800 000 euros pour participer au financement des frais de restauration de pas moins de 2 600 œuvres, soit une bagatelle de 2,4 millions d’euros. Gageons qu’au terme de cette période douloureuse pour la vie des arts montargoise, le Musée Girodet pourra se nommer : "Musée Phénix-Girodet".

    http://www.musee-girodet.fr
    Exposition du P’tit Musée Girodet, "Après le déluge",
    du 17 septembre au 16 décembre 2016, 35 rue Dorée, Montargis
    Edwart Vignot, installation "Ô Montargis", 2016

  • Bla Bla Blog, partenaire de l'exposition de Matthieu Suprin "La croisée des chemins"

    affiche_la_croisée des chemins - Copie.pngÀ travers "La croisée des chemins", Matthieu Suprin nous offre un regard intimiste et élégant sur les peuples d'Asie. Cette exposition retrace ses pérégrinations en Birmanie, au Cambodge et au Laos.

    Un parcours fait de rencontres souvent éphémères, parfois insolites, toujours authentiques.

    "Ces images sont un hommage aux hommes et aux femmes qui se sont ouverts à moi, m'ont montré leur visage et fait découvrir un peu de leur vie, avec pudeur, fierté et simplicité. Un acte de vérité et de sincérité qui définit leur beauté."

    Matthieu Suprin "La croisée des chemins",
    du 11 octobre au 6 novembre 2016

    Art En Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, 75003 Paris
    http://www.matthieusuprin.com/actualite
    http://www.artentranse.com

    © Matthieu Suprin

  • Alex Varenne, libre et libertin

    En 2005 et 2006, le dessinateur et peintre Alex Varenne a accordé une série d’entretiens à Luc Duthil. Ces entretiens ont été retranscrits dans l’ouvrage richement illustré, Alex Varenne, Itinéraire d’un Libertin : une belle entrée en matière pour qui veut découvrir une figure influente de la bande dessinée érotique, mais également un peintre attachant.

    Alex Varenne, personnage atypique et passionnant, a laissé sa patte reconnaissable entre toutes dans un genre peu connu, quand il n'est pas – injustement – dénigré : la bande dessinée érotique, un paradoxe à notre époque où la pornographie est accessible partout avec l’Internet !

    alex varenneAlex Varenne excelle dans ces planches au noir et blanc élégant, dans ses dessins aux traits précis, dans ses visages délicats et dans les corps féminins soignés et mis en valeur. Le corps féminin reste plus que jamais le sujet principal d’Alex Varenne, y compris dans ses peintures les plus récentes, bientôt exposées à Paris à la galerie Art En Transe Gallery (Paris 3e). L’auteur d’Ardeur ou de de la série Erma Jaguar magnifie les femmes avec un sens du détail et de la mise en scène qu’il travaille sans laisser la place au hasard : l’artiste explique qu’il photographie ses modèles dans toutes les positions avant de se mettre au crayon et de les coucher sur papier.

    Dans Itinéraire d’un Libertin, Alex Varenne n’omet rien de sa carrière, dont il parle avec passion et avec une rare franchise.

    À ses débuts, le futur auteur de La Molécule du Désir est un professeur pour qui la bande dessinée est une activité peu lucrative, en raison notamment de la frilosité des éditeurs. Lorsqu’il entame le premier album de sa série Ardeur, c’est en collaboration avec son frère Daniel Varenne. La collaboration fructueuse donne naissance à un des chefs d’œuvre de la bande dessinée, avant que le scénariste engagé et le dessinateur, qui excelle déjà dans des dessins expressifs (mais aussi des scènes érotiques imposées pour les besoins du récit), ne se brouillent. C’est comme libéré qu’Alex Varenne trouve sa voie dans la bande dessinée érotique, encouragé notamment par Georges Wolinski, avec un passage notable à Charlie Mensuel.

    Dans cette confession sans langue de bois, Alex Varenne parle abondamment des femmes qu’il admire, aime et reproduit sans retenue. Il ne cache pas non plus la portée autofictionnelle – pour ne pas dire autobiographique – de ses réalisations. Fantasmes, pulsions, contes, détournements : Alex Varenne explore le sexe sous toutes ses latitudes, en n’établissant, dit-il, qu’une barrière : celle de la morbidité. Ce qui n’empêche pas l’artiste d’avoir traité malicieusement de sujets comme le SM, le bondage ou la nécrophilie !

    alex varenneIntelligemment, le livre d’entretien dépasse le simple portrait d’un dessinateur capital, à la fois libre et libertin. Luc Duthil met également son travail artistique dans la perspective de ses influences : ses confrères de la BD érotique (Milo Manara ou Guido Crepax en premier lieu), mais aussi les peintres américains contemporains du pop art – Roy Liechtenstein, ajouterons ceux qui ont pu admirer ses toiles. Amoureux de l’Asie, Alex Varenne ne cache pas non plus son intérêt pour les estampes japonaises ou pour les mangas. À ce sujet, le livre d’entretiens rappelle qu’Alex Varenne a été sollicité pour proposer aux lecteurs nippons deux ouvrages aux éditions Kodansha – un projet qui fera, hélas, long feu.

    Alex Varenne ne manque pas non plus de s’arrêter sur ses albums les plus emblématiques (que Bla Bla Blog abordera d’ailleurs dans les prochaines semaines) : Ardeur, Carré noir sur dames blanches, Angoisse et Colère, Erma Jaguar, Les Larmes du Sexe, Amours fous, Gully Traver ou Yumi - La Molécule du Désir (déjà chroniqué dans cet article : "Le Viagra, en plus efficace et plus drôle").

    Sans abandonner la bande dessinée érotique, Alex Varenne s’affirme également dans la peinture, un domaine dans lequel le créateur d’Erma Jaguar excelle : ses thèmes favoris – la femme et l’érotisme – sont déclinés dans des toiles aux aplats colorés, aux personnages saisissants et aux scènes strip-art tour à tour réalistes, oniriques ou mystérieuses. Les femmes de Varenne, "femmes de papier" devenues "femmes de toile", sont peintes amoureusement, sans concession, et parfois avec humour : femmes d’extrême-orient ou de Paris (que le peintre et dessinateur connaît bien), prostituées de nulle part et d’ailleurs, madonnes déshabillées inspirées de la Renaissance, héroïnes fatales, inconnues ordinaires surprises dans l’intimité, dominatrices ou BCBG des quartiers huppées.

    On n’ôtera pas à Alex Varenne son combat d’une vie : grâce à la bande dessinée mais aussi la peinture, ce libertin ne nous parle-t-il pas de la liberté, pour toutes les femmes, d’aimer ?

    Luc Duthil et Alex Varenne, Alex Varenne, Itinéraire d’un Libertin, éd. PLG, 2007, 240 p.
    http://www.alexvarenne.com
    "Le Viagra, en plus efficace et plus drôle"
    Alex Varenne, Strip Art, Art En Transe Gallery, du 8 novembre au 4 décembre 2016

    © Alex Varenne 

  • Cirkus

    ifva7bl0i2gxyan407x2.jpgÀ partir du samedi 1er octobre et durant toute la saison, le club Les Étoiles se transforme en cabaret déjanté !

    À l’origine de ces soirées, Franck Bompani, organisateur de soirées (La Boumette ou La Paillotte de L’Opéra) et Le Lettingo Cabaret (cabaret burlesque parisien) ont décidé d’unir leurs savoir-faire et créer les soirées Cirkus pour le plus grand plaisir des parisiens.

    Les soirées Cirkus s’inspirent des fêtes folles des années 80’s remises au goût du jour via un savant mélange entre clubbing actuel et cabaret d’autrefois. Circus transporte ses convives à travers une soirée clubbing décadente ou les dj’s jouent sur scène accompagnés de trapézistes, de dresseurs de perroquets, de clowns et de superbes effeuilleuses. Des happenings artistiques rythment la fête… Laissez la magie opérer ! Une soirée burlesque et glamour réunissant jusqu’à 600 noctambules sur le meilleur de la Disco, House & Deep House.

    Le club Les Etoiles a ouvert en 1876 comme café-concert géré par l’administrateur des Folies Bergères puis en tant que salle de cinéma de 1946 à 1965.Le dernier usage connu du lieu est celui de cabaret dans les années 90 dont la façade néo-classique est encore en place. En 2011, après un coup de cœur pour l’histoire et le potentiel du lieu, le duo Franck Bompani, & Vincent le Gall , fort de leur longue expérience dans l’évènementiel et épaulé par le cabinet d’architectes Mur Mur, décident d’y entreprendre des travaux. Le théâtre des Etoiles renaît de ses cendres en 2015 et propose de multiples expériences artistiques et sonores

    Tous les samedis à partir du 1er octobre aux Étoiles
    00h-06h
    61 rue du château d’eau, 75010 Paris
    Entrée : 10€, gratuit avant 1h pour les filles

  • "Raconte-moi l'Histoire" censuré

    Le site Raconte-moi l'Histoire avait été chroniqué il y a déjà deux ans par Bla Bla Blog – cela avait d'ailleurs été un de ses premiers articles : "Une histoire, une histoire, une histoire..."

    La bloggeuse Marine, qui s'était lancée dans la publication de billets historiques et irrévérencieux, a eu la mauvaise surprise, le 26 septembre dernier, de voir sa page Facebook censurée et supprimée par le plus célèbre des réseaux sociaux : "Presque 15 000 personnes lésées. Pourquoi ? Je ne sais pas. Une publication ne respecte pas les conditions de publication. Ce peut être un téton qui dépasse, une paire de fesses ou je ne sais quoi", se désole la responsable de Raconte-moi l'Histoire. Ce blog "éducatif" a fait de l'histoire un sujet drôle et impertinent, bien loin des cours ennuyeux que nous avons tous connus sur les bancs de l'école.

    Espérons que cette décision ne soit qu'une mauvaise plaisanterie. En attendant, Raconte-moi l'Histoire est toujours visible à cette adresse : http://www.racontemoilhistoire.com.

    Allez, Marine, tiens bon !

    Raconte-moi l'Histoire
    "Une histoire, une histoire, une histoire..."

     

  • La rue est à eux

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    Voilà qui est sévère, et Paul Ardenne n’écarte pas ce discours critique d’un revers de main. Plutôt que de dresser un tableau chronologique de cet art de la rue, le maître de conférences en histoire de l’art à l’université d’Amiens, et aussi collaborateur pour les revues Art Press et Archistorm, se fait analyste précis et pertinent du street art. Il esquisse les origines d’un mouvement culturel foisonnant, de ses courants hétéroclites, de quelques figures majeures comme des problématiques culturelles, sociales, politiques ou juridiques d’un art engagé et, au départ, clandestin : "L’art de la rue stricto sensu, ce sont (…) toutes les formes d’expressions qui se moulent dans le tissu urbain et au contact direct du spectateur."

    Art intrusif, urbain (la plupart du temps, en tout cas), gratuit, entaché d’une réputation subversive, le street art est indéniablement entré dans une période de légitimité : un certain nombre d’artistes issus de cette mouvance voient de prestigieux musées publics ou privés leur ouvrir leurs portes.

    Quelles sont les origines du street art ? Né en Occident dans les années 60 (les artistes ont pour pseudonymes Cool Earl, Julio204, Phase2, Eva62 ou Flint 707), cette forme de création est en réalité bien plus ancienne. Paul Ardenne rappelle que les premières formes d’expressions artistiques étaient les grattages de surfaces ou les marquages à l’encre naturelle de surfaces rupestres durant le paléolithique. Le street art serait donc un mouvement culturel aussi vieux que l’homme, même si les bombes aérosols mises sur le marché dans les années 60 ont remplacé les empreintes de mains ou les reproductions de buffles à Lascaux ou Chauvet.

    Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’affirmation et le développement du street art, aussi critiqué soit-il (ou parce qu’il est critiqué et subversif ?) est spectaculaire. Il prend son essor dans les villes de la côte est des États-Unis avant de s’étendre en quelques années aux autres grandes cités occidentales, avec d’autant plus de vigueur que se propagent les grandes crises planétaires, pétrolières, économiques, sociales ou écologiques.

    À ses débuts, rappelle Paul Ardenne, l’expression graphique de ces artistes d’un nouveau genre est avant tout narcissique : le graffeur est dans une course à la visibilité. En taggant son blaze, lui - ou sa bande (le crew) - entend s’approprier en son nom propre l’espace urbain, jusqu’au recouvrement ("pourrissement") de l’espace public (Seen).

    Loin d’être le désœuvré dont on voudrait l’affubler, l’artiste de rue serait avant tout cet activiste utilisant la transgression pour faire de la rue un musée à ciel ouvert (une TAZ, ou Temporary Authonomy Zone), voire un lieu de vie où se mêlent musiques, danses, performances… en toute illégalité (5 Pointz, au Queens, New York).

    Cette illégalité, voire le vandalisme, n’est pas caché par Paul Ardenne dans sa préface. Il en fait d’ailleurs une véritable problématique, la plupart de ces artistes de la rue ayant assumé d’emblée d’être marginalisés.

    Art démocratique s’il en est, sans exigences académiques a priori (ce qui n’exclut pas les influences de brillants noms comme Jackson Pollock, Jean Dubuffet ou Cy Twombly), le street art a fait et fait toujours l’objet de tensions entre graffeurs et institutions publiques (Paul Ardenne cite justement le cas des pisadores à São Paulo). Pour autant, l’intégration, pour ne pas dire l’adoubement, d’artistes de rues à de grandes institutions publiques – que ce soit Jean-Michel Basquiat, Ernest Pignon-Ernest ou JR – est presque aussi ancienne que cet art lui-même. Des espaces dédiés sont concédés par les autorités pour les graffeurs – souvent du reste pour les canaliser – alors que des grands musées proposent d’ouvrir leurs galeries à ces créateurs venus de la rue.

    Le cœur de cet ouvrage paru aux éditions de la Martinière est la présentation de 100 artistes (ou groupes d’artistes) incontournables. Ils sont classés par ordre alphabétique, de "5 Pointz" à "Zoo Project" et se voient consacrés équitablement deux pages, une de texte, l’autre d’illustrations.

    Grâce à ces 200 pages, le lecteur peut se faire une idée d’un mouvement sans frontières, hétéroclites et aux approches parfois diamétralement opposées.

    Quelques noms connus ressortent : Bansky, Jean Faucheur, Keith Haring, Invaders, JR, Miss.Tic, Monsieur Chat, Ernest Pignon-Ernest ou Jean-Michel Basquiat (alias SAMO).

    Les 100 portraits brossés laissent voir la diversité de parcours chez des artistes que l’on a souvent caricaturés comme des vandales détériorant l’espace public. En réalité, ces artistes, souvent cachés derrière d’obscurs pseudonymes, ou bien œuvrant dans des collectifs plus ou moins influents, peuvent être d’authentiques avant-gardistes, prouvant que le street art ne doit pas se limiter à ces tags tracés en catimini sur des wagons abandonnés ou à des façades défigurés par des blazes.

    L’art urbain, nous disent les auteurs, Marie Maertens, Paul Ardenne et Thimothée Chaillou, peut être d’une très grande technicité et conceptuellement très élaboré, lorsqu’il ne renvoie pas à des influences artistiques reconnues : le land art (JR), le minimalisme (Slinkachu), l’art brut (Nunca), le folklore (Vitché) ou la vidéo (Videoman).

    Finalement, la richesse du street art dépasse, et de beaucoup, le phénomène populaire des tags, qui font tout de même l’objet d’une double page. Les créations conceptuelles de l’art urbain sont d’une richesse qui n’a pas à pâlir de la comparaison avec d’autres courants ou artistes de l’art contemporain : les interventions de Cédric Bernadotte, les peintures à la bombe monumentales d’Ash, les travaux au pochoir pop art de Bleck le Rat, les graffes de Corn-Bread, les actions engagées des Déboulonneurs, les affiches sophistiquées de Diuf, les fresques d’El Mac, les portraits emblématiques de Barack Obama par Sheppard Fairey, les peintures pointillistes (à la bombe!) de Jean Faucheur, les détournements féministes des Guerilla Girls ou ceux de Zevs, les petits personnages reconnaissables entre tous de Keith Haring, les collages monumentaux de JR, les installations minutieuses à base de tessons de bouteilles d’Olivier Kosta-Théfaine ou l’univers iconique de Miss.Tic.

    Citons aussi les détournements de panneaux routiers par le collectif roumain Monotremu, les intrusions urbaines de Monsieur Chat, les poupées mangas de Laidy Aiko, les tressages au scotch rouge de Louis Pavageau (alias Ligne Rouge), les personnages éthérés de Jérôme Mesnager, la performance spectaculaire d’Alexandre Orion dans les tunnels de São Paulo, les interventions d’Ernest Pignon-Ernest, les coulures de Quick, les phrases barrées en police Verdana de Rero, les créations complexes de SAMO (Jean-Michel Basquiat), les jeux de piste de Taki 183, les travaux au scotch de Tape Art ou les grattages monumentaux de Vhils et Zhang Dali.

    Le guide ne met pas sous silence l’une des plus étonnantes réalisations du street art, l’Underbelly Project. Il s’agit d’une vaste exposition secrète dans les sous-sols de New-York. Une station de métro abandonnée a été confiée à des centaines d’artistes. Sorte de "Lascaux contemporain", l’Underbelly Project est destiné à être vu par les spectateurs… des siècles futurs : "Un acte de mémoire, comme un acte d’amour sans attente de retour", commente Paul Ardenne au sujet de ce projet spectaculaire et inédit.

    Un monde underground est dévoilé dans ce livre rigoureux et de qualité. Au terme de la lecture de cet ouvrage collectif, le lecteur ne verra plus de la même manière les tags qu’il croisera au coin de la rue.

    Marie Maertens, Thimothée Chaillou et Paul Ardenne, 100 Artistes du Street Art,
    éd. La Martinière, 2011, 236 p.
    "Qui veut la peau de Monsieur Chat ?"